mercredi 25 septembre 2019

25 septembre 2019 : puissance de la littérature


le juge nous a demandé si l’un d’entre nous souhaitait vivre avec papa ou maman et on a répondu d’une même voix : « On s’en fout, nous, ce qu’on veut, c’est rester tous les deux ! »
(Fanny Chartres, Solaire, L’école des loisirs, 2019)


Quand même la pluie, ça masque la lumière. On a bien vu ça avant-hier et hier à Bordeaux (manif des retraités sous la pluie, mais valait mieux ça que les canons à eau de nos chers Macron et Castaner). Certes, on avait perdu l’habitude de la grisaille, mais je comprends pourquoi je n’ai jamais voulu aller en Irlande, pourtant paraît-il si belle. Je me contente de lire la littérature (y compris poésie et théâtre) irlandaise, car sont si grands les pouvoirs de l’imaginaire et des voix intérieures que j’ai largement l’impression d’y avoir mis les pieds. En tout cas, on a grande envie de soleil. Eh bien, un peu de lecture va nous y aider.



Ernest, le jeune héros de Solaire, roman pour la jeunesse de Fanny Chartres (premier que je lis d’elle, et je sens que ce ne sera pas le dernier), se retrouve coincé dans une vie chaotique, du fait qu’après le divorce des parents, ils passent la semaine chez la mère, anéantie par le divorce, devenue incapable de travailler, et sous hautes doses de médicaments, qui la rendent semblable à une loque, tout juste capable de se vautrer sur le canapé pour regarder la télé ou devant l’ordinateur pour jouer à des jeux vidéo (Tétrys, Sims). Certes notre Ernest, en CM1 et sa sœur Sara (en seconde au lycée), qu’il appelle "Ossette", se rendent bien compte que leur famille n'est pas comme "toutes les autres", mais ils se gardent bien de le faire savoir à l’entourage, copains d’école, personnel enseignant, de peur qu’on les sépare en les plaçant dans des familles d’accueil. Tous deux sont "comme les deux doigts de la main", inséparables malgré leur différence d’âge.
Les déficiences de leur mère les obligent à faire les courses, le ménage, à préparer les repas (le menu est hebdomadaire et peu varié), et à aller à la pharmacie prendre les médicaments prescrits par le "Grand Médecin" (probablement un psychiatre) ou le "Petit Docteur" pour le quotidien dépressif de la mère. Ce qui va déclencher le côté solaire d’Ernest, l’obliger à se surpasser, à se comporter presque en adulte, c’est quand l’infirmière scolaire du lycée, Jeanne (il la trouve très belle) le fait appeler (l’école est voisine du collège et du lycée) parce que Ossette a fait un malaise : "J’ai l’impression que Sara ne se nourrit pas assez", lui explique Jeanne. Ernest se sent assez fort pour tenter de redonner l’appétit de vivre à sa sœur.

 
En même temps il est un bon lecteur, et s’aide, pour ce faire, de personnages issus de ses lectures : certains sont maléfiques, comme le loup de l’album de Mario Ramos, C’est moi le plus fort ; d’autres bénéfiques comme le BGG (Le Bon Gros Géant de Roald Dahl). Ce qui donne au récit, raconté par Ernest lui-même une tonalité presque magique. Cependant le réel n’est pas escamoté. Mais la force de l’imagination du petit garçon, l’amour qu’il porte à Ossette, et aussi l’aide qu’il rencontre auprès de Francine, une fille de sa classe, dont le frère Gaspard est dans la même classe que sa sœur, de Lucien, le sympathique chauffeur du bus scolaire, et de Jeanne, l’infirmière, vont contribuer à les faire grandir tous, à faire assaut de générosité. Au loin, le père, qui aime beaucoup les enfants, qu’il a de temps en temps en week-end (mais au retour, ils retrouvent la mère plus déprimée que jamais, se sentant "abandonnée") apporte une présence rare, mais attentive.

 
Ce beau roman aborde un thème pas si fréquent : la solidarité frère-sœur et le situe dans un cadre un peu particulier : le divorce, qui a aggravé les tendances dépressives de la mère, avec la grave répercussion de l’anorexie de la fille aînée. Ça, c’est le canevas réaliste. Mais les voies de l’imaginaire littéraire (outre Ramos et Dahl, l’auteur convoque Sendak et le poète Éluard) et celles de la chanson (Dalida, Aznavour et d’autres) jouent un grand rôle pour ensoleiller les cœurs, avec aussi l’aide d’un voyage au bord de la mer, à Saint-Malo. Pas de sensiblerie, pas d’édulcoration, le lecteur sait qu’on n’est pas dans une famille parfaite. Mais beaucoup de poésie (Ernest qui a repéré que sa sœur aime la poésie, lui concocte un livret de recettes poétiques pour les repas de chaque jour), d’émotion, de justesse et de sensibilité. Il en fallait pour que l’histoire soit crédible et laisse in fine un brin d'espoir dans ce qui pouvait passer pour un peu misérabiliste. Un roman pour les jeunes que bien des adultes devraient lire ! Car il démontre la puissance de la littérature et des pouvoirs de l'imaginaire qu'elle déploie pour mieux vivre, et même, peut-être, changer la vie...


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