mardi 9 octobre 2018

9 octobre 2018 : devant la vie et la mort, la dignité




Apprendre à jouer le jeu, à se fondre dans les exigences, à faire exactement ce qui est attendu, autant de qualités [...] qui relèvent autant de la dissimulation derrière le comportement le plus neutralisé que de l’adaptation indifférente aux moyens.
(Harold Bernat, Le néant et le politique : critique de l’avènement Macron, L’Échappée, 2017)


Aigues-Mortes : la Tour de Constance
Eh bien, me voici de nouveau rentré de voyage, et sans être un explorateur comme Alexandra David-Néel, je dois dire que le voyage continue encore à me former, à me maintenir en forme (à vrai dire, j’ai été mal fichu pendant cette escapade non loin de la Méditerranée, oppressé d’un gros rhume qui m’a rendu peu agréable à mes hôtes, que je remercie d’autant plus) sinon physique, du moins intellectuelle et à faire des rencontres passionnantes lors des conférences et discussions.


Un grand merci au regretté Jean Bec de m’avoir fait découvrir il y a une trentaine d’années sa belle ville d’Aigues-Mortes et connaître la Tour de Constance, haut-lieu de la résistance huguenote aux persécutions du pouvoir royal au XVIIIème siècle ; je me suis vu pris en défaut de connaissance historique, malgré mes études en ce domaine et le roman d'André Chamson, La Tour de Constance, que je n'avais pas encore lu. C’est ainsi que je fis connaissance de Marie Durand, qui y fut détenue pendant 38 ans (1730-1768) pour refus d’abjurer lors des conversions forcées. Il en fallut du courage à ces femmes et à ces hommes (eux, ils étaient envoyés aux galères, cf La Superbe, autre roman d'André Chamson) pour résister et souffrir, car c'eut été tellement plus simple de se fondre dans les exigences et de faire semblant. Oh ! On peut toujours les traiter de "fanatiques" ; je voudrais vous y voir, vous, quand vous êtes chassé de chez vous, que vous perdez vos biens, que votre frère, pasteur, est pendu, votre mari emprisonné aussi, et qu’on vous soumet à la torture psychologique de jouer le jeu et de vous convertir, et aussi bien à la torture physique de la privation de la liberté. C’est une héroïne, et en interrogeant mes amis catholiques ou athées, force est de constater qu’ils ignorent quasiment tout des persécutions des Huguenots consécutives à la Révocation de l’Édit de Nantes par le Roi-Soleil. Une vraie amnésie collective ! Il est vrai qu'on est resté longtemps amnésique sur les pratiques de torture pendant nos sales guerres coloniales, pourtant plus récentes...


On fêtait jeudi dernier à Aigues-Mortes le 250ème anniversaire de sa libération, après trente-huit ans de calvaire. Chrystel Bernat nous fit une superbe lecture-analyse des Lettres de Marie Durand dont une belle édition, Résister, Lettres de la Tour de Constance (que j’ai achetée), vient de paraître aux éditions Ampelos cette année. Lettres que celle qui signait "La Durand", éduquée par son père, et qui n’a jamais été à l’école, marque de sa haute empreinte expressive, aussi bien de spiritualité et de force combative, que par une écriture élégante mais ferme, s’adressant à ses bienfaiteurs (ceux qui l’aident en lui envoyant de l’argent et des colis) ou aussi aux plus hautes personnalités de la région ou de l’État, pour tenter d’obtenir sa libération. La répression est terrible, on meurt beaucoup de froid et d’humidité, de maladies dans ces cachots. Heureusement, il y a un peu de couture, de lecture, principalement de la Bible, et on se réconforte comme on peut, en gardant au cœur l’espérance et la foi. Et il y a la solidarité, celle-là même qu'on voudrait nous interdire de pratiquer avec les migrants : Cédric Herrou, ce "saint" laïque n'est que le continuateur de Marie Durand !


Et samedi, j’ai rencontré aussi des gens fort intéressants, à Montpellier cette fois, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ADMD [Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité], dont je fais partie depuis que Claire y avait adhéré en 2005. Le grand projet de l’Association est qu’une loi soit enfin votée pour nous permettre de moins mal mourir ; car on meurt mal, très mal, en France. L’intervention la plus remarquable fut celle du médecin belge Yves de Locht, auteur de Docteur, rendez-moi ma liberté, qui nous fit part des nombreuses demandes de patients français en fin de vie demandant à venir en Belgique pour qu’on les aide à mourir (trop nombreuses d'ailleurs, car les médecins belges ne peuvent plus faire face), ce qui est légal là-bas, mais interdit chez nous. Comme souvent, sur les questions sociétales (droit de vote des femmes, contraception, IVG, mariage pour tous, PMA, GPA, etc.), la France, poussée par des esprits rétrogrades, a beaucoup de retard. Et la société française est, comme au beau temps de l’interdiction de l'avortement, divisée en deux groupes, les nantis qui peuvent partir à l’étranger (car aller mourir à l'étranger coûte de 5 à 10000 euros), et les autres, qui se débrouillent comme ils peuvent pour mourir après parfois des années de souffrance et de maltraitance médicale : je peux en témoigner pour Claire. Il a fallu que j’insiste lourdement en mars 2009 pour qu’enfin l’hôpital accepte de prendre en considération ses souffrances et ajuste un traitement qui fit qu’elle n’a pas souffert physiquement pendant ses trois derniers mois. Mais la douleur morale devant la dégradation physique était toujours là, et combien de fois (tant qu'elle a pu parler) elle m’a dit qu’elle aurait souhaité qu’on abrège sa vie devenue invivable, une charge pour tout le monde et une croix pour elle ! Le médecin belge m’a galvanisé pour exiger de nos gouvernants une loi sur la fin de vie, avec possibilité en ce qui me concerne de suicide assisté (comme en Suisse) ou d’euthanasie (comme en Belgique et aux Pays-Bas), si ma fin de vie me semble devenir atrocement insoutenable. En tout cas, c’est dans ce sens que je vais rédiger mes directives anticipées !



Aucun commentaire: