…si l’artiste métamorphose tout en or, il ne saurait se passer d’oreilles d’âne.
(Jean Cocteau, Le Potomak)
Il faut bien dire que les oreilles d’âne, Jean Cocteau avait raison, ont plus de constance que tout le reste, et qu’on les trouve partout, parfois jusque dans les discours de nos personnalités les plus chères (présidents comme George Bush, Nicolas Sarkozy ou Mahmoud Ahmadinejad, pape hélas aussi) et qu’il faudrait distribuer de nombreux bonnets. Avec des exemples pareils au plus haut sommet, comment voulez-vous que de plus humbles créatures n’hésitent pas à rechercher à se couvrir aussi de tels illustres bonnets !
Voici les dernières.
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Nous sommes informés depuis huit jours par la Maison des handicapés que nous allons avoir (nous venons de la recevoir avant-hier) une carte de stationnement pour personnes handicapées, valable à compter du 1er octobre 2008. Il ne nous reste plus qu’à faire intervenir Herbert-George Wells, qu’il nous fourgue sa fameuse machine à explorer le temps (s’il la retrouve dans son cercueil), pour qu’on puisse nous aussi remonter dans le passé pour en faire usage, puisque, compte tenu de l’état actuel de Claire, nous ne nous risquons plus en ville.
Par ailleurs, la Commission de réforme qui statue sur sa mise en retraite pour invalidité, a coché la réponse NON dans son procès-verbal, page 3, à la question 11 : Le fonctionnaire est-il dans l’obligation d’avoir recours d’une manière constante à l’assistance d’une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie ? Ben voyons, je savions bien que je n’étions point une tierce personne, et que Claire se débrouille superbement bien toute seule pour se lever, trotter, s’habiller, se toiletter, faire les courses, bronzer au soleil, nager à la piscine, faire du vélo, conduire une automobile, baguenauder dans les magasins et les musées, faire son marché, lire, préparer ses repas, mettre le couvert, se torcher le derrière… Il est vrai qu’il lui manque seulement un bras, une jambe, un œil et une oreille (elle n’entend plus de l’oreille gauche), qu’elle parle avec à peine un peu de difficulté, que de sa main gauche, elle gribouille malgré tout mieux qu’un bébé de dix-huit mois, et peut donc, sans difficultés, écrire ses lettres et remplir les dossiers pour sa retraite, pour son handicap (puisqu’il n’y en a pas !), aider Lucile dans son exil suédois, etc.
Ce qui m’étonne, c’est que, dans le même document, on conclut à son inaptitude à la reprise du travail : voyons, elle devrait même au contraire, si ça se trouve, pouvoir reprendre le travail avec une efficacité suprême, sans l’assistance d’aucune tierce personne, comme Rachida Dati après son accouchement !
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J’en suis bien certain, moi qui n’ai jamais rien fait pour l’assister depuis six mois et demi, moi qui me tourne les pouces à longueur de journée. Au contraire, c’est elle qui m’aide à me lever, à prendre mon petit déjeuner, à m’habiller, qui me conduit aux W.-C. et m’essuie consciencieusement le derrière, qui conduit la voiture, tandis que je me prélasse comme un poussah sur le siège passager, qui pousse mon fauteuil roulant avec sa souplesse féline de femme habituée à n’avoir point besoin de tierce personne, et qui me soutient pour passer du fauteuil au lit et vice versa. C’est elle qui se lève la nuit quand je tousse, et qui a des insomnies, c’est elle qui remplit tous les papelards que nous réclament ces ronds-de-cuir pour conclure à des énormités pareilles, c’est elle qui me donne des compléments de morphine quand je souffre, c’est elle, vous dis-je, la tierce personne dans cette affaire.
Alfred Jarry, Franz Kafka, Georges Courteline, réveillez-vous !
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