mardi 14 mai 2013

14 mai 2013 : la comédie des ratés


Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,

Et s'est vêtu de broderie,

De soleil luisant, clair et beau.

(Charles d'Orléans)



Ben, décidément, on ne peut pas précisément dire que "le temps a laissé son manteau de vent, de froidure et de pluie", et pour moi qui circule le plus souvent à vélo, parfois à pied (s'il pleut, justement), je ne sais pas vraiment comment m'habiller, alors que nous arrivons à la mi-mai. Si je me découvre un tant soit peut, j'ai froid, si je me couvre (actuellement, je sors avec quatre épaisseurs, les deux plus couvrantes étant une veste polaire et par-dessus, ma veste de laine achetée en Suède en 2004), j'ai un peu chaud. En fin de compte, je préfère avoir chaud, et m'étonne de voir des jeunes quasiment en tee-shirt dehors, où avec dans les 10° le matin et 16-17° l'après-midi, je me sens presque encore en mars. Quand il ne tombe pas des gouttes inattendues... Le magnifique rondeau de Charles d'Orléans, poète médiéval, attendra encore son application cette année.

J'en profite donc pour rester chez moi, faire un peu de ménage, continuer à lire et à écrire (une première mouture de mon texte sur « Louise Michel » est achevée), à regarder des opéras (je viens d'acheter et de visionner le dvd du très beau « Mireille » de Gounod, qui regorge de parties superbes, opéra que j'avais vu au Capitole de Toulouse en 1977 et dont je gardais un souvenir éblouissant), à me balader et aussi à sortir voir des films.

C'est ainsi que je viens de découvrir un de ces joyaux du cinéma italien de l'âge d'or. En cette année 1960 sont sortis L'Avventura (Antonioni), La Dolce Vita (Fellini) et Rocco et ses frères (Visconti), trois films célèbres des grand maîtres, mais dont seul le troisième me passionne toujours par son côté dostoïevskien : Rocco, c'est l'idiot du romancier russe dans le monde moderne, alors que les deux premiers, très beaux, j'en conviens, m'ennuient un peu, je ne les sens pas. Mais il y avait aussi toute une cohorte de cinéastes de moindre envergure, mais non sans talent : cette même année, De Sica donnait La Ciociara (avec Sophia Loren, mon actrice préférée de l'époque), Rossellini Les évadés de la nuit, Lattuada Les adolescentes, Mario Bava son film de terreur culte Le masque du démon (avec Barbara Steele et son étrange regard de Méduse), Comencini La grande pagaille, Emmer La fille dans la vitrine, Damiani Jeux précoces, Bolognini Le bel Antonio (avec Marcello Mastroainni dans le rôle d'un impuissant), Lizzani Le bossu de Rome, Leone Le colosse de Rhodes (avant de se lancer dans le western, il faisait du péplum), Cottafavi, le maître du péplum, Messaline, Les légions de Cléopatre et Les travaux d'Hercule, et bien d'autres... Tous films que j'ai vus à l'époque ou dans les années qui suivirent et qui témoignaient d'une vitalité du cinéma italien que la télévision pré-berlusconienne tuera peu à peu dans les années 70 et surtout 80.

Quand il y a une reprise des italiens de ce temps-là, je ne la rate pas. C'est ainsi que je viens de voir Larmes de joie de Mario Monicelli, totalement inconnu, car jamais sorti en France. C'est la fameuse comédie italienne dans toute sa splendeur : une petite figurante de péplum, Tourterelle (Anna Magnani), et un acteur raté qui survit de petites escroqueries à l'assurance, Umberto, (Totò, le Buster Keaton italien), se retrouvent dans la nuit romaine de la Saint-Sylvestre, où ils sont associés pour leur malheur à un pickpocket, Lello (Ben Gazzara, oui, celui qui deviendra l'acteur fétiche de Cassavetes). Les péripéties, d'après une nouvelle de Moravia, font osciller le film entre de purs moments de comédie (les fêtards qui cherchent désespérément une quatorzième personne pour leur table, afin de n'être pas treize à table) et une chronique à la Chaplin de la misère humaine et sociale. Car tout va rater magnifiquement, si on peut dire, Tourterelle n'ayant pas été mise au courant des magouilles miteuses où Lello et Umberto l'entraînent malgré elle, et c'est elle qui fera tout échouer. L'art de la comédie italienne (comme chez Molière) est que les auteurs aiment leurs personnages, en particulier Monicelli, un habitué des héros pitoyables (revoir Le pigeon, ou La Grande Guerre, plus tard les deux Brancaleone ou Mes chers amis). L'illusion nocturne ponctuée de rêves improbables va se dissiper au petit jour, comme dans Les lumières de la ville de Chaplin. 
Ne le ratez pas quand il passera à la télé, la copie est superbement restaurée dans un noir et blanc magique. Contrairement à ce que dit Blanche de Richemont, dans son Éloge du désert, "l'habitude désapprend à admirer", je crois au contraire que la fréquentation des bons films (comme des bons livres) entraîne à admirer ceux qu'on n'a pas encore vus (ou lus) et qui sont bons ou excellents. On acquiert du flair pour juger, tout en sachant que tous les goûts sont dans la nature !

 

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