dimanche 17 juin 2018

17 juin 2018 : Beauté, mon beau souci



De ma vie je fais un poème, du poème ma vie,
La poésie est la manière de vivre, et l’unique manière de mourir
(Eeva-Lise Manner, Le rêve, l’ombre et la vision, trad. Jean-Jacques Lamiche, La Différence, 1994)



On ne peut jamais être rassasié de beauté. C’est pourquoi j’aime les gens, j’aime les contes, les romans et la poésie, j’aime le cinéma et le théâtre, j’aime les voyages, les paysages, les champs et les forêts, les campagnes, les vallées et les montagnes, j’aime les villes et les villages, j’aime les oiseaux, les chevaux, les félins ou les tortues, et j’aime aussi ce que fabriquent les humains, sauf ce qui est destiné à faire le mal (armes de toutes sortes, pesticides et autres produits chimiques, etc.). "Rien n’est plus beau que ce qu’on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître", dit un des personnages du beau film de Naomi Kawase, Vers la lumière.


C’est dire à quel point j’ai été ravi de la ressortie en copie neuve du fabuleux film de Stanley Kubrick, 2001, l’Odyssée de l’espace, dont on fête le cinquantenaire. Je l’avais vu pour la première fois en 1969, à Marmande, dans une de ces grandes salles de cinéma qui existaient alors, et j’étais resté scotché dans mon fauteuil. À la fin du film, mon ami Manuel, Costaricien, lecteur d’espagnol au lycée où j’enseignais alors, dut me taper sur l’épaule pour me faire lever : il avait cru que je m’étais endormi. Que nenni ! J’étais subjugué et je n’avais guère envie de sortir… Quelques mois plus tard, à Paris où je fréquentais l’École Nationale Supérieure des Bibliothèques, j’entraînai Gaston, un jeune étudiant ardennais, occupant comme moi une chambre de bonne comme répétiteur d’un collégien, à voir le film qui repassait. Depuis, c’est probablement le film que j’ai le plus souvent revu (en VHS, en dvd, au cinéma dès que l’occasion se présentait) ; j’avais apporté le dvd sur le cargo lors de mon voyage de 2015, et le regarder une énième fois, seul au milieu du Pacifique, fut une expérience inoubliable. J’étais le cosmonaute, perdu dans le vaisseau spatial en route vers l’infini, en chemin vers moi-même, flirtant avec la mort et la renaissance, au son du Beau Danube bleu et d’Ainsi parlait Zarathoustra. Un de ces bonheurs purs, enrobé de beauté parfaite et de poésie absolue. Cette nouvelle vision sur grand écran à l’Utopia m’a rajeuni de presque cinquante ans, et j’ai dû éponger mes yeux à plusieurs reprises...


La venue à Bordeaux de la frégate L’Hermione, reproduction de celle qui entraîna La Fayette au secours des Insurgents* américains en lutte pour se libérer de la tutelle britannique. Là aussi, j’ai rajeuni de vingt ans, car L’Hermione a commencé à être construite en 1997, quand j’étais conseiller pour le livre et la lecture en Poitou-Charentes. Quel rapport avec le livre, direz-vous ? C’est que j’allais à Rochefort chaque année depuis 1996 pour représenter le Directeur régional des Affaires culturelles de la région aux séances du Conseil d’administration du Centre international de la Mer (Corderie royale) que présidait Erik Orsenna. La DRAC participait au financement du projet, et j’eus l’occasion de faire des visites guidées du chantier à plusieurs reprises. Oui, un bateau aussi est beau. C’est la première fois que je montais dessus depuis qu’il est fini et qu’il a été lancé sur les flots en 2014. Évidemment, l’idéal serait de naviguer dessus, ne serait-ce que pour vérifier la possibilité du mal de mer ! Mais quelle beauté là aussi ! Dommage qu’on n’ait pas pu aller dans les profondeurs du navire et que la visite se limite au pont !


* J'apprends en vérifiant qu'Insurgents est le nom donné aux rebelles par les Anglais. Eux-mêmes se disaient Patriots et La Fayette les appelait Bostoniens.

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