jeudi 7 novembre 2019

7 novembre 2019 : le poème du mois


Immobile au milieu de ton propre vertige
(Jean Marcenac, La marche de l’homme, Seghers, 1949)


un hommage en amitié aux gilets jaunes, par l'artiste Lili-Oto
(exposition  en ce moment au CALO, centre d'art en Ardèche)

Il y a déjà bien des années que j’avais recopié ce poème sur un de mes cahiers de poésie (j’en ai une dizaine, j’ai commencé après le bac, en 1964, j'ai arrêté d'en recopier dans les années 90) : de temps en temps, je les feuillette pour voir ce qui me plaisait à tel moment de ma vie, ça me fait une sorte d'autobiographie intellectuelle. Je travaillais alors dans la bibliothèque centrale de prêt du Gers (1973-1981), où je lisais des recueils de poèmes pendant les tournées de bibliobus, assis aux côtés du conducteur, l'ami Paul, quand j’ai découvert et recopié (chez moi, en rentrant le soir) dans mon cahier de l’époque ce texte de Jean-Pierre Voidiès. Depuis, j’ai découvert l’alias dans Wikipedia : "Ovida Delect, assignée homme à la naissance sous le nom de Jean-Pierre Voidiès en 1926, et morte en 1996, est une poétesse, résistante déportée et femme politique communiste française." Excusez du peu ! Jusqu’à 1974, il/elle publia sous son nom de naissance, à partir de 1975, sous son alias féminin. Un poète transsexuel, je n’en revenais pas de la découverte... À vrai dire, je n’en connais pas d’autres ! Marié, père d’un enfant, il/elle choisit vers la cinquantaine d’assumer ce qu’il pensait être profondément, intérieurement : une femme dans un corps d’homme.
Le poème n’y fais pas allusion, ou alors, il faut lire entre les lignes, mais il parle de l’amitié, qui aura été la grande affaire de ma vie et, peut-être, de la sienne, notamment dans ses engagements militants.


  Amitié

Ce qui est beau, c’est un visage
Ce qui est beau, c’est l’amitié
Une robe qui s’en va un peu plus loin et volage
Laisse autour d’elle les oiseaux gazouiller.


Ce qui est beau, c’est le passage
De la brume à l’aurore et du cep au raisin
Ce qui est beau, c’est le ramage
Car tout ce qui vit sur la terre est du bien.


Ce qui est beau, c’est tout le monde
Ce qui est beau, c’est les filets
Du pêcheur qui s’en va près des rives profondes
Cueillir la sardine et le nacre des fées.


Ce qui est beau, c’est comme une onde
La marche en avant de l’homme et l’été
Qui revient tous les jours car toujours il triomphe.


Ce qui est beau, c’est l’amitié.


Jean-Pierre Voidiès


À l’époque, je ne notais pas entre parenthèses le titre du recueil et l’éditeur, ce qui fait que j’ignore où je l’avais dégoté, ce texte poignant ! Peut-être dans une anthologie sur l’amitié ? Ou dans Le monde des livres, qui publiait à l’occasion quelques poèmes. Ou dans la revue Europe ? Peu importe : il parle de "la marche en avant de l’homme", des "oiseaux", de "la brume à l’aurore" et de la peine des hommes, avec le "pêcheur". Et en le relisant, j'ai vu qu'il avait des rimes ou des assonances...
Comme j’aurais aimé l’avoir écrit, ce poème...



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