mercredi 23 mai 2018

23 mai 2018 : Cuba, suite et fin


 
Tu veux que je te dise ce que c’est que le paradis ? c’est le souvenir, ma fille, rien de plus, le souvenir, beau ou laid, que nous gardons [des morts].
(Abilio Estévez, Le navigateur endormi, trad. Alice Seelow, Grasset, 2010)

 
Vu du Fort Morro de Santiago, un cargo arrivait, bravant l'embargo américain !

Il est temps de conclure sur Cuba, même si, à l’occasion, j’y reviendrai. À peine étais-je revenu qu’en plus de France-Amérique latine 33 (leur voyage va se faire en août), une autre association bordelaise (celle avec qui je suis allé au Festival de cinéma de Marrakech) me proposait un voyage à Cuba en janvier prochain. Bien sûr, la saison est moins chaude et peut-être plus propice. 

vue de l'intérieur d'un des taxis collectifs de Santiago 
(2 à l'avant à côté du chauffeur, 4 sur chaque banquette arrière)
 
Mais pour clôturer mes impressions cubaines, le déplacement en avion est ce que j’ai trouvé de plus pénible pendant ces vingt-cinq jours, surtout le voyage retour, de nuit, entassé comme des sardines dans ce Boeing. Combien j’ai regretté mes cargos ! Les autres déplacements, sur place, ont été bons, en dépit de l’état des routes incertain de Cuba : que de trous et comme les chauffeurs de taxi ont dû faire des prouesses pour les éviter ! Mais j’ai apprécié aussi les vélos-taxis, pris deux fois seulement, les bus Roturo (coopérative) et municipaux, mon grand regret est de ne pas être monté dans une voiture tirée par un cheval...

fresque murale sous un magnifique acacia tropical (Santiago)

J’ai envoyé 83 cartes postales (record battu) : à ma connaissance, aucune encore n’est arrivée ; pratiquement, 95 % de mon carnet d’adresses y est passé. À tous, je disais mon enchantement, mon avis sur ce que je voyais et sur la nourriture (que j’ai jugée bonne – j’ai toujours fini mes assiettes, ce qui confirme que je ne suis pas difficile, plusieurs membres du groupe ont été plus sévères, l’estimant manquant de variété, d’épices et de saveurs, ce qui est probablement vrai aussi). À aucun moment je ne me suis ennuyé. Je me levais souvent de bon matin pour profiter de la fraîcheur (à partir de 10/11 h, il faisait chaud) et pour me balader un peu seul.

sur l'île Largo Granma près de Santiago

Car je suis peu habitué aux voyages de groupe, sauf ceux effectués avec un objectif précis (festival de cinéma, par exemple, auquel cas chacun fait ce qu’il veut de sa journée, et on se retrouve éventuellement le soir pour le dîner ou une sortie). Ici, le programme était ficelé, et la latitude individuelle était mince, hors du petit matin justement. Mais en même temps, ça m’a fait découvrir des personnes que je ne connaissais pas, dont une Belge de mon âge assez étonnante. Donc, j’ai suivi le groupe dans ses pérégrinations, me suis inscrit aux mêmes excursions, j’ai toujours mangé avec tout le monde, et je ne me retrouvais seul que dans le silence (relatif, car parfois la musique extérieure ou le ronron des climatisations voisines se faisait entendre) de ma chambre. 

la succulente (à mes yeux) nourriture de Cuba
 
Je tenais mon carnet de bord, lisais un peu (j’ai lu sur ma liseuse un volume du cycle de Chéri Bibi de Gaston Leroux, une évocation d’un siècle de persécutions des huguenots, 1685-1789, par le pouvoir royal, et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la persécution des migrants et des zadistes en France aujourd’hui – au fond, d'un siècle à l'autre le pouvoir ne change pas de méthodes ! – et un formidable portrait de la conjugalité par Balzac : Petites misères de la vie conjugale, où la férocité et la noirceur de l’observation balzacienne atteint des sommets, femmes et hommes étant mis dans le même sac : "Un mari doit toujours savoir ce qu’a sa femme, car elle sait toujours ce qu’elle n’a pas") et j’ai plutôt assez bien dormi, compte tenu du fait que je ne sais plus ce que c’est que bien dormir depuis longtemps.

costumes carnavalesques dans une rue de Santiago
 
Je me disais : « quand même, comment se fait-il que nous, Français, nous plaignions tout le temps, alors que les Cubains ont tellement plus de sujets de plaintes (confort nettement moindre que chez nous, pauvreté plus générale, absence d’accès à internet, faibles salaires et retraites et pouvoir d’achat restreint), et se montrent pourtant dans l’ensemble souvent enjoués (je pense en particulier aux enfants et adolescents), chantent et dansent facilement, et donnent l’impression de savoir vivre dans des conditions qui parfois, nous paraitraient difficiles ». La rue est toujours animée, on vit d’ailleurs beaucoup dehors jusqu’à des heures tardives.

une cloche du Musée des bandits deTrinidad
 
Le régime a dû s’adapter à la suite de l’effondrement de l’URSS et de ses satellites, qui le fournissaient notamment en produits alimentaires divers et variés. L’agriculture a été en partie dé-collectivisée, des rizières ont été implantées, l’élevage bovin s’est développé, tout en restant extensif. On est cependant frappé par l’abondance des friches. On est loin de l’exploitation intensive des terres, telles que connue chez nous, où il s’agit de faire rendre gorge à la planète, à grands coups de produits chimiques mortifères. Ici, peu d’engrais artificiels, la nourriture est donc assez saine.

les inévitables grands hommes (souvent héros de la Guerre de libération au XIXème siècle)
ici, sur une place de La Havane

Mais les fameux principes ont été écornés : le slogan Jamais nous ne renoncerons à nos principes, qui fut la réponse de Castro à Bush senior, quand ce dernier a proposé de desserrer l’étau du blocus et l’embargo, à la condition que Cuba renonce à ses principes (et les USA continuent maintenant de se comporter en maîtres du monde, ils nous dictent leur loi sur ce qu’il convient de faire face à l’Iran, entravant notre liberté d’entreprendre et de commercer, alors imaginons ce que ça donne avec Cuba !), ce slogan rageur est tout de même mis à mal. On sent que les jeunes sont attirés par le mode de vie des USA, les fast-foods commencent à fleurir, le smartphone est ici aussi une addiction maladive, on s’habille de plus en plus comme chez nous... Seule la religion santeria, afro-cubaine, fleurit encore, faisant de nouveaux adeptes, tout vêtus de blanc, et nous donne une idée d’un certain Cuba sans doute plus authentique... et moins rationnel !

l'apéro, heureusement pas mortel (le rhum titre à peine 14°)

Je crois que j’y retournerai au moins une fois, que je continuerai à voir des films cubains, à lire de la littérature cubaine, à écouter de la musique cubaine. Et j’espère qu’ils résisteront encore à l’ogre américain !


une curieuse sculpture (naturelle ?) près du bord de l'eau à Santiago
 

 

Qui aurait cru que 
la Scala de Milano 
se trouvait 
à Santiago de Cuba ?

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