À
l’époque, il y avait toujours quelqu’un pour me donner courage.
Cette fois, je ne pouvais compter que sur moi...
(Paolo
Cognetti, Le garçon sauvage : carnet de montagne,
trad. Anita Rochedy, Zoé, 2016)
Claire
et moi nous nous sommes connus en janvier 1978 (donc il y a quarante ans), quand elle déboula à la
Maison des jeunes et de la culture d’Auch, un mercredi soir, pour
intégrer notre groupe de danses folkloriques. Une fois débarrassée
de ses oripeaux d’hiver, on vit qu’elle avait mis ce jour-là un
chemisier blanc et une jupe verte flottante qui lui descendait
jusqu’aux genoux et qui virevoltait quand elle dansait. Comme je
lui ai dit quelques années plus tard : « si tu étais venue en pantalons,
je ne t’aurais sans doute même pas regardée. » Mais ce qui me fit la remarquer
davantage encore, ce fut qu’à la pause, vers 21 h 30, elle sortit de son sac un
paquet de cigarettes (à l’époque, on pouvait encore fumer dans
les lieux publics), et que je me suis précipité vers elle, avant
même qu’elle attrape son briquet, pour lui dire : « Tu
ne vas pas nous empester avec tes cigarettes ! » Drôle de
manière d'entrée en matière pour commencer une relation qui a duré jusqu’en 2009 et qui
perdure encore…
Car
si, "dans
les pays européens, on a marginalisé la dimension spirituelle de la
vie" (selon Tahar Ben Jelloun), je fais partie de ceux qui font de cette dimension le sel de la vie, parce qu'elle révèle la seule beauté qui vaille : la beauté intérieure, celle de l'âme. Ce pourquoi j’aime beaucoup lire ("les
livres sont des portes battantes sur la vie", nous dit Marielle
Macé), sortir à la rencontre des gens (encore ce samedi, je suis
allé pour la première fois découvrir des lecteurs inconnus au Cercle
des éplucheurs de polars
de ma bibliothèque de quartier), exercer mon corps (je viens de
faire le tour du lac de Bordeaux juché sur Bucéphale), écouter de
la musique (en écrivant ce post, j'ai mis les Gymnopédies
de
Satie), voir des films (hier au soir un curieux dessin animé chinois à
l’Utopia : Have
a nice day)
et écrire aussi (même si je n'ai pas encore atteint la qualité désirée). Oui, dans l’engluement matériel où on baigne,
l’esprit souffle toujours.
C’est
cette
dimension spirituelle qui crée le souvenir, qui
nourrit l’amour, qui fonde l’aspiration
à la joie et fomente le désir de vivre, en dépit des embûches de la
société. "Fais
aux autres tout ce que tu voudrais qu’on te fît", écrivait vers 1795
Gracchus Babeuf dans Le
Manifeste des Plébéiens
(rééd. Mille et une nuits, 2010). Tout un programme, le contraire
de l’individualisme forcené dans lequel la civilisation
contemporaine nous a enfermés. Tout ce qui fait qu'on s'intéresse aux personnages âgées, aussi bien qu'aux enfants, à tout ce qui nous rend plus humains. Tout ce qui fait que les morts sont
encore parmi nous, à chaque fois qu’on pense à eux et
qu’on se dit : « Qu’auraient-ils pensé de nos actions ?
Sommes nous-restés à leur hauteur ? », et qu’ils
apparaissent dans nos rêves.
Claire,
neuf ans aujourd'hui que tu n’es plus là… Mais ce n'est comme si tu étais vraiment
partie ! Tu m’accompagnes sur mon vélo (comme tu le fis
pendant nos merveilleuses randonnées des vacances d’été 1980 et
1981), tu m’accompagnes quand je lis, tu m’accompagnes à Venise
(même si tu m'y manques terriblement et que je regrette de ne pas t'y avoir ramenée une seconde fois) ou dans d’autres festivals de cinéma où je choisis les films à
voir pour les partager encore avec toi, tu m’accompagnes quand je
ris aux éclats avec mes proches, tout comme quand je pleure et
souffre devant toutes les horreurs du monde, tu
m’accompagnes dans ma solitude, plus sûrement que bien des
personnes que je côtoie… Et si je parle encore beaucoup de toi, c'est
que je sais que tu peux encore apporter quelque chose aux autres, et tu es si souvent dans mes paroles que, parfois, ceux qui l’ignorent sont tout
étonnés de découvrir que je parle d’une morte.
Je
crois fermement que "Jusque dans notre mort nous épousons la
terre" (Chloé Landriot, Un
récit,
Polder, 2017). Et que c'est toi qui me donne le courage de continuer…Et je compte encore sur toi, à jamais...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire