vendredi 8 juin 2018

9 juin 2018 : Éloge de la roue libre


il me décrit sa passion pour les randonnées à bicyclette : le bonheur de l’effort sur les routes sinueuses, la souffrance dans la montée, de plus en plus abrupte à mesure qu’on s’approche du sommet, dans la chaleur torride, la progression ralentie par la dureté de la pente, puis le basculement, le lâcher-prise dans la descente, l’abandon à la vitesse qu’il faut maîtriser cependant, qui s’offre à vous telle une prouesse et un danger.
(Xavier Person, Derrière le Cirque d’hiver, Verticales, 2018)


Certains d’entre vous se souviennent que j’avais terminé le récit (tiens, à propos, il n’est pas encore épuisé, et si vous séchez sur un cadeau à faire à des amis cyclistes, commandez-leur mon bouquin chez votre libraire préféré : Le journal d’un lecteur : le Poitou-Charentes et l’Aquitaine à bicyclette, Geste éditions, 2007, ISBN 9782845615076, 16 € seulement, il est toujours en vente) de ma randonnée de cyclo-lecteur de 2007 par un vibrant éloge du vélo.


Je continue bien entendu à lire des livres sur l’usage de la petite reine et, comme mes amis me connaissent bien, il leur arrive de me prêter un livre dont j’ignorais l’existence : ainsi, tout dernièrement, à Paris, l’ami José Luis m’a fait découvrir le formidable Éloge de la roue libre, écrit par le philosophe Christophe Salaün. On peut entendre ce dernier de temps à autre dans l’émission quotidienne de philosophie Les chemins de la philosophie (précédemment chemins de la connaissance) de 10 à 11 h (ainsi avant-hier matin mercredi où il causait de Schopenhauer).
Il y décrit ainsi les bienfaits physiques et mentaux du vélo. Chemin faisant, il s’appuie sur de nombreux auteurs, à commencer par l’empereur et philosophe romain Marc-Aurèle, dont il cite "Nulle part, l’homme n’a de plus paisible retraite, et de mieux protégée contre les ennuis, que dans son âme" (Pensées à moi-même, IV, 3). Mais il convoque aussi, à l’appui de ses dires, Roland Barthes et ses Mythologies, Ivan Illich et Énergie et équité, Henry Miller, Pétrarque, Sartre et L’être et le néant, Mark Twain ou Émile Zola et son Paris. Le vélo, c’est la découverte de soi et du monde, dont on n’est pas séparé. Il constate que "À vélo je traverse ainsi l’espace sans le modifier, je fends l’air sans le perturber". Loin de circonscrire le monde et d’en faire le tour, on se construit dans la paix de l’âme et la solitude.
"Faire du vélo, c’est par cet arrachement progressif au sol, manifester une liberté première et par la direction que je donne que je marque à l’aide du guidon, je n’imprime pas seulement un sens physique mais bien une signification à mon action. Le vélo, c’est le gouvernement de soi, l’apprentissage des limites physiques et sociales, individuelles et collectives – autant que l’art d’en jouer,de réaliser la norme entre l’équilibre et son propre désir". Il soutient que "le vélo, au contraire de la course, est un art du détour. Il m’importe si peu d’aller vite et de prendre au plus court", ce qui m’a rappelé mes dernières années de boulot où, comme la Bibliothèque Universitaire n’était qu’à 1, 5 km de mon domicile, je faisais un long détour pour sortir de la ville et rejoindre mon lieu de travail par une autre route, ce qui m’allongeait de 10 km et me maintenait en bonne santé. Le vélo, d’ailleurs, mieux qu’un psy, m’a permis de supporter les années de maladie de Claire et de l’accompagner sur son chemin difficile.
Christophe Salaün note aussi que le principe du vélo, c’est l’équilibre et il peste un peu contre l’excessive prudence dont on fait preuve aujourd’hui : "De nos jours, on apprend aux enfants à faire du vélo, on les assiste, on les tient, on les protège des chutes. Comme on est loin de la méthode cycliste ! Par cette attention et ces soins, loin de donner à l’exercice la solennité d’un geste initiatique, on l’édulcore, on le banalise. Les enfants m’ont pas l’occasion ainsi de s’éprouver, de rencontrer par eux-mêmes les limites de leur propre corps. Mais ils héritent à coup sûr des peurs qui animent leurs parents". J’avoue que l’imposition du port du casque (je comprends qu’il soit obligatoire pour les enfants, ou dans le cas des descentes en montagne) ne me botte pas trop. Le vélo est lent par nature (excepté dans les descentes), et quand on a atteint mon âge, c’est même cet aspect qu’on apprécie avant tout. 

Thomas et son vélo surchargé chez moi, entre Montpellier et la Normandie le 31 mai dernier
(je lui ai montré mon tee-shirt du marathon de New York 1979)
 
Je dirai aussi (et Salaün le confirme) que le vélo est un formidable instrument de méditation (à l’instar d'ailleurs de la course à pied, et j'ai encore la nostalgie des marathons), le cerveau carbure à fond, c’est "un temps dédié à la pensée et à la culture", et aujourd’hui, cerise sur le gâteau, un temps où l’on peut se déconnecter de toute cette panoplie encombrante qui nous assujettit : internet, smartphone, c’est-à-dire un temps purement livré à l’oisiveté, à la vacance, à l’esprit libre et à la liberté tout court. N’est-ce pas beaucoup dans notre monde contemporain ? Que dis-je ? C’est énorme dans un monde où l’on rêve de voir, et c'est rare je dois dire, un café nous indiquer : Café sans wi-fi (ils doivent perdre des clients à l'heure où ils installent tous des écrans de télé géants pour la Coupe du monde de foot...) !

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