jeudi 30 juillet 2015

30 juillet 2015 : la catastrophe européenne


On continue aujourd'hui à se scandaliser des totalitarismes effroyables d'un passé encore bien récent. Comment ne pas partager l'horreur de leur mémoire et l'envie de les bannir à jamais ? Mais aussi, comment ne pas voir dans cette horreur entretenue un alibi de l'acceptation domestique d'un « paisible » totalitarisme planétaire dont la morgue est plus discrète, mais plus insidieuse encore, et dont les dégâts risquent d'être objectivement de plus en plus tragiques ?
(Sergio Ghirardi, Nous n'avons pas peur des ruines : les situationnistes et notre temps, L'insomniaque, 2004)


L'Europe fait beaucoup parler d'elle : d'abord pour son incapacité à lutter contre l'évasion fiscale. Tu penses bien, Coco, que ça fait fonctionner le marché. Oui, le marché du fric. Pour son incapacité à traiter les problèmes des plus pauvres : mainmise sur la Grèce, en dépit d'un gouvernement légitime (mais il n'est pas exclu qu'on prépare un coup d'état, comme un autre se prépare en Amérique latine contre le Venezuela, tant nos facétieuses « démocraties » occidentales n'ont jamais aimé ceux qui votent mal) ; non-respect de l'humanité des migrants (voilà-t-y pas que les journaux anglais proposent d'envoyer l'armée britannique contre ceux de Sangatte ! On savait que l'armée et la police étaient les chiens de garde des puissants, ça se confirme en permanence) ; propos malséants de nos gouvernants (Manuel Valls : « Les roms bulgares et roumains n'ont pas vocation à rester en France ». On imagine que les mafieux de ces mêmes pays ont, eux, vocation à participer à l'économie de marché à l'occidentale, fût-elle une économie parallèle, et donc à y rester) ; hausse des loyers vertigineuse en France (+ 42 % en dix ans ; tiens, je croyais que le coût de la vie n'avait presque pas bougé ! les loyers doivent pas entrer en ligne de compte) ; rétablissement d'une sorte d'esclavage : par exemple, travail sous-payé de Roumains sur le chantier pharaonique du futur port méthanier de Dunkerque (300 € par mois, pour 60 h de travail hebdomadaire, qui dit mieux ! Et on ose se moquer de pays comme le Qatar avec ses chantiers pharaoniques et la situation qui y est faite aux travailleurs) et sans doute sur tout un tas d'autres chantiers en Europe (tiens, le futur aéroport de Nantes sera sans doute construit dans les mêmes conditions, c'est bon pour le marché, ça, coco !), etc., etc.
Et vous voudriez que la majorité de la population applaudisse des deux mains une Europe pareille, qui n'est ni celle des nations, ni celle des peuples, ni celle de l'être humain, mais celle du fric et de l'économie déréglementée. Je me souviens qu'effectivement ça s'appelait autrefois « Marché commun ». Les élections européennes sont du pipeau – comme, sans doute, la majorité des élections. Tout devient du marché : le covoiturage, qui au début se faisait de gré à gré et se voulait du partage, est devenu du business organisé par des sociétés. Lucile a été sidérée par ce qu'elle a payé pour faire Bordeaux-Rennes, le voyage n'ayant rien coûté à la conductrice, qui s'en vantait. Je n'arrête pas de recevoir des pubs pour louer mon logement en mon absence, et même pour louer ma voiture. Et dire que je les prêtais volontiers. Je dois être complètement con. Je croyais que le don, la gratuité, l'hospitalité, l'échange, ça avait du sens. Non, tout se paye désormais ! Grand-mère, au secours, le monde est devenu fou !
Heureusement que je peux encore lire gratos (ou presque) grâce aux bibliothèques, y emprunter aussi des disques, des films, qu'on trouve encore des cinémas à des prix raisonnables et sans publicité (Utopia à Bordeaux), des lieux de rencontre conviviaux, des jardins partagés, des toilettes publiques gratuites (de plus en plus rares : à Bordeaux, elles sont en voie de démolition), que l'amitié n'est pas encore à acheter (l'amour, hélas, est largement entré dans l'économie de marché, depuis longtemps avec la prostitution et le mariage imposé ou arrangé, et ça ne s'arrange pas, quand on voit les fortunes dépensées ici ou là pour un mariage, qui se termine une fois sur deux par un divorce, mais on imagine que notre société consumériste, jamais à court d'idées, va inventer de fêter les divorces et les séparations !), que des amis ou ma famille m'accueillent toujours gracieusement comme je fais pour eux...
De plus, il faut voir toutes les pétitions contre la construction de nouveaux HLM (ma bonne dame, ça va me boucher la vue, et puis ce sont des pauvres qui vont habiter là, et qui sait, peut-être même basanés, mon Dieu, l'horreur !). Ce qui ne date pas d'aujourd'hui, on se souvient du "Salauds de pauvres" lancé par Gabin dans La traversée de Paris ou de l'expression horrifiée de Blanche dans la pièce de George Bernard Shaw, La maison des veufs : "Oh, j'ai horreur des pauvres. En tout cas, j'ai horreur de ces gens sales, ivrognes et tarés qui vivent comme des porcs".
Oui, on est mieux chez les « honnêtes gens », ceux qui ont le pouvoir ; certes "Pendant qu'à des degrés différents ils se sucrent en argent, privilèges et pouvoir, les décideurs minables d'une société d'esclaves-électeurs demandent incessamment des sacrifices aux chômeurs et aux travailleurs rétribués avec des salaires de misère. Un nouvel impôt saigne-t-il ceux qui peinent déjà à s'en sortir ? C'est dans l'intérêt commun, pour favoriser la compétitivité. Peu importe si cette compétitivité absurde œuvre toujours dans l'intérêt des actionnaires et des banques, ne se traduisant jamais par une amélioration dans la vie quotidienne des gens" (Sergio Ghirardi, Lettre ouverte aux survivants : de l'économie de catastrophe à la société du don, Éditions libertaires, 2014). Mais au moins avec eux, on est dans le propre, le bien repassé, le smoking, les robes du soir, la couture de luxe, les Mercedes et les Rolls-Royce, les jets privés, les yachts princiers et même les plages qu'un préfet déclare soudain privées à leur intention (ce mois-ci !)... 

 
Le rêve hugolien de l'Europe s'est transformé en cauchemar...

Aucun commentaire: