Ces
"hommes
de gauche",
depuis qu’ils sont au pouvoir, passent leur temps à donner des
gages à la droite. On les voit affamés d’obtenir la considération
des milieux où ils se sentaient, jusqu’ici, méprisés. À se
renier comme ils le font pour séduire la société élégante, ils
ne gagnent rien, du reste. On les emploie, mais avec un sourire où
la condescendance se mêle au dégoût.
(Henri
Guillemin, Les
origines de la Commune : 3, La Capitulation,
Gallimard, 1960)
Eh
bien oui, il faut le dire tout net, la gauche existe toujours, en
dépit de tous les politiciens prétendûment "de gauche", qui ont fait
le bonheur de la droite quand ils ont été au pouvoir, et l’ont
ramenée au pouvoir en décevant fortement leurs électeurs. Il est
vrai que nous sommes fautifs, nous électeurs : nous avons mis
notre destin entre leurs mains. "Nous
voulons devenir comme eux parce qu’ils nous ont persuadé que nous
sommes ce qu’ils veulent qu’on soit – faibles, insignifiants,
nuls. Ils ont réussi à faire qu’on se voie avec leurs yeux et non
avec les nôtres. Ils nous ont persuadé que leur chemin est le seul
chemin", comme le rappelle Chrìstos
Ikonòmou
dans
son roman
Le
salut viendra de la mer
(trad.
Michel Volkovitch, Quidam, 2017). L’auteur
sait de quoi il parle : la Grèce a élu Tsipras, devenu un
pantin entre les mains du FMI et de l’Europe et qui a suivi le chemin qu'on lui a dicté. En ce qui concerne
l’histoire de France, une seule période a vu la mise en place
d’élus en qui le peuple pouvait faire confiance. Ce fut pendant la
Commune de Paris en 1871, où on eut un court instant la "joie
de la confiance que l’on peut faire, enfin, à nos élus. Nos élus.
Des ouvriers, qui cette fois ne sont pas les otages de la
bourgeoisie", nous a rappelé Michèle Audin dans Comme
une rivière bleue : Paris 1871 (Gallimard,
2017).
N'oublions
d’ailleurs pas que "la
gauche et la droite ont en commun plus qu’elles ne le croient :
le même culte du chef [Staline
versus Hitler],
la même conviction que certains sont faits pour commander [ceux
des classes privilégiées],
d’autres pour obéir [les
classes populaires],
la même foi aveugle dans les vertus de l’accumulation [le
culte de la croissance, indispensable au capitalisme]",
souligne
Patrick
Rödel dans
son essai biographique roboratif
Les
petits papiers d’Henri Guillemin
(Utovie,
2015). Si
encore un minimum de justice régnait, on pourrait accepter l’ordre
imposé par les nantis : "Que
l’autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d’être
heureux", notait Benjamin
Constant dans De
la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes,
1819). Il en connaissait un rayon, lui qui avait vu Bonaparte se muer en Napoléon ! Mais
hélas, comme le héros
de
Fumiko
Hayashi dans Nuages
flottants,
nous sommes nombreux
"à
douter en secret de l’honnêteté de la justice"
(Éd.
du Rocher, 2005). Et
à tous les niveaux ; deux poids, deux mesures comme le disait
La Fontaine dans sa fable Les
animaux malades de la peste,
"Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de
cour vous rendront blanc ou noir". Voir comment l'évasion fiscale à très grande échelle n'est jamais condamnée, alors qu'un vol de pain peut l'être.
Il
y eut pourtant une autre époque bénie, qui dura en gros de 1945 à
1989, où tout de même il y eut une évolution sociale avantageuse
(oh ! très légèrement) pour les couches populaires (sécurité
sociale, salaire minimum, vote des femmes, nationalisation des
grandes féodalités économiques, institution
des comités d’entreprise, etc.), ce fut le fameux programme Les
jours heureux
du Conseil National de la Résistance. Il permit notamment de
faciliter l’accession au fameux "ascenseur social" (je l'ai pris, mais ne me suis jamais fait aucune illusion, si on n'a pas le goût du pouvoir, on ne monte pas bien haut) et
de moderniser le pays. Mais il faut bien le dire, depuis Thatcher et
Reagan au début des années 80 qui, ayant vu l’état de
délabrement de l’URSS, ont bien compris qu’on pouvait se passer
des programmes sociaux, puisqu’il n’y avait plus d’opposition
crédible, tout cela a été mis à mal dans la plupart des pays
occidentaux qui, par ailleurs, continuent à piller le tiers-monde. Et parfois la gauche et la pseudo-gauche (Blair en
Angleterre, Hollande en France) y ont fortement contribué. Quant à
notre petit Jupiter, on peut avec Patrick Raynal (Siné
Mensuel,
mars 2018) dire que "Macron
[…] du haut de son insolente jeunesse, passe à la moulinette
l’hôpital public, les transports ferroviaires et tous les acquis
sociaux grignotés par le peuple pour figurer, à côté de la
sémillante Thatcher, au palmarès des cinglés du libéralisme
absolu"...
Et
c’est bien là qu’on voit encore que le clivage entre la droite et la
gauche garde du sens : de ceux qui ont voté Macron, les gens de droite ou de
la pseudo-gauche sont contents, ravis, épanouis ; les
gens véritablement "de gauche" qui, de toute façon, n'attendaient pas grand-chose de lui, regrettent de lui avoir
donné leur voix, ils ne recommenceront pas ! On
reconnaît les gens de droite au fait qu’ils trouvent qu’il y a
trop d’immigrés (et bien entendu condamnent férocement ceux qui aident les migrants), trop d’assistés au RSA (des "privilégiés" selon eux) et
d’une façon
générale trop d’assistanat (jusqu'au minimum vieillesse que ces gens
trouvent scandaleux !), trop d’impôts, trop de relâchement
dans les mœurs, on les reconnaît aussi à leur opposition de principe à l’IVG, au mariage
pour tous, à l’adoption par des couples ou des individus non conformes, à
leur
goût pour la hiérarchie sociale et à tant d’autres choses, qu'on peut
bombarder en Syrie, au Yemen, à Gaza (ils sont généralement racistes, mais là, ils sont d'accord avec Israël ou les USA) et ailleurs en toute impunité, qu'on peut continuer et même multiplier les contrôles au faciès, que la violence policière n'est qu'une réponse à celle des manifestants (ce qui est souvent faux), etc...
Oui, on les reconnaît bien, ces gens-là (comme chantait Brel) et les différences gauche-droite existent toujours.
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