Apprendre
à jouer le jeu, à se fondre dans les exigences, à faire exactement
ce qui est attendu, autant de qualités [...]
qui relèvent autant de la dissimulation derrière le comportement le
plus neutralisé que de l’adaptation indifférente aux moyens.
(Harold
Bernat, Le
néant et le politique : critique de l’avènement Macron,
L’Échappée,
2017)
Aigues-Mortes : la Tour de Constance
Eh
bien, me voici de nouveau rentré de voyage, et sans être un
explorateur comme Alexandra David-Néel, je dois dire que le voyage
continue encore à me former, à me maintenir en forme (à vrai dire,
j’ai été mal fichu pendant cette escapade non loin de la
Méditerranée, oppressé d’un gros rhume qui m’a rendu peu
agréable à mes hôtes, que je remercie d’autant plus) sinon
physique, du moins intellectuelle et à faire des rencontres
passionnantes lors des conférences et discussions.
Un
grand merci au regretté Jean Bec de m’avoir fait découvrir il y a
une trentaine d’années sa belle ville d’Aigues-Mortes et connaître la Tour de Constance, haut-lieu de la
résistance huguenote aux persécutions du pouvoir royal au XVIIIème
siècle ; je
me suis vu pris en défaut de connaissance historique, malgré mes
études en ce domaine et le roman d'André Chamson, La Tour de Constance, que je n'avais pas encore lu.
C’est ainsi que je fis connaissance de Marie Durand, qui y fut
détenue pendant 38 ans (1730-1768) pour refus d’abjurer lors des conversions
forcées. Il en fallut du courage à ces femmes et à ces hommes
(eux, ils étaient envoyés aux galères, cf La Superbe, autre roman d'André Chamson) pour
résister et souffrir, car c'eut été tellement plus simple de se fondre dans les exigences et de faire semblant. Oh ! On peut toujours les traiter de "fanatiques" ;
je voudrais vous y voir, vous, quand vous êtes chassé de chez vous,
que vous perdez vos biens, que votre frère, pasteur, est pendu, votre
mari emprisonné aussi, et qu’on vous soumet à la torture
psychologique de jouer le jeu et de vous convertir, et aussi bien à
la torture physique de la privation de la liberté. C’est une
héroïne, et en interrogeant mes amis catholiques ou athées, force est de
constater qu’ils ignorent quasiment tout des persécutions des
Huguenots consécutives à la Révocation de l’Édit de Nantes par
le Roi-Soleil.
Une
vraie amnésie collective ! Il est vrai qu'on est resté longtemps amnésique sur les pratiques de torture pendant nos sales guerres coloniales, pourtant plus récentes...
On
fêtait jeudi dernier à Aigues-Mortes le 250ème anniversaire de sa libération,
après trente-huit ans de calvaire. Chrystel Bernat nous fit une
superbe lecture-analyse des Lettres de Marie Durand dont une belle
édition, Résister, Lettres de la Tour de Constance (que j’ai achetée), vient de paraître aux éditions
Ampelos cette année. Lettres que celle qui signait "La Durand",
éduquée par son père, et qui n’a jamais été à l’école, marque
de sa haute empreinte expressive, aussi bien de spiritualité et de
force combative, que par une écriture élégante mais ferme,
s’adressant à ses bienfaiteurs (ceux qui l’aident en lui
envoyant de l’argent et des colis) ou aussi aux plus hautes
personnalités de la région ou de l’État,
pour tenter d’obtenir sa libération. La répression est terrible,
on meurt beaucoup de froid et d’humidité, de maladies dans ces cachots.
Heureusement, il y a un peu de couture, de lecture, principalement de
la Bible, et on se réconforte comme on peut, en gardant au cœur
l’espérance et la foi. Et il y a la solidarité, celle-là même qu'on voudrait nous interdire de pratiquer avec les migrants : Cédric Herrou, ce "saint" laïque n'est que le continuateur de Marie Durand !
Et
samedi, j’ai rencontré aussi des gens fort intéressants, à
Montpellier cette fois, à l’occasion de l’Assemblée générale
de l’ADMD [Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité], dont je fais partie depuis que Claire y avait adhéré
en 2005. Le grand projet de l’Association est qu’une loi soit
enfin votée pour nous permettre de moins mal mourir ; car on meurt mal, très mal, en France. L’intervention
la plus remarquable fut celle du médecin belge Yves de Locht, auteur
de Docteur, rendez-moi ma liberté, qui nous fit part des nombreuses
demandes de patients français en fin de vie demandant à
venir en Belgique pour qu’on les aide à mourir (trop nombreuses d'ailleurs, car les médecins belges ne peuvent plus faire face), ce qui est légal
là-bas, mais interdit chez nous. Comme souvent, sur les questions sociétales (droit de vote
des femmes, contraception, IVG, mariage pour tous, PMA, GPA, etc.), la
France, poussée par des esprits rétrogrades, a beaucoup de retard. Et la société française est, comme au
beau temps de l’interdiction de l'avortement, divisée en deux groupes, les nantis
qui peuvent partir à l’étranger (car aller mourir à l'étranger coûte de 5 à 10000 euros), et les autres, qui se
débrouillent comme ils peuvent pour mourir après parfois des années
de souffrance et de maltraitance médicale : je peux en
témoigner pour Claire. Il a fallu que j’insiste lourdement en
mars 2009 pour qu’enfin l’hôpital accepte de prendre en
considération ses souffrances et ajuste un traitement qui fit
qu’elle n’a pas souffert physiquement pendant ses trois derniers
mois. Mais la douleur morale devant la dégradation physique était toujours
là, et combien de fois (tant qu'elle a pu parler) elle m’a dit qu’elle aurait souhaité
qu’on abrège sa vie devenue invivable, une charge pour tout le
monde et une croix pour elle ! Le médecin belge m’a galvanisé
pour exiger de nos gouvernants une loi sur la fin de vie, avec
possibilité en ce qui me concerne de suicide assisté (comme en Suisse) ou d’euthanasie
(comme en Belgique et aux Pays-Bas), si ma fin de vie me semble
devenir atrocement insoutenable. En tout cas, c’est dans ce sens que je vais rédiger
mes directives anticipées !
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