C'est
dans la honte que réside la véritable monstruosité. Ressentir de
la honte, s'assumer comme monstre, avoir peur d'en être un,
reconnaître intimement une condition aussi affligeante.
(Alain-Paul
Mallard, Recels,
L'arbre vengeur)
Allons,
puisque je suis définitivement monstrueux – qu'est-ce d'autre
qu'un poète, qu'un artiste, aux yeux de la majorité ? –
poursuivons sur notre lancée, et profitons du tweet de M. Duflot
pour glisser que les défilés militaires du 14 juillet, à l'heure
où les économies seraient nécessaires, sont une monstruosité
ruineuse et absurde. J'ai bien compris qu'il ne s'agit plus depuis
longtemps d'honorer nos « morts pour la France »,
c'est-à-dire pour les 300 familles et pour le Capital.
Personnellement, je les honore davantage (un de mes grands-pères, par
exemple, mort des suites de la boucherie de 14-18, mon père aussi, très affaibli par les guerres auxquelles il a participé) en me recueillant au cimetière, qu'en assistant à ces
grotesques défilés où l'on honore essentiellement les outils de
destruction massive que sont les tanks, les avions de combat et
toutes les autres armes possibles et inimaginables. Curieusement, on n'y fait d'ailleurs pas participer nos
laboratoires où l'on concocte des produits chimiques et
bactériologiques, autrement plus dévastateurs, sournois et
invisibles que les armes traditionnelles. On se contente de les
dénoncer chez les autres (les Syriens, par exemple).
Le
capitalisme a plus d'un tour dans son sac, et on n'est pas près d'en
voir la fin. Il a réussi l'extraordinaire tour de passe-passe de
dézinguer à peu près totalement la pensée de gauche. Désormais
nous n'avons plus le choix qu'entre la droite réactionnaire et
conservatrice et le social-libéralisme qui appliquent une politique
à peu près identique, ce dernier réussissant même l'exploit de
faire passer avec plus de facilité les cautères sur la jambe de
bois que la mondialisation nous impose – mondialisation, mot
magique, nouveau modèle de perpétuation de l'ordre existant, avec
la complicité et la connivence passives et plus souvent actives des
classes moyennes. Voir le beau travail de Tony Blair en Angleterre ou
de la CFDT en France. Comment voulez-vous qu'on ne doute pas de
l'intérêt de voter ? Que la cote de Hollande soit en si forte
baisse, provient essentiellement que les gens qui ont vraiment le
cœur et la mentalité à gauche, sont absolument en sa défaveur dès
maintenant. Combien en ai-je entendu dire que si c'était à refaire,
ils ne voteront pas pour cette soi-disant gauche au second tour ?
En
effet, on se trouve devant le "magnifique
témoignage de pensée magique [que] nous donnons en transfigurant,
par la grâce du rite électoral, un candidat social-libéral,
auxiliaire avéré des puissants, en social-démocrate, défenseur
supposé des petits",
que signale Alain
Accardo, dans son roboratif essai De
notre servitude involontaire (éd.
Agone). Je ne donne pas un an avant que le gouvernement autorise, comme une lettre à la poste, l'exploration du
gaz de schiste, nouvel eldorado des capitalistes qui se foutent
éperdument de la ruine de nos ressources naturelles, pourvu qu'ils
s'en mettent le plus vite possible plein les poches. Il continue à
soutenir à pleine voix la soi-disant « croissance » qui n'est en fait
que la croissance de l'accumulation capitalistique.
J'aimerais
bien un jour qu'on intègre dans la croissance l'éradication de la
pauvreté (il n'en est jamais question), de l'analphabétisme (non,
on fabrique une croissance tous azimuts de produits développant un
illettrisme de plus en plus massif chez nos jeunes : émissions télévisées
débiles, jeux vidéos insensés, appareils portatifs à écran qui
occupent un temps de plus en plus important, au détriment du temps
nécessaire pour penser ou même pour communiquer réellement, etc.), de la faim
dans le monde (non, pendant que beaucoup se gobergent dans des
banquets somptueux, ils omettent de voir ceux qui n'ont rien – et,
hélas, nous avons inculqué nos défauts aux pays du tiers monde sur
ce point, il n'est que de voir le contraste entre la bourgeoisie
obèse qui les gouverne, avec notre complicité, et la majorité de la population...), du développement des
services de santé et d'éducation accessibles à tous (pas danger
qu'on les compte, ceux-là, ils ne rapportent rien, en terme de
capital), etc., etc...
Marguerite
Yourcenar, peu adepte de gauchisme, dénonçait (Sous
bénéfice d'inventaire,
Gallimard), à propos de l'Empire romain, les "tares
de l'époque, la veulerie de la foule, l'universelle servilité à
l'égard des maîtres du jour, la persécution spasmodique, mais
féroce, des minorités […], le gaspillage barbare des jeux,
l'inepte et fumeuse superstition, la misère pompeuse d'une culture
ne consistant plus qu'en ressassages d'écoles"... Ne
croirait-on pas la description de notre monde ?
Je
suis un monstre, vous dis-je, de ne voir que ces aspects négatifs.
J'aimerais, je voudrais bien en trouver de positifs, un seul même. Je cherche et n'en vois
point. Et je ne suis pas le seul. Sinon, Hollande aurait encore un
peu de crédit. Mais après tout, il y a toujours eu des monstres, de
toutes sortes, ils ont leur fonction, celle d'obliger à regarder la
réalité sans les œillères de la connivence et de la complicité
avec les gens au pouvoir. Les anormaux, les fous, les artistes, les poètes, les
saltimbanques, les fous du roi, sont tous des monstres. Mais Alain-Paul Mallard nous
rappelle que "nous
créons le monstre dans l'obscur laboratoire de nos préjugés, sous
l'arc voltaïque de nos ressentiments, parmi les éclairs de nos
craintes. […] mais en fin de comptes le monstre, magnifique, est
l'hyperbole à l'aune de laquelle nous mesurons notre médiocrité."
À
part ça, le feu d'artifice du 14 juillet à Bordeaux, tiré du
milieu de la Garonne, était très beau !
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