vendredi 10 mai 2013

10 mai 2013 : choqué !


Je vois tout le monde parler d'amasser pour ses vieux jours, comme si on était sûr d'avoir de vieux jours et comme si on devait désirer d'en avoir !
(George Sand, Pierre qui roule)


Curieuse journée : j'avais préparé un voyage-éclair à Arcachon, au sujet d'un héritage qui doit m'échoir et pour lequel j'ai des démarches à accomplir, en particulier j'ai besoin d'un certificat établi par le centre des impôts de la personne dont j'hérite. Ce centre des impôts est celui d'Arcachon. Par prudence, j'avais consulté internet, envoyé un coup de téléphone pour savoir si ce serait ouvert (réponse par un robot, car on sait bien que, depuis que la technique s'est améliorée, il n'y a plus personne au bout du fil, qu'on téléphone à EDF, aux impôts ou à des tas d'organismes, un robot nous répond ! : « ouvert du lundi au vendredi de 9 h à 12 h et de 13 h 30 à 16 h 30 »). Muni de ce renseignement et n'ayant trouvé nulle part que ce serait fermé ce vendredi, je prends le train ce matin, débarque là-bas pour trouver... porte close !
Ben oui, je suis scandalisé pour trois raisons :
      1. Je suis choqué de voir des tas de boutiques (hors alimentation style boulangerie, ce que j'accepte bien volontiers) ouvertes les jours fériés, et n'y mets pas les pieds par principe. Leurs employés ont bien droit au repos. Rien ne justifie l'ouverture d'un commerce, de vêtements, par exemple, un jour férié. J'espère au moins – sans en être certain, qu'ils sont surpayés ces jours-là. Tant pis si je me fais vilipender par les adeptes des ouvertures systématiques (le libéralisme) !
      2. À l'inverse, je suis tout aussi choqué de trouver fermés des établissements publics (payés avec nos impôts quand même !) un jour qui n'est pas férié. Fermeture que rien ne peut justifier. Et tant pis si je me fais vilipender par les adeptes des fermetures systématiques !
      3. Par ailleurs, je note que cette fermeture oblige tout le personnel – même ceux qui ne veulent pas prendre de congé ce jour-là, à s'absenter et à prendre donc un jour de congé obligatoire. Là aussi, je suis choqué. Les jours de congés doivent pouvoir être librement choisis, dans l'intérêt de chacun et des établissements. Il est donc assez facile d'organiser un roulement pour maintenir l'ouverture pendant des « ponts ».
Surtout quand on sait que la majorité des gens ne connaissent même plus la signification des jours fériés : non seulement les fêtes religieuses ne sont pas comprises – en ces temps de laïcisation de la société, rien de plus normal (encore que ce ne soit que des fêtes chrétiennes, ce qui me choque aussi) – mais les autres fêtes, en dehors du Nouvel an et, peut-être du 14 juillet, n'ont plus grand sens non plus : commémorer des guerres (14-18 et 39-45, c'est-à-dire le suicide de l'Europe) relève de l'absurde, et qui connaît encore, à part quelques militants, l'origine du 1er mai ?
Heureusement, j'ai pris le train, et là, je me suis retrouvé en compagnie de trois étudiantes Erasmus (une Allemande, une Italienne et une Japonaise), avec qui j'ai conversé à bâtons rompus. Quel plaisir que cette confrontation avec la jeunesse dans des lieux agréables ! Décidément, je n'utiliserai que de moins en moins la voiture, où l'on est seul, où l'on ne fait pas de rencontres.
Et, au retour, j'ai continué le formidable roman de Maxence Van der Meersch, Pêcheurs d'hommes, un de ces romans engagés comme on n'en fait plus aujourd'hui, les auteurs préférant observer leur nombril (la fameuse autofiction, je ne cite aucun nom) ou écrire pour ne rien dire (tant pis, je vais me faire vilipender, je cite des noms : les Lévy ou les Musso qui me tombent des mains au bout de trois pages) plutôt que la société qui les entoure. Et pourtant, il y aurait à écrire des romans sur le chômage (mais il faudrait avoir le talent de Zola), sur les nouveaux misérables (mais il faudrait avoir le génie de Hugo), sur le patronat et la bourse (Zola encore), sur les problèmes paysans (mais il faudrait la force de Steinbeck), sur l'environnement, sur les transferts de population (où est le moderne Erich-Maria Remarque ?), sur les guerres coloniales (j'appelle ainsi la guerre d'Afghanistan, celle d'Irak, celle du Mali, où est le Malraux d'aujourd'hui ?)... Bref, ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais les talents... et peut-être les lecteurs ! Ou les éditeurs courageux ; déjà Louise Michel remarquait dans Le livre d'Hermann, à propos du héros qui est écrivain, que sa "littérature ne convenait pas à l'époque. – Vous avez un bon style, lui dit l'éditeur, mais votre livre ne sera pas lu. Faites des romans de mœurs légères !"
Pêcheurs d'hommes, qui se passe dans les années 30, dénonce l'inhumanité du monde du travail, l'exploitation, le chômage. La description du patron de la boîte où travaille Pierre, le héros, est terrible. Les conseils qu'il donne à son jeune employé de tromper volontairement les clients, de faire payer cher parce que "il faut bien compter votre peine, voyons !" dans le prix qu'on fait payer au client, alors que les employés sont fort mal payés (de leur peine, justement), que les malades ne sont jamais remplacés, et ce paragraphe : "Je finissais le soir à sept heures. Quand j'étais prêt à partir, M. Colls, régulièrement, me trouvait un petit travail supplémentaire : remplir le poêle, changer les ampoules, reclouer une pièce de lino, de quoi me faire faire un quart d'heure de rabiot. Parce qu'il était d'avis que la loi de huit heures est une loi de fainéantise." On était juste après les lois de 1936. Et comment ne pas être choqué par ces bourgeois qui calculent qu'avec le salaire d'un ouvrier (200 francs à l'époque, quand ils les avaient !) on pouvait s'en sortir, eux dont le revenu était au minimum dix fois plus élevé.
On l'aura compris, je m'en fous de savoir si c'est de la grande littérature, ça me parle, ça ne cherche pas à me divertir bêtement, à me faire oublier la réalité, et il y a en plus derrière un message christique bienvenu, mais qui choquera ou fera sourire les sectaires rationalistes. Car n'oublions pas que Jésus était charpentier et fils de charpentier, avant de se lancer sur les routes pour devenir pêcheur d'hommes.

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