De
tous côtés, les preuves affluent que les intellectuels n’ont
jamais été aussi conformistes qu’aujourd’hui, c’est-à-dire
entièrement soumis au pouvoir du jour, prêts à s’incliner devant
toutes les puissances...
(Marc
Bernard, À
l’attaque,
Le Dilettante, 2004)
Le
jour où je n’aurai plus envie de découvrir de nouveaux auteurs
et de nouveaux livres, ce sera le commencement de la fin. Le jour où
je n’aurai plus envie de découvrir de nouveaux cinéastes et de
nouveaux films, ce sera le commencement de la fin. Le jour où je
n’aurai plus envie de découvrir de nouvelles têtes à qui offrir
un sourire, ce sera le commencement de la fin. Le jour où je
n’aurai plus envie de donner aux associations humanitaires, aux
SDF, aux migrants, aux cagnottes des grévistes, ce sera le commencement de la fin. Le jour où je
n’aurai plus envie de me donner aux vieillards ou aux jeunes en
difficulté, aux malades et aux isolés, ce sera le commencement de
la fin. Le jour où je n’aurai plus envie de me révolter contre
l’injustice, contre les marchands d’armes, contre la violence
d’État, ce sera le commencement de la fin. Le jour où je n’aurai
plus envie d’être
dans l’empathie, dans l’accueil, dans l’ouverture aux autres,
ce
sera le commencement de la fin. Le jour où je n'aurai plus envie de monter à vélo, ce sera le commencement de la fin. Le jour où j’applaudirai
les puissants de
ce monde,
ce
sera le commencement de la fin. Le jour où j’applaudirai
les gendarmes casseurs de ZAD
et
les soldats qui tirent sur une foule sans armes, ce
sera le commencement de la fin. Le jour où j’applaudirai
les patrons et les actionnaires qui délocalisent sans état d’âme,
ce
sera le commencement de la fin. Le jour où j’applaudirai
la
casse des services publics, ce
sera le commencement de la fin. Le jour où je
n’aurais plus envie d’écrire...
Sem, le Néerlandais en route vers Compostelle à vélo, de passage chez moi
Mais ces jours ne sont pas encore arrivés. Tant mieux.
manif du 26 mai à Paris : une des banderoles de notre groupe
Je
garde encore l’espérance, malgré tous les malheurs qui nous
environnent (migrants qui se noient en Méditerranée – et j’en connais qui applaudissent ! Gazaouis désarmés sauvagement
mitraillés
par la soldatesque – et j’en connais qui applaudissent ! Zadistes
dont on démolit les réalisations
et les projets
– et j’en connais qui applaudissent ! militants
qui aident les migrants et se retrouvent condamnés pour délit de
solidarité –
et j’en connais qui applaudissent !
familles
entières qui dorment dans la rue – et j’en connais qui
applaudissent ! chômeurs à qui on propose un emploi à 200 km de
chez eux – et j’en connais qui applaudissent ! députés
qui votent la prolongation du glyphosate –
et j’en connais qui applaudissent !...),
oui, je garde l’espoir que des jours meilleurs arriveront, peuvent
encore survenir.
manif du 26 mai à Paris : un autre groupe
Nous
avons encore (pour combien de temps ?) le
droit de manifester – et pourquoi s’en priver : pour
l’instant, contrairement à Gaza, l’armée ne nous tire pas
dessus (quoique... à Notre-Dame-des-Landes !) ; nous avons encore
le
droit de dire non à
la publicité envahissante – et même de la combattre ; nous
avons encore le droit de refuser d’être addict aux objets
technologiques (encore vu hier dans le parc de jeux d’enfants en
bas de chez moi un petit gamin de deux ans accroché aux jupes de sa
mère et pleurant, celle-ci plongée dans son pianotage de smartphone
finit par lui dire, excédée, sans quitter des yeux son smartphone :
« Mais tu m’embêtes, à la fin ! » –
j’ai
eu une forte envie de lui arracher son engin et de le fracasser contre le
toboggan) ; nous avons encore le droit de refuser les caisses
automatiques dans les supermarchés ; nous avons encore le droit
de ne regarder ni le tournoi de Roland-Garros, ni les courses de
Formule 1, ni la Coupe du monde de foot, nouveaux opiums du peuple ; nous avons encore le
droit de prôner une saine sobriété et de refuser cette course à la croissance infinie qui va finir
par dévorer notre planète ;
nous avons encore le droit de dire non à cette "boulimie possessive du monde" que dénonce à juste titre
Christophe Salaün dans son excellent Éloge
de la roue libre...
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