vendredi 31 mai 2013

31 mai 2013 : La belle aventure


j'ai découvert qu'il était possible d'acheter un livre par plaisir, sur un sujet qui n'était pas au programme !

(Daniel Herrero, Partir : éloge de la bougeotte)



La vie nous réserve des aventures – nombreuses, elle n'est même faite que de ça – et de belles aventures, pour peu qu'on consente comme dans les contes populaires, à sortir de chez soi pour courir le monde. Pas besoin d'aller très loin d'ailleurs, mais il suffit d'avoir les yeux ouverts (c'est le titre du beau recueil d'entretiens de Marguerite Yourcenar avec Matthieu Galey), les oreilles tendues, le corps et le cœur en éveil permanent, pour saisir ces instants et ces rencontres magiques qui sont le sel de la vie.

Pour moi, la fratrie nombreuse, l'internat, les études supérieures, les rencontres amicales et professionnelles, furent de belles aventures... Mais la plus belle aventure de ma vie – en dehors de mon mariage et des joies de ma vie de famille – fut la découverte des pouvoirs de la lecture et de la littérature. Je ne remercierai jamais assez, en premier lieu, ma mère et ma grand-mère qui, par leur exemple de grandes lectrices, m'avaient déjà aiguillé dans cette voie. Mon ami d'internat, Alain P., qui, enfant unique et extrêmement solitaire (il ne sortait du lycée de Mont-de-Marsan qu'aux vacances de Noël et de Pâques pour retrouver des correspondants en Gironde, et aux vacances d'été pour rejoindre sa mère et son beau-père en Côte d'Ivoire), était un passionné de lecture et me passa assez rapidement le virus du livre, en puisant dans les armoires pleines de livres des salles d'études, puis me fit m'inscrire à la Bibliothèque municipale, dès que nous fûmes assez grands (à partir de la seconde) pour sortir seuls, sans la surveillance des pions, le jeudi après-midi. Car il fallait bien occuper les nombreuses heures de liberté captive de l'internat : le nombre d'heures d'études était largement supérieur aux nécessités d'apprentissage des devoirs et leçons ! À remercier aussi, mon professeur de français en seconde qui nous fit découvrir Rimbaud, Apollinaire et des auteurs plus contemporains, comme Malraux, Mauriac ou Camus. Mes condisciples de l'École nationale supérieure des bibliothèques, Patrice C. et Monique R., qui m'ouvrirent des horizons inconnus de moi en me prêtant des livres de leur bibliothèque personnelle. Et ensuite, les nombreuses personnes qui ont élargi mes compétences en lecture : libraires, bibliothécaires, critiques littéraires, écrivains, membres de la famille et ami(e)s de toutes sortes et de tous âges – mes amis actuels vont de 20 à 94 ans !

Aussi n'ai-je pas été surpris qu'une librairie s'ouvre à Poitiers sous le nom de La belle aventure. J'ai connu bien des librairies au cours de ma carrière, avec souvent de belles appellations (La folle avoine, La boîte à livres, La machine à lire, Ombres blanches, Le divan, Folies d'encre, Chantelivre, À tout lire, Le tumulte des mots...), mais La belle aventure me semble le nom le plus parfait, et qui résume tout : car entrer dans une librairie est déjà en soi une aventure, et une sacrée aventure, et une belle aventure ! Il faut oser ; c'est un peu intimidant. Il y a tant de livres, que choisir, et comment ? Car on vient en librairie – en tout cas, pour moi, c'est ainsi – sans trop savoir ce que l'on va choisir. C'est le contraire des librairies en ligne où l'on commande un titre qu'on connaît, au moins par ouï-dire. Mais on ne sait vraiment comment il se présente, si la typographie va nous plaire, par exemple. Dans une librairie, on se promène le long des rayons, on ouvre, on soupèse, on flaire, on lit quelques lignes, on découvre ce qu'on ne connaissait pas, ce qu'on va se proposer de lire ou d'offrir en cadeau. Et, si la librairie est bonne, on trouvera des titres inattendus (de nous), un personnel compétent et avisé, capable de nous laisser déambuler tout seul aussi bien que de nous faire des propositions.

 

La belle aventure de Poitiers est de ces librairies. On n'y trouve pas forcément le tout-venant ni les best-sellers à la mode (et oubliés, illisibles six mois plus tard), mais on s'y abreuve à une source infinie et étonnante, car le monde des livres est d'une variété inouïe dans une bonne librairie. Le local a été admirablement aménagé. Un beau canapé de cuir rouge invite à se prélasser en compagnie de livres a feuilleter. Aucun secteur n'est négligé, en dehors des livres purement scolaires, scientifiques ou universitaires. La librairie pour enfants et adolescents (qui existe depuis 1995) est magnifique, et le secteur pour adultes (ouvert en 2010) montre la vitalité de l'édition francophone de qualité. Les animations avec les auteurs, le cercle de lectures, sont aussi des points forts.

Les librairies de proximité se heurtent aujourd'hui à la double concurrence de la vente en ligne (Amazon et Cie) et de l'apparition des livres électroniques et des fameuses « liseuses ». C'est-à-dire de l'absence d'aventure, puisque l'aventure commence quand on sort de chez soi. En particulier pour entrer dans une librairie... Vivent les librairies !

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