Au
début, je pensais que je me battais pour sauver les hévéas. Puis
j’ai pensé que je me battais pour sauver la forêt amazonienne.
Maintenant, je sais que je me bats pour l’humanité.
(Chico
Mendes, Mon
combat pour la forêt,
Seuil, 1990)
En
attendant la prochaine arrivée du dernier Ken Loach annoncé pour la
fin de ce mois, il faut saluer la renaissance d’un cinéma social,
aussi bien en France qu’à l’étranger.
C’est
ainsi qu’avec Atlantique,
Grand prix du Festival de Cannes, la franco-sénégalaise Mati Diop
nous livre un formidable film qui trouve moyen de traiter de plusieurs thèmes qui touchent la société sénégalaise
contemporaine : les patrons voyous (la première scène nous
montre des ouvriers du bâtiment réclamant trois mois de salaires
non versés), le mariage forcé et la condition de la femme (l’héroïne, Ada, amoureuse de
l’ouvrier Souleymane, est promise à un bourgeois), l’émigration
vers l’Europe (Souleymane s’embarque avec quelques autres sur une
pirogue pour tenter de rallier la terre promise). La très belle
histoire d’amour se double d’une parabole politique, et comme on
est au Sénégal, s’y ajoutent les traditions et le surnaturel
locaux très vivaces, notamment sous la forme des fantômes des
morts. Lors de la fête du mariage d’Ada, un feu soudain et mystérieux se déclare
dans la maison et dans un récit qui semblait jusque là purement
réaliste
et très concret, le
mystère teinté
de fantastique apparaît. Même l’inspecteur chargé de l’enquête
n’y échappera pas.
Ada et Souleymane
sont le symbole d’une Afrique meurtrie et opprimée qui, au rebours de notre
occident matérialiste, n’oublie pas ses morts. Et leur amour nous
paraît
éternel, par-delà
la séparation et la mort.
Tourné
à Dakar même, en couleurs chaudes ou teintées de brumes,
Atlantique
(l’océan apparaît comme un leitmotiv) m’a laissé sidéré et
muet d’admiration…
Autre
parabole politique, Bacurau
se passe du côté de Pernambouc, dans le Sertão (cher à Jorge Amado) du Nordeste du
Brésil, dans un futur proche indéterminé : "d’ici quelques
années", nous dit un message au début du film… On
y voit une petite
communauté paysanne,
qui manque d’eau (car la rivière a dû être détournée par des
multinationales à la recherche de gros profits, avec la complicité
des élites locales et administratives). En fait, on cherche à
éliminer ce village de la carte. De mystérieux mercenaires yankees,
téléguidés par le Préfet de région, sont dans les parages et se
livrent à une sorte de jeu-safari
de téléréalité grandeur nature où il s’agit de tuer les gens sur
commande.
Sous la houlette de trois cangaçeiros, les villageois
vont
chercher à se défendre. Je n’en dis pas plus. On pense à des
films comme Les
chasses du comte Zaroff
(1932) ou Les
sept samouraïs (1954).
La
chronique ethnographique et politique se
double ici, comme dans Atlantique,
d’un
merveilleux proche
du fantastique : on
est ici dans le réalisme magique cher à la littérature d’Amérique
latine. Par exemple, lors de l’enterrement de la matriarche, une cascade d’eau s'écoule du
cercueil.
Dans
ce film de légère anticipation, le
western se
pare d’accessoires modernes (smartphones, drones).
On
se moque avec allégresse du préfet venu pour assurer sa réélection,
on chante et on danse, les
femmes jouent
un rôle important et n’hésitent pas à tirer pour se défendre,
et résister à
l’envahisseur, et la nudité ne se cache pas. Comme
Atlantique,
Bacurau nous fait penser à la manière dont les pays du nord
font
de ceux
du sud un
terrain de chasse
et de prédation des ressources naturelles.
Ce
splendide film a donné lieu à une passionnante discussion après la
séance.
Côté
français, Au nom de la terre conte l’histoire de Pierre
(Guillaume
Canet) qui, au retour des USA où il a fait connaissance des
pratiques de l’agro-industrie américaine, succède à son père et reprend la
ferme des Grand Bois.
Avec
sa jeune femme, il
s’installe dans la ferme familiale que le père de Pierre, qui
y élevait des moutons,
leur vend :
premier endettement important.
D’autres
vont suivre, car pour ce nouveau type d'agriculteurs, devenus entrepreneurs
et exploitants agricoles (le père se voulait "paysan"), il s’agit
d’aller dans le sens du progrès, de produire tant et plus : Pierre se lance dans l'élevage des chevreaux, puis dans celle des poulets. Il s’épuise à suivre les
politiques agricoles souvent
téléguidées par Bruxelles, l’industrie agrochimique et les
banques auxquels ils sont
asservis…
Malgré
un
travail acharné (sa
femme tient la comptabilité, son fils adolescent, élève en lycée
agricole, l’aide aussi), Pierre est pris au piège.
Tiré
de l’histoire de son père,
le réalisateur Édouard Bergeon a
fait un film sobre et
beau,
en
hommage
au
monde paysan. On
a envie de se rebeller avec Pierre et on voudrait tellement que ça
finisse bien...
Après l'excellent
Petit
paysan (2017),
voici le "Tombeau" du Gros exploitant agricole ! Car
il faut rappeler que chaque jour un agriculteur se suicide en
France...
Quant
à La
vie scolaire,
le film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir
(déjà auteurs du très bon Patients,
il y a deux ans),
il décrit au
quotidien la vie
d'un collège d'un quartier populaire
(dit "difficile"),
en Seine-Saint-Denis,
où les adolescents
peinent à emprunter
l’ascenseur
social. On y suit
une classe de 3ème
SOP (sans optionq) avec leurs professeurs (dont le prof principal, qui
enseigne les maths, le prof d’histoire, trop fragile, le prof de
sports qui essaie de les intéresser au "foot
à roulettes"),
sous la surveillance active de la nouvelle Conseillère Principale
d'Éducation (CPE), Samia
(excellente Zita
Hanrot), et
de l'équipe des
surveillants, dont
Moussa, grand frère
issu du
quartier. Les élèves
sont indisciplinés, turbulents,
blagueurs, menteurs voire mythomanes,
parfois insolents, mais presque toujours attachants ;
le rôle des profs et
de l’équipe éducative est de repérer
ceux qui pourraient
s’en sortir : ainsi
Yannis, à qui
Samia fera tout pour
lui donner une chance.
Ici aucune
condescendance, peu de clichés, mais comme dans le film sur les
paysans, un souci de
réalisme documentaire sans angélisme ; ici
aussi, les réalisateurs ont bien connu
cette existence,
et ils brossent une
fresque haute
en couleurs, comique
parfois, mais aussi poignante. Car le
contexte social,
admirablement restitué lors des scènes (vie quotidienne dans la cité,
entretiens des parents avec la CPE au collège), reste lourd.
Les jeunes ados n’en
peuvent plus du mépris dont on les gratifie.
La bande musicale
sonore est magnifique. Au moment où une directrice d’école vient
de se suicider, le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre est
d’aller voir ce beau film.
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