mercredi 1 avril 2009

1er avril 2009 : Un poisson d'avril

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Tout homme est une énigme, non seulement pour les autres, mais pour lui.
(Romain Rolland, Musiciens d‘aujourd’hui)


"Il faut être toujours ivre" chantait naguère Baudelaire dans ses Petits poèmes en prose. Et il ajoutait : "De vin, de poésie et de vertu, à votre guise".
Ces derniers temps si difficiles pour moi, je vais faire un aveu : pour tenir le coup, il m’est arrivé parfois de "picoler" un peu, en douce, deux ou trois apéros juste avant le déjeuner (rassurez-vous, pas tous les jours !) et d’atteindre un léger degré d’ivresse que je veille pourtant à ne pas dépasser, surtout quand je dois, dans l’après-midi, aller faire une course à vélo. J’attends d’ailleurs en ce cas qu’elle soit dissipée, et que demeure seulement une euphorie passagère qui m’emporte sur les ailes du vent.
Qu’on ne me jette pas la pierre ! J’ai préféré ça aux antidépresseurs prescrits par la médecine. Au moins, là, c’est moi qui décide. Et je sais que ça n’ira pas plus loin.
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Pourtant, j’ai toujours eu horreur de l’ivrognerie. Pas des ivrognes, entendons-nous, je ne juge personne. Mais la saoulerie permanente, qui n’est en fait qu’un suicide à long terme – et sans doute recherché (cf. mon grand-père paternel, mais après tout, c’est l’exercice de la liberté, ou comme dirait Claire, de la volonté propre à l’individu), avec la complicité des tenanciers de bistrots, trop contents d’avoir des "clients" réguliers – m’a toujours rebuté, au point que je n’ai jamais aimé vraiment fréquenté les cafés. Sauf pour y boire un café justement, ou, à l’occasion et assez rarement, une bière. Jamais rien d’autre, alors que, lors de mes séjours à Paris par exemple, quand j’allais dans un bistrot prendre mon petit déjeuner au sortir du train, j’observais dès potron-minet des individus ressemblant à mon grand-père, commencer leur journée par quelques petits blancs ou petits rouges de derrière les fagots qui promettaient !
D’autant que je savais très bien, pour l’avoir justement vécu dans ma famille (mon grand-père, papa aussi, et un cousin germain, devenu une loque) ou en voyant un ami assez cher, obligé de passer par une cure de désintoxication, puis de devenir un adepte fervent de la Croix bleue pour éviter de rechuter, que l’accoutumance vient très vite, et que par contre, s’en sortir est très difficile. L’alcool est de très loin la première drogue, avec la bénédiction de l’état, qui préfère faire la chasse aux héroïnomanes, cocaïnomanes, ou même aux simples usagers d’"herbe", plutôt que de toucher au lobby des revendeurs d’alcool, premiers assassins de France !
Est-il acceptable qu’un serveur ou patron de bistrot continue à servir à boire à un individu dont il sait pertinemment qu’il se ruine la santé ? Est-il normal que des adolescents ressortent de supermarchés avec des "packs" de vingt-cinq canettes de bière et des bouteilles de whisky ou de vodka pour se retrouver en fin d’après-midi avec des taux d’alcoolémie défiant toute concurrence (c’est même le mercredi après-midi, paraît-il, un véritable sport de se faire ramasser par la police avec le taux le plus élevé !) ? Est-ce correct que les serveurs et patrons de boîtes de nuit ne surveillent pas un peu mieux leurs clients pour éviter les hécatombes des week-ends ? Non, tout cela n’est pas bien. Oui, mais c’est licite, parce que ça fait marcher le commerce ordinaire.
Par contre, on va harceler un jeunot pris avec une "fumette". Là, c’est illicite. On est dans le commerce parallèle et le trafic. Que je ne défends naturellement pas. D’autant plus que la consommation de ces produits s’additionne souvent avec celle d’alcool. Mais on sait bien que l’interdiction est souvent pire que l’autorisation.
Pour rechercher quoi ? Sans doute l’ivresse dont parlait Baudelaire. Peut-être aussi celle que je recherche. Mâtinée d’une sorte d’oubli euphorisant. Et, sans être tombée dans la gravité extrême comme mon grand-père, ma légère ivresse (rare et passagère) m’a permis de mieux le comprendre. De mieux comprendre aussi qu’on n’a pas à juger ceux qui boivent, ni "ceux qui tombent", dont parle Victor Hugo dans Les Misérables, à propos de Fantine. Il fait là allusion à la prostitution. On pourrait le dire à propos de la drogue aussi. En sachant que l’alcool est également une drogue "dure" ! Non, "ceux qui tombent" méritent notre respect, et notre aide.
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Et pour en revenir à Baudelaire, il n’y a pas que le vin qui enivre. Mais aussi la poésie et la vertu. Ne l’oublions pas.
La poésie, je croyais être le seul à l’avoir pratiquée toute ma vie, n’ayant rencontré jusqu’à présent presque personne qui en lisait depuis la sortie de l’école. Beaucoup de gens en écrivent, par contre, et pas de la meilleure eau. Douce ivresse, et qui ne fait de mal à personne, tant qu’on ne se prend pas pour un Poète, et "maudit" par surcroît.
Quant à la vertu (encore un mot qu’il faudrait définir et expliciter), je pense qu’heureusement nous sommes nombreux à essayer de la pratiquer, et sans ostentation. Car, nous rappelle Pascal, "qui veut faire l’ange fait la bête". Il m’est sûrement trop souvent arrivé de vouloir faire l’ange, et de me casser la figure, car mes ailes ne fonctionnaient pas.
Néanmoins, il est bien des vertus qui procurent une certaine ivresse : le pardon, par exemple. L’exercice du corps aussi, comme je viens de le vérifier en allant en ville à vélo, et en découvrant les cerisiers en fleurs au bord du Clain ou dans les jardins entrevus au-delà des palissades, et tant pis s’il y avait trop de voitures pour mon gré, ça m’a rendu totalement ivre…
D’autant plus que j’ai aperçu mon livre en pile chez Gibert ! Un beau poisson d’avril ! Alors, oui, voilà un autre type d’ivresse. Mais ne nous appesantissons pas sur la vertu, il en est de sublimes, et qui resteront inconnues, heureusement, comme l’écrit Mme de La Fayette dans le livre qui déplaît tant à M. Sarkozy : "et sa vie qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables", dernière et magnifique phrase de La princesse de Clèves, mon roman préféré. Remarquons bien que l’auteur ne nous dit pas quels sont ces exemples, car la vertu, pour être enivrante, doit être invisible !
Parti sur le vin, je débouche (un terme qui convient aussi aux bouteilles) sur un livre ; on ne refera pas le cyclo-lecteur.

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