dimanche 17 novembre 2019

17 novembre 2019 : de l'entraide et du partage vs l'égoïsme


tous ces nouveaux damnés de la terre surgis de guerres allumées comme des brasiers incandescents par les maîtres du nouveau monde, si peu soucieux des vies broyées par la mécanique implacable de leurs intérêts.
(Yasmine Chami, Médée chérie, Actes sud, 2019)

D’abord, il y a tous les damnés de la terre (autrefois, et encore aujourd'hui dans de nombreux pays, les paysans serfs, les ouvriers esclavagisés du travail à la chaîne, les femmes aussi victimes de la domination masculine, les peuples colonisés et déculturés...), et plus nombreux qu’on ne croit. Avec de nouvelles catégories qui s’y ajoutent :
* les enfants notamment, qui bien souvent sont victimes certes de violences de la part des adultes, mais aussi de la société. Est-ce normal, sous prétexte d’avoir la paix, de les mettre dès le plus jeune âge devant des écrans : télé, jeux vidéo et aujourd’hui smartphones, au lieu de les faire participer à la vie familiale, de leur apprendre plein de choses. J’avais déjà remarqué, en 1985, quand Mathieu est allé à trois ans à l’école maternelle, que certains enfants ne connaissaient pas les couleurs ! Et balbutiaient des phrases incohérentes et qu’ils ne savaient pas compter du tout, au moins jusqu’à cinq sur leurs doigts, dont ils ne connaissaient pas le nombre ni les noms. Signe que les parents ne leur parlaient que peu et ne corrigeaient pas leurs phrases au fur et à mesure, ne leur lisaient pas d’histoires en les mettant au lit, étaient peu attentifs à leur développement cognitif et intellectuel, voire ne jouaient pas beaucoup ou pas du tout avec eux. Et c’est bien sûr pire aujourd’hui. Soumis aux diktats impératifs des publicités télévisuelles (avec la télé allumée à longueur de journée dans toutes les pièces de la maison), addicts à des jeux rarement éducatifs, peu habitués à ce qu’on leur parle, souvent laissés à une solitude effrayante avec leurs machines technologiques en main, les petits enfants sont dans un grand désarroi… Ça fait peur. Certains sont très peu attentifs, incapables de se concentrer, s’ennuient très facilement…
* les vieillards ensuite qui n’ont jamais été aussi maltraités qu’aujourd’hui, et pas seulement dans les maisons de retraite et autres EHPAD (il existe des exceptions). Mais aussi bien en famille puisque ces dernières, quand ils en ont eue, les laissent tomber et ne leur rend plus visite. Ils entrent dans un désert affectif incommensurable, pour peu qu’ils atteignent des âges qu’on aurait dit canoniques naguère : 85, 90, 95, 100 ans et plus. On me dira : mais pourquoi donc vivent-ils autant ? Ah, ils sont beaux, les progrès de la médecine : si c’est pour être bourré de médicaments, comme les horribles anti-dépresseurs et autres calmants, mieux vaut être déjà sous terre ! Enfin, c’est le point de vue d’un homme de 73 ans encore en relatif bon état. Mais là aussi, ça fait peur…

un des rares liens aujourd'hui : l'arc-en-ciel vu de ma tour

* Dans ma tour, j’ai rencontré Y., une vieille dame de 90 ans, qui vit seule dans un grand F 4, où de temps en temps elle reçoit enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants. Mais le plus souvent, elle n’a personne. Donc, elle s’oblige à sortir de la tour tous les deux jours pour avoir au moins un voisin à qui parler dans l’ascenseur (c’est comme ça que je l’ai connue) ou une caissière du supermarché, la boulangère ou la pharmacienne qui lui diront deux ou trois mots. Elle m’a invitée chez elle, c’est propre et coquet. Comme il avait plu, j’ai débouché sur ses balcons les bouches d’écoulement, car l’eau commençait à former un lac. Elle m’a montré sa bibliothèque, très religieuse, car elle a fait – volontairement – des études de théologie à l’Institut catholique. Mais elle lit aussi des polars ! Et surtout, elle est ravie de parler et que quelqu’un l’écoute. Elle me raconte que l’autre jour, en revenant de ses courses – elle marche avec un déambulateur de peur de tomber – elle a trouvé la porte du couloir qui mène aux ascenseurs fermée, a essayé de la pousser avec le pied pour que passe le déambulateur et est tombée en arrière, sa tête heurtant le mur. Heureusement qu'un jeune homme - un de nos étudiants noirs - l'a ramassée et ramenée jusqu'à chez elle ! Le rampe pour handicapés est régulièrement fermée (il y a deux portes, une côté des ascenseurs, l’autre qui ouvre sur le couloir du garage à vélos vers la sortie). Des abruti.e.s, qui ne pensent ni aux handicapés, ni aux vieillards, ni aux assistantes maternelles avec leurs voitures d’enfants souvent doubles, les ferment régulièrement, sous prétexte que le froid de l’extérieur risque de rentrer. Alors même que le hall n’est de toute façon pas chauffé ! Encore quelque chose qui fait peur !!! L’égoïsme généralisé. J’ai mis un papier dénonçant le problème sur le panneau d’affichage... J'attends que quelqu'un me fasse des remarques...
* Et puis il y a les migrants et les demandeurs d’asile. Ici, dans notre tour, est réfugié un couple bangladais d’une trentaine d’années qui a demandé le droit d’asile. C’est qu’ils sont hindous, donc minoritaires dans ce pays musulman (l’inverse en somme des rohingyas de Birmanie), et à ce titre, menacés de persécutions. Ils sont arrivés il y a treize mois, pris en charge par le CADA du diaconat de Bordeaux, et toujours en attente, sans avoir le droit de travailler ni carte de séjour… Ils suivent des cours de français dans lesquels ils progressent peu à peu. Je les aide un peu, à ma manière, ne serait-ce qu’en leur parlant pour développer leur usage de la langue et créer du lien. Mais enfin, est-ce normal qu’on les fasse traîner si longuement ? Et ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres : réfugiés de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Erythrée, d’Afrique subsaharienne et de nombreux autres pays. La France, soi-disant pays des droits de l’homme, se déconsidère à nouveau (après l’horrible épisode de l’État français entre 1940 et 1944 et sa complicité avec le nazisme). Et, si nous, simples citoyens, ne protestons pas, nous nous rendons complices des criminels qui nous gouvernent et veulent instaurer des quotas : faudra-t-il qu’il y ait là aussi des suicides, des immolations par le feu pour que les choses changent un peu ?… Là encore, ça fait peur.
* Toujours dans notre tour, encore un cas dramatique : j’ai découvert N., un homme proche de la cinquantaine d’années, qui a fait un séjour en hôpital psy et se trouve désormais sous anti-dépresseurs (une belle saloperie !) après un terrible burn-out dans l’éducation nationale. Il est depuis incapable de travailler, devenu une sorte de zombie, ma grand-mère aurait dit une "loque". Logé ici dans un logement insalubre (mais un T1 bis au loyer de 520 € pour un véritable taudis ! Je l’ai visité et peux en témoigner) avec son allocation d’handicapé de 800 et quelques €, il déprime sec et au bout d’une quinzaine, n’a plus un € en poche. Et il a honte d’en être arrivé là et de solliciter de l’aide. Je sens bien qu’il est désormais incapable de retravailler. J’ignorais qu’un burn-out sévère pouvait être si dur ! Le monde du travail aussi fait peur !

Ah ! si les humains avaient les couleurs d'un arc-en-ciel !

* Parallèlement, je connais depuis trois ans P., un SDF qui mendie fréquemment près du cinéma Utopia et à qui j’apporte l’aide la plus substantielle possible, lui permettant au moins de manger. Il vit depuis plusieurs années dans la rue, suite à un divorce, à la perte de sa maison puis de son emploi. L’autre jour, il pleuvait à verse. Je le croise sans le voir tant il reste discret de peur de gêner, mais lui me voit et me hèle. Je m’arrête : il est trempe et ruisselle de la tête aux pieds. « Vous pouvez pas vous mettre à l’abri ? », lui dis-je. « Pour mendier, il faut être dehors ! », répond-il. « Vous n’avez tout de même pas dormi dehors, par ce temps de chien ? » « Suivez-moi, je vais vous montrer où j’ai dormi cette nuit. » Et quelques mètres plus loin, il ouvre une porte. « C’est une des rares où il n’y a pas de digicode, j’ai dormi assis sur les marches, là », et il me montre l’escalier. « Mais, dis-je, vous pouvez essayer d'aller dans des centres d’accueil, qui sont au moins chauffés et où vous auriez eu un petit déjeuner ! » Il me prend le bras : « Ah mon ami, j’ai déjà dû vous le dire, mais vous l’avez oublié. j’y allais autrefois, mais ayant été agressé et dévalisé deux fois, je n’y retourne plus... » Et il se met à pleurer. Ça fait peur aussi de voir un homme pleurer. Il touche le RSA car, grâce à une assistante sociale, il a pu donner une adresse. Mais il doit encore attendre deux ans (avec tous ces salauds qui retardent sans cesse l’âge de pouvoir percevoir la retraite...) avant de pouvoir toucher une maigre retraite qui ressemblera au minimum vieillesse. Où aller avec ça ? Je viens de le revoir aujourd'hui 26 novembre : il a tenté de se jeter sous un tram ! Faut-il être désespéré !
* Au supermarché, devant moi, la caissière compte les pièces que lui a données un autre SDF (encore heureux qu’on l’y ait laissé entrer) : que des pièces cuivrées de 1, 2 et 5 centimes. Il devait payer 2 € 67 ! Résultat, elle met du temps pour faire le compte (il y avait au moins une soixantaine de pièces), la queue s’allonge derrière moi et des gens grommellent. Je pensais dans ma barbe : « Si vous leur donniez autre chose que ces picaillons, ça n’arriverait pas. Le minimum à donner aux mendiants devrait être de 50 centimes ou de 1 € ! Qu’est-ce qu’on peut acheter avec 1 ou 2 centimes ? Rien… » Personnellement, je ne donne jamais moins : la charité, tout de même, a un prix. Avec 1 €, on peut avoir au moins un pain ! Ça me fait peur de voir toutes ces pièces jaunes dans la sébile des mendiants, ça me désespère même. Sans parler de ceux (très bien nantis, habillés et chauffés) qui me disent : « Faut rien leur donner, pour pas encourager la mendicité ! »
Et avec ça, on voudrait que je condamne les gilets jaunes : ce sont les premiers depuis longtemps à avoir obligé les puissants (en fait, ce sont surtout eux qui font peur!) de ce monde à ouvrir (oh, très modestement) les yeux… Et, comme par hasard, ils subissent une répression sévère ! J'attends qu'on me montre des black blocs arrêtés ou sauvagement frappés, comme le sont des femmes (pour leur apprendre à manifester) et des vieillards !



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