Qu’on
ne s’étonne donc pas de rencontrer des médecins insensibles,
hautains, insultants, brutaux, méprisants ou franchement
maltraitants : ils se comportent comme on leur a appris à le
faire (ou parce qu’on ne leur a pas appris à se comporter
autrement). Et ils trouvent ça tout à fait normal, car ils ont pour
aspiration de faire partie d’une caste, non de servir le public !
(Martin
Winckler, Les
brutes en blanc, La maltraitance médicale en France,
Flammarion, 2016)
Claire
et moi avons eu affaire de septembre 2004 à septembre 2008 à un
chef de service hospitalier auquel on peut appliquer toutes les
épithètes que cite Martin Winckler dans ce passage de son brûlot
littéraire. Je ne donnerai que deux détails, bien vieux maintenant, mais que je n'ai pas oubliés.
*
Fin
septembre 2004, il nous reçoit dans son bureau, nous explique que les
résultats de l’IRM confirment une tumeur au cerveau,
« probablement non cancéreuse, car on ne voit de métastases
nulle part, mais on ne sait jamais. Je vous propose de faire une
trépanation et d’essayer d’atteindre la tumeur pour en faire un
prélèvement destiné à l’analyser, et chercher ensuite le traitement le
plus approprié ». On se regarde, Claire et moi, et j’ose poser
la question : « Mais, une trépanation, ça n’est pas
dangereux ? » Réponse, avec un haussement d'épaules : « Pensez donc, je fais
ça tous les jours ! » Hautain et méprisant. Il opéra et
causa de nouveaux dégâts, car il ne parvint pas à faire le
prélèvement, vu l’emplacement de la tumeur au centre du cerveau.
Une opération pour rien, et parfaitement inutile, comme Martin
Winckler en dénonce dans son livre l’abus (mais ces grands pontes
ne sont-ils payés à l’acte ???), notamment dans le cadre des cancers du sein.
*
Le
8 septembre 2008, Claire tombe du lit en se levant, et ne parvient
pas à se relever, c’est un poids mort. Je vais chercher l’aide
de la voisine d’en face, infirmière retraitée. À deux, nous
parvenons à la relever et à la remettre sur le lit. Visiblement,
elle ne tient plus debout. Notre amie me dit : « Appelle le
SAMU ! » ; Il est 8 h du matin, l’ambulance arrive
et nous emmène aux urgences. Claire est placée sur un chariot dans
un couloir, et va y rester jusqu’à 18 h ! Tout juste si, sur
ma réclamation, on nous porte une bouteille d’eau pour qu’elle
puisse boire. Je reste toute la journée debout auprès d’elle, lui
tenant la main, ne m’absentant que cinq minutes pour aller acheter
un sandwich. Finalement, un brancardier arrive et emmène le chariot au
service de neurologie, je le suis. Je reste avec Claire dans la chambre.
À 19 h, le grand ponte arrive, suivi d’une dizaine de personnes
(internes, étudiants, infirmières), il m’éjecte de la chambre (en avait-il le droit ? je me le demande maintenant, après lecture du livre de Winckler).
J’attends dans le couloir, me rongeant les sangs. Une demi-heure
après, tout le monde sort de la chambre, le grand Manitou fonce sur
moi, me regarde dans les yeux et me sort rageusement : « Vous
pouvez commander le fauteuil roulant ! » Puis il tourne le
dos et disparaît, suivi de presque tous les participants. Je suis
assommé, inerte, accablé. La jeune interne du service vient me trouver :
« Venez dans mon bureau, M. Brèthes, je vais vous expliquer, (et elle ajoute à voix basse) :
C’est un malotru ! » Et là, elle m’expliqua ce
qui s’était dit dans la réunion, les
démarches que j’aurai à accomplir,
et
essaya de m’apporter une
consolation : « Gardez espoir, et soyez fort. Vous allez
devoir l’accompagner dans cette nouvelle dégradation de son état.
Elle aura besoin de votre confiance, de votre force morale, de votre
sourire ; je sais que vous y arriverez... », et elle me serra dans ses bras, [heureusement, tous les soignants ne sont pas des brutes !].
J’empochai
les papiers qu’elle me donna, puis j’allais retrouver Claire, en
m’efforçant de faire bonne figure (et bien sûr ne lui disant rien
de la nouvelle brutalité du grand chef, car c'était loin d'être la première), lui prenant la main. Puis
une aide-soignante vint, apportant un petit plateau-repas. J’assistai
Claire pour le repas, lui essuyant la bouche à deux ou trois
reprises. Puis une infirmière arriva, me disant que c’était
l’heure de partir, que je pourrai revenir le lendemain à partir de
13 h. J’embrassai Claire en souriant, lui caressant délicatement
la joue sensible (l'autre était insensible depuis 2004), me levai et sortis. Dans le couloir, j’étais
comme un zombie, je pris l’ascenseur, descendis, puis les portes du
CHU s’ouvrirent, en même temps que mes yeux se noyèrent de
larmes. Nous n’habitions pas loin, je rentrai donc à pied,
pleurant tout le long du chemin. Il faisait nuit, il
devait être 9 h du soir.
J’ouvris
notre porte, j’avais besoin de parler à quelqu’un. Je téléphonai
à Maman. Elle avait 88 ans, et commençait à baisser, j’avais
peur de lui faire du mal et pourtant c’est elle qui m’a dit les
mots que j’attendais : « Pleure, mon garçon, pleure, tu
t’es retenu trop longtemps, il fallait que ça sorte... » Et
elle fit la conversation toute seule, car pendant une bonne heure, je
ne cessai de pleurer au téléphone, m’excusant de pleurer et ma
mère ne cessant de me consoler. Je n'avais plus pleuré depuis mon enfance ! Depuis, je pleure facilement...
*
Donc,
l’insensibilité, la brutalité, la maltraitance, tout ce que
dénonce Winckler dans son livre, je les ai connues. Pourquoi croit-on
que Claire n’a pas voulu mourir à l’hôpital ? Dans ce
service, avec cet horrible chef de service ? Non, ce n’était
pas possible, car comme il est écrit aussi dans le livre : "Se
faire soigner, c’est recevoir des soins ; ce
n’est pas se soumettre à la volonté de ceux qui les dispensent.
[…]
Un professionnel de santé doit faciliter, accompagner et respecter
[le patient comme une] personne".
Si Claire a souhaité qu'on lui abrège la vie (cf la lettre qu’on a trouvée après sa mort), c’est
parce qu’elle souffrait depuis quatre ans et que sa souffrance
n’avait jamais été prise en compte de façon concrète : il
fallut que je l’exige du CHU en mars 2009 et, comme par miracle, ils ont
ajusté un traitement anti-douleurs adéquat, elle n’a pas
souffert, physiquement du moins, pendant ses trois derniers mois : ne pouvaient-ils pas le faire avant ? Je lis dans le livre : "comme
l’ont compris depuis longtemps les Britanniques, une
personne qui ne souffre ni moralement ni physiquement demande
rarement à mourir". Martin Winckler note que "cela
ouvrirait la porte à un débat public, comme l’ont fait les
Hollandais, sur toutes
les circonstances dans lesquelles une aide à mourir est
envisageable".
Je
remercie l'auteur pour ce livre qui m’a rouvert les yeux sur la maltraitance
médicale dont a été victime Claire ! Et moi, son aidant
familial, par ricochet. Bien entendu, nous le savions, Claire et moi,
mais comment le dire ? À qui en parler, à l’époque ?
Seule notre amie anglaise, V., nous a donné d’utiles
conseils, notamment celui d’intenter une action contre l’hôpital,
après la trépanation inutile et qui avait, selon
nous,
lourdement aggravé et le handicap et la souffrance de Claire.
Malheureusement,
nous nous sommes contentés de porter l’affaire devant la
Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI), ce qui
nous a coûté un voyage à Limoges, où siégeait la dite
Commission, et pour y entendre que « l’aggravation n’était
que le développement normal de la tumeur et n’avait rien à voir
avec la trépanation » ; évidemment entre médecins, ils
n’allaient pas désavouer un de leurs collègues. Nous sommes
rentrés penauds et, probablement, nous nous étions mis à dos
définitivement le chef de service en question, d’où son violent :
« Vous pouvez commander le fauteuil roulant ! » quatre ans plus tard. Parce que le type était rancunier (le défaut le pire, selon moi, qui pourrit la psyché de l'individu), en plus !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire