jeudi 9 août 2018

9 août 2018 : le soir où je me suis mis à à pleurer



Qu’on ne s’étonne donc pas de rencontrer des médecins insensibles, hautains, insultants, brutaux, méprisants ou franchement maltraitants : ils se comportent comme on leur a appris à le faire (ou parce qu’on ne leur a pas appris à se comporter autrement). Et ils trouvent ça tout à fait normal, car ils ont pour aspiration de faire partie d’une caste, non de servir le public !
(Martin Winckler, Les brutes en blanc, La maltraitance médicale en France, Flammarion, 2016)


Claire et moi avons eu affaire de septembre 2004 à septembre 2008 à un chef de service hospitalier auquel on peut appliquer toutes les épithètes que cite Martin Winckler dans ce passage de son brûlot littéraire. Je ne donnerai que deux détails, bien vieux maintenant, mais que je n'ai pas oubliés. 
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Fin septembre 2004, il nous reçoit dans son bureau, nous explique que les résultats de l’IRM confirment une tumeur au cerveau, « probablement non cancéreuse, car on ne voit de métastases nulle part, mais on ne sait jamais. Je vous propose de faire une trépanation et d’essayer d’atteindre la tumeur pour en faire un prélèvement destiné à l’analyser, et chercher ensuite le traitement le plus approprié ». On se regarde, Claire et moi, et j’ose poser la question : « Mais, une trépanation, ça n’est pas dangereux ? » Réponse, avec un haussement d'épaules : « Pensez donc, je fais ça tous les jours ! » Hautain et méprisant. Il opéra et causa de nouveaux dégâts, car il ne parvint pas à faire le prélèvement, vu l’emplacement de la tumeur au centre du cerveau. Une opération pour rien, et parfaitement inutile, comme Martin Winckler en dénonce dans son livre l’abus (mais ces grands pontes ne sont-ils payés à l’acte ???), notamment dans le cadre des cancers du sein.
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Le 8 septembre 2008, Claire tombe du lit en se levant, et ne parvient pas à se relever, c’est un poids mort. Je vais chercher l’aide de la voisine d’en face, infirmière retraitée. À deux, nous parvenons à la relever et à la remettre sur le lit. Visiblement, elle ne tient plus debout. Notre amie me dit : « Appelle le SAMU ! » ; Il est 8 h du matin, l’ambulance arrive et nous emmène aux urgences. Claire est placée sur un chariot dans un couloir, et va y rester jusqu’à 18 h ! Tout juste si, sur ma réclamation, on nous porte une bouteille d’eau pour qu’elle puisse boire. Je reste toute la journée debout auprès d’elle, lui tenant la main, ne m’absentant que cinq minutes pour aller acheter un sandwich. Finalement, un brancardier arrive et emmène le chariot au service de neurologie, je le suis. Je reste avec Claire dans la chambre. À 19 h, le grand ponte arrive, suivi d’une dizaine de personnes (internes, étudiants, infirmières), il m’éjecte de la chambre (en avait-il le droit ? je me le demande maintenant, après lecture du livre de Winckler). J’attends dans le couloir, me rongeant les sangs. Une demi-heure après, tout le monde sort de la chambre, le grand Manitou fonce sur moi, me regarde dans les yeux et me sort rageusement : « Vous pouvez commander le fauteuil roulant ! » Puis il tourne le dos et disparaît, suivi de presque tous les participants. Je suis assommé, inerte, accablé. La jeune interne du service vient me trouver : « Venez dans mon bureau, M. Brèthes, je vais vous expliquer, (et elle ajoute à voix basse) : C’est un malotru ! » Et là, elle m’expliqua ce qui s’était dit dans la réunion, les démarches que j’aurai à accomplir, et essaya de m’apporter une consolation : « Gardez espoir, et soyez fort. Vous allez devoir l’accompagner dans cette nouvelle dégradation de son état. Elle aura besoin de votre confiance, de votre force morale, de votre sourire ; je sais que vous y arriverez... », et elle me serra dans ses bras, [heureusement, tous les soignants ne sont pas des brutes !].
J’empochai les papiers qu’elle me donna, puis j’allais retrouver Claire, en m’efforçant de faire bonne figure (et bien sûr ne lui disant rien de la nouvelle brutalité du grand chef, car c'était loin d'être la première), lui prenant la main. Puis une aide-soignante vint, apportant un petit plateau-repas. J’assistai Claire pour le repas, lui essuyant la bouche à deux ou trois reprises. Puis une infirmière arriva, me disant que c’était l’heure de partir, que je pourrai revenir le lendemain à partir de 13 h. J’embrassai Claire en souriant, lui caressant délicatement la joue sensible (l'autre était insensible depuis 2004), me levai et sortis. Dans le couloir, j’étais comme un zombie, je pris l’ascenseur, descendis, puis les portes du CHU s’ouvrirent, en même temps que mes yeux se noyèrent de larmes. Nous n’habitions pas loin, je rentrai donc à pied, pleurant tout le long du chemin. Il faisait nuit, il devait être 9 h du soir. J’ouvris notre porte, j’avais besoin de parler à quelqu’un. Je téléphonai à Maman. Elle avait 88 ans, et commençait à baisser, j’avais peur de lui faire du mal et pourtant c’est elle qui m’a dit les mots que j’attendais : « Pleure, mon garçon, pleure, tu t’es retenu trop longtemps, il fallait que ça sorte... » Et elle fit la conversation toute seule, car pendant une bonne heure, je ne cessai de pleurer au téléphone, m’excusant de pleurer et ma mère ne cessant de me consoler. Je n'avais plus pleuré depuis mon enfance ! Depuis, je pleure facilement...
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Donc, l’insensibilité, la brutalité, la maltraitance, tout ce que dénonce Winckler dans son livre, je les ai connues. Pourquoi croit-on que Claire n’a pas voulu mourir à l’hôpital ? Dans ce service, avec cet horrible chef de service ? Non, ce n’était pas possible, car comme il est écrit aussi dans le livre : "Se faire soigner, c’est recevoir des soins ; ce n’est pas se soumettre à la volonté de ceux qui les dispensent. […] Un professionnel de santé doit faciliter, accompagner et respecter [le patient comme une] personne". Si Claire a souhaité qu'on lui abrège la vie (cf la lettre qu’on a trouvée après sa mort), c’est parce qu’elle souffrait depuis quatre ans et que sa souffrance n’avait jamais été prise en compte de façon concrète : il fallut que je l’exige du CHU en mars 2009 et, comme par miracle, ils ont ajusté un traitement anti-douleurs adéquat, elle n’a pas souffert, physiquement du moins, pendant ses trois derniers mois : ne pouvaient-ils pas le faire avant ? Je lis dans le livre : "comme l’ont compris depuis longtemps les Britanniques, une personne qui ne souffre ni moralement ni physiquement demande rarement à mourir". Martin Winckler note que "cela ouvrirait la porte à un débat public, comme l’ont fait les Hollandais, sur toutes les circonstances dans lesquelles une aide à mourir est envisageable".


Je remercie l'auteur pour ce livre qui m’a rouvert les yeux sur la maltraitance médicale dont a été victime Claire ! Et moi, son aidant familial, par ricochet. Bien entendu, nous le savions, Claire et moi, mais comment le dire ? À qui en parler, à l’époque ? Seule notre amie anglaise, V., nous a donné d’utiles conseils, notamment celui d’intenter une action contre l’hôpital, après la trépanation inutile et qui avait, selon nous, lourdement aggravé et le handicap et la souffrance de Claire. Malheureusement, nous nous sommes contentés de porter l’affaire devant la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI), ce qui nous a coûté un voyage à Limoges, où siégeait la dite Commission, et pour y entendre que « l’aggravation n’était que le développement normal de la tumeur et n’avait rien à voir avec la trépanation » ; évidemment entre médecins, ils n’allaient pas désavouer un de leurs collègues. Nous sommes rentrés penauds et, probablement, nous nous étions mis à dos définitivement le chef de service en question, d’où son violent : « Vous pouvez commander le fauteuil roulant ! » quatre ans plus tard. Parce que le type était rancunier (le défaut le pire, selon moi, qui pourrit la psyché de l'individu), en plus !

 

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