il
me décrit sa passion pour les randonnées à bicyclette : le
bonheur de l’effort sur les routes sinueuses, la souffrance dans la
montée, de plus en plus abrupte à mesure qu’on s’approche du
sommet, dans la chaleur torride, la progression ralentie par la
dureté de la pente, puis le basculement, le lâcher-prise dans la
descente, l’abandon à la vitesse qu’il faut maîtriser
cependant, qui s’offre à vous telle une prouesse et un danger.
(Xavier
Person, Derrière le Cirque d’hiver,
Verticales, 2018)
Certains
d’entre vous se souviennent que j’avais terminé le récit
(tiens, à propos, il n’est
pas encore épuisé, et si vous séchez sur un cadeau à faire à des
amis cyclistes, commandez-leur mon bouquin chez votre libraire préféré : Le
journal d’un lecteur : le Poitou-Charentes et l’Aquitaine à
bicyclette, Geste éditions,
2007, ISBN 9782845615076, 16 € seulement, il est toujours en vente) de ma
randonnée de cyclo-lecteur de 2007 par un vibrant éloge du vélo.
Je
continue bien entendu à lire des livres sur l’usage de la petite
reine et, comme mes amis me connaissent bien, il leur arrive de
me prêter un livre dont j’ignorais l’existence : ainsi, tout
dernièrement, à Paris, l’ami José Luis m’a fait découvrir le
formidable Éloge de la roue libre,
écrit par le philosophe Christophe Salaün. On peut entendre ce
dernier de temps à autre dans l’émission quotidienne de
philosophie Les chemins de la philosophie (précédemment
chemins de la connaissance)
de 10 à 11 h (ainsi avant-hier matin mercredi où il causait de
Schopenhauer).
Il
y décrit ainsi les bienfaits physiques et mentaux du vélo. Chemin
faisant, il s’appuie sur de nombreux auteurs, à commencer par
l’empereur et philosophe romain Marc-Aurèle,
dont il cite "Nulle
part, l’homme n’a de plus paisible retraite, et de mieux protégée
contre les ennuis, que dans son âme"
(Pensées
à moi-même,
IV, 3). Mais
il convoque aussi, à l’appui de ses dires, Roland Barthes et ses
Mythologies,
Ivan Illich et Énergie
et équité,
Henry Miller, Pétrarque, Sartre et L’être
et le néant,
Mark Twain ou Émile Zola et son Paris.
Le vélo, c’est la découverte de soi et du monde, dont on n’est
pas séparé. Il constate que "À
vélo je traverse ainsi l’espace sans le modifier, je fends l’air
sans le perturber".
Loin
de circonscrire le monde et d’en faire le tour, on se construit
dans la paix de l’âme et la solitude.
"Faire
du vélo, c’est par cet arrachement progressif au sol, manifester
une liberté première et par la direction que je donne que je marque
à l’aide du guidon, je n’imprime pas seulement un sens physique
mais bien une signification à mon action. Le vélo, c’est le
gouvernement de soi, l’apprentissage des limites physiques et
sociales, individuelles et collectives – autant que l’art d’en
jouer,de réaliser la norme entre l’équilibre et son propre
désir".
Il
soutient que "le
vélo, au contraire de la course, est un art du détour. Il m’importe
si peu d’aller vite
et de prendre au plus court",
ce
qui m’a rappelé mes dernières années de boulot où, comme la Bibliothèque Universitaire
n’était qu’à 1, 5 km de mon domicile, je faisais un long détour
pour sortir de la ville et rejoindre mon lieu de travail par une
autre route, ce qui m’allongeait de 10 km et me maintenait en bonne
santé.
Le
vélo, d’ailleurs, mieux qu’un psy, m’a permis de supporter les
années de maladie de Claire et de l’accompagner sur son chemin
difficile.
Christophe
Salaün note aussi que le principe du vélo, c’est l’équilibre
et il peste un peu contre l’excessive prudence dont on fait preuve
aujourd’hui : "De
nos jours, on apprend aux enfants à faire du vélo, on les assiste,
on les tient, on les protège des chutes. Comme on est loin de la
méthode cycliste ! Par cette attention et ces soins, loin de
donner à l’exercice la solennité d’un geste initiatique, on
l’édulcore, on le banalise. Les enfants m’ont pas l’occasion
ainsi de s’éprouver, de rencontrer par eux-mêmes les limites de
leur propre corps. Mais ils héritent à coup sûr des peurs qui
animent leurs parents".
J’avoue
que l’imposition du port du casque (je comprends qu’il soit
obligatoire pour les enfants, ou dans le cas des descentes en
montagne) ne me botte pas trop. Le vélo est lent par nature (excepté
dans les descentes), et quand on a atteint mon âge, c’est même
cet aspect qu’on apprécie avant tout.
Thomas et son vélo surchargé chez moi, entre Montpellier et la Normandie le 31 mai dernier
(je lui ai montré mon tee-shirt du marathon de New York 1979)
Je
dirai aussi (et Salaün
le confirme) que le vélo est un formidable instrument de méditation
(à l’instar d'ailleurs de la course à pied, et j'ai encore la nostalgie des marathons), le cerveau carbure à fond,
c’est "un
temps dédié à la pensée et à la culture",
et aujourd’hui, cerise sur le gâteau, un temps où l’on peut
se
déconnecter
de toute cette panoplie encombrante qui nous assujettit :
internet,
smartphone, c’est-à-dire un temps purement livré à l’oisiveté,
à la vacance, à l’esprit libre et à la liberté tout court. N’est-ce
pas beaucoup dans notre monde contemporain ? Que dis-je ?
C’est énorme dans un monde où l’on rêve de voir, et c'est rare je
dois dire, un café nous indiquer : Café
sans wi-fi
(ils doivent perdre des clients à l'heure où ils installent tous des écrans de télé géants pour la Coupe du monde de foot...) !
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