dimanche 8 juillet 2012

8 juillet 2012 : les barbares


Au travail je ne l'avais jamais vu se conduire comme ça. Non, jamais. Il était presque courtois. Le genre de type à aller fumer dans les toilettes. Mais en vacances... Ça fait ressortir tous les mauvais côtés, les vacances et l'alcool.
(Joseph O'Connor, La fête chez les bédouins, in Les bons chrétiens)


La Rochelle, un petit air de vacances...
Toujours impeccablement reçu chez les amis d'Angoulins, sur mon petit vélo où, n'en déplaise à Brassens, je n'avais pas trop l'air d'un con, ma mère, j'ai fait pendant quelques jours le trajet jusqu'à La Rochelle. Bien obligé de me rendre compte que je commence à avoir un sérieux coup dans l'aile, en matière d'orientation. Déjà, lors de mon dernier séjour à Paris, je m'étais bizarrement perdu du côté de Montmartre, prenant une rue à l'envers, me dirigeant vers l'est au lieu de l'ouest. Ici, alors que c'est mon troisième Festival de cinéma, que je devrais connaître par cœur les chemins qui y mènent, j'ai été désorienté, ne reconnaissais plus la côte et son chemin cyclable, et sur les routes de l'intérieur, me suis tout autant paumé et ai fait de la rallonge. Sans doute y avait-il des travaux qui m'ont perturbé. Et fait faire de la rallonge en croyant prendre des raccourcis. Mais... Un début d'Alzheimer ?
Dans cette capitale historique de l'Aunis, que je connaissais surtout auparavant par les derniers chapitres des Trois mousquetaires, avant que mon ami Gilles ne m'invite à y passer quelques jours l'été 2009, après la mort de Claire – et je lui en suis reconnaissant, ainsi qu'à ses parents, ils m'ont en quelque sorte ramené à la vie, faudra un jour que je dresse la liste de tous ceux qui m'ont sauvé la vie, à un moment ou à un autre, ou qui m'ont donné le coup de pouce salutaire – j'ai trouvé le moyen aussi de ne plus trouver le trajet le plus direct pour aller des cinémas des quais à celui de la place de Verdun... Alors que j'y suis venu en avril encore récemment ! Heureusement que la cathédrale est plus haute que les autres bâtiments, sinon, j'aurais été contraint de demander la route à un(e) passant(e) ! Comme si soudain, j'avais perdu le nord !
Je vais pouvoir préparer sérieusement mon trajet d'été, périple qui doit me mener en Aveyron, puis dans l'Hérault, dans le Tarn-et-Garonne, dans les Hautes-Pyrénées, le Gers, les Landes et retour à Bordeaux : pour la fin, je connais. Mais le Massif central ? Surtout que je n'ai pas envie de prendre les autoroutes, trop chargées pendant les vacances. On me dira : « T'as qu'à prendre un GPS ! » Avec ma phobie de la technique, c'est même pas la peine d'essayer (je rappelle qu'en dépit de leçons, je ne sais toujours pas faire marcher mon dictaphone, j'y ai renoncé, c'est trop électronique, trop sophistiqué pour moi !), je préfère regarder les cartes, je trouverai bien mon chemin, quitte à faire quelques détours qui, après tout, en valent peut-être la peine, surtout sur les petites routes.
Bref, j'ai donc vu des films, participé aux rétrospectives Raoul Walsh (4 films, mon préféré fut L'entraîneuse fatale, ou la rédemption d'une femme, interprétée par Marlène Dietrich), Teuvio Tulio (auteur de mélos finlandais, j'en ai vu deux, qui m'ont bien plu) et Charlie Chaplin (revu les formidables Lumières de la ville), à l'hommage à Anouk Aimée (revoyant ainsi pour la première fois Les mauvaises rencontres, d'Alexandre Astruc, où les pions avaient eu le mauvais goût de nous emmener un jeudi de pluie de la fin 1956, et qui évidemment n'était pas du tout un film pour enfants, mais aussi Les amants de Vérone, avec des fabuleux dialogues de Prévert, et l'inédit pour moi La tête contre les murs, un brûlot contre la psychiatrie traditionnelle), à Agnès Varda (son installation Patatutopia m'a bien amusé) et à Emmanuelle Riva, dont le dernier film, Amour de Michael Haneke, primé à Cannes, ouvrait le Festival. Certes, ça faisait un peu hommage au 4e âge, avec toutes ces vieilles dames octogénaires ("Les chevelures s'étoilent / de fils d'argent", chante Odile Caradec, autre alerte octogénaire et poétesse). Je reparlerai du film de Haneke ultérieurement, il m'a bouleversé, et j'ai cru m'y apercevoir en miroir.
La Rochelle, c'est aussi, et particulièrement pendant ces festivals d'été (les Francofolies succèdent au Festival du cinéma), la Tour de Babel. On y croise toutes les langues, toutes les couleurs, tous les âges, dans un tourbillon incroyable. On y retrouve des gens connus aussi : quelques Poitevins habitués du Festival, les filles de mon ancienne assistante à la DRAC que j'ai eu le plaisir d'inviter à voir des films avec moi, un de mes confrères du Festival de Venise l'an passé. Le temps médiocre ne m'a pas poussé à aller sur la plage, d'ailleurs je n'avais pas emporté un maillot de bain. J'y ai lu dans les files d'attente (est-ce une impression ? J'ai trouvé qu'il y avait moins de monde que l'an passé, où il faisait très beau, il est vrai) l'excellent livre de Roger Grenier, Le palais des livres, une biographie de James Dean (heureusement qu'il est mort jeune, il aurait fort mal vieilli), et commencé les poèmes de Tomas Tranströmer (dernier prix Nobel) et La vie de Van Gogh par Henri Perruchot (le même dont j'avais lu la Vie de Cézanne à haute voix l'été dernier pour Patricia).
Chez Roger Grenier, j'ai pêché cette perle : "Quel est le pire ? Être inachevé ou être fini ?" Quand j'étais petit, et par la suite encore, quand on disait de quelqu'un, « il est pas fini », ça voulait tout dire. Que c'était un raté, un débile, un futur déchet de la société, quelqu'un d'inadapté... Aujourd'hui, je me dis qu'être fini, c'est être mort, incapable de changer son regard, de se changer et d'espérer... Mais, lisant la vie de Van Gogh, je me dis, il est bien vivant, à sa façon et pas du tout fini, lui non plus, en dépit de ce que pensaient les gens de son époque, tous ceux qui naviguent dans les conventions morales, sociales, artistiques ou religieuses. Oui, curieux individu, comme tous les génies. Personnage christique (et en tant que tel, vilipendé par les Chrétiens conventionnels) ressemblant beaucoup à l'idiot de Dostoïevski. Et aujourd'hui encore, il ferait scandale ! Surprenamment, j'ai vu aussi à La Rochelle la vie de Modigliani dans le film Montparnasse 19 de Jacques Becker (1957). Gérard Philipe y interprète magnifiquement l'artiste aussi maudit que Van Gogh.
Eh oui, préférer la misère à l'argent, c'était une anomalie dans le monde bourgeois et boursicoteur du 19e siècle comme du début du 20e siècle (et peut-être de ce 21e). Van Gogh, Modigliani, en ont pâti. C'était des barbares, si on veut, mais on peut, comme le rappelle Jean Soublin dans son bel essai, Le second regard : voyageurs et barbares en littérature, "identifier chez un Barbare un trait aujourd'hui disparu chez soi, la frugalité par exemple, ou la chasteté, ou le sens de l'honneur, [et] ouvrir une fenêtre sur son propre passé, convenir que l'histoire bouge dans un sens, qui n'est pas forcément le bon"
Tiens, je me sens barbare, moi aussi ! Et inachevé...

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