samedi 2 juillet 2022

2 juillet 2022 : Jean Rouch le cinéaste humaniste

 

La raison pseudo-universaliste n'est autre que la raison coloniale : elle n'est pas l'universalisme comme projet pour l’humanité, mais une idéologie de l’universel au service de la supériorité européenne.

(Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang, Universalisme, Anamosa, 2022)


Je connaissais Jean Rouch cinéaste, et cinéaste de l’Afrique noire, mais j’ignorais l’ethnographe (quoique ses films le montrent) et le voyageur, sa curiosité insatiable de l’autre, des autres, sans préjugés. Je viens de lire Alors le Noir et le Blanc seront amis : carnets de mission, 1946-1951 (Mille et une nuits, 2008), un livre de voyage exceptionnel dont je ne résiste pas à vous proposer ces quelques phrases des paragraphes de conclusion qui en disent long sur la marche à suivre quand on est un vrai voyageur :



« Je n’oublierai jamais les leçons de méfiance que j’ai reçues en arrivant en Afrique. Sur le paquebot de vieux coloniaux initiaient les nouveaux venus aux mystères de le vie coloniale […] ils tenaient à nous inculquer la haine du nègre. […] 

« Ces vieux coloniaux étaient par ailleurs d'une si évidente stupidité que, par réaction, ils m'ont fait, a priori, aimer les Noirs.

« Car il faut qu’entre des hommes si différents, une occasion révèle un point commun. […] C’est […] la rencontre pour ce que ce mot exprime de hasard, de fragilité et d’espoir.

« Et, un jour, au cours d’une panne de camion sur la piste de la brousse, pendant une chasse ou une promenade, […] le Blanc dira. Il dira ses parents, son pays, un peu de sa vie, les amis qui vivent là-bas et les femmes si belles dans les rues le soir, le métro et les pâtisseries. Il dire les arbres, les parcs et les pelouses, la neige et les montagnes, les théâtres et les concerts, les vacances… Et le Noir qui ne sait pas ce qu’est la neige ou les concerts, écoutera et, lentement, l’idole inaccessible, le commandant de cercle et le chef des travaux ne sera plus un être infaillible retranché derrière ses plans ou ses télégrammes-lettres, il se révélera lui aussi rêveur, paresseux, gourmand, il aura tous les bons défauts sans lesquels seraient de froides mécaniques. Et, ce jour-là, ou un autre, le Noir, à son tour, dira.il dira ce qu’il est, les enfances dures de peul à « berger », les troupeaux de pâturage à pâturage, où l’on reste seul pendant deux ou trois ans à se nourrir seulement de lait, à disputer aux lions les bêtes confiées, les enfances bambara avec les sociétés, les initiations, les enfances des pêcheurs où l’on va dans une frêle pirogue se battre conte le crocodile terrible. Il dira l’Afrique immense et rude, les villages tièdes et sonores où l’on est si bien à l’abri, et la brousse alentour, où vivent les génies et les dieux… Et l’homme blanc comprendra peut-être que le Noir, qu’il croyait si ignorant, si primitif, a aussi des techniques adroites, des façons de penser cohérentes, une philosophie extraordinaire du monde et de la vie, en un mot, une civilisation que rien ne permet de classer au-dessous de notre civilisation, une civilisation très différente certainement, mais aussi riche et aussi valable que la nôtre.

« Alors l’homme noir et l’homme blanc seront amis.

 

 

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