En
marchant, les femmes peuvent tout montrer, mais ne rien laisser voir.
(Balzac,
Théorie
de la démarche,
Mille et une nuits, 2015)
Tout de même, quel bonheur c’était de se lever tôt, en général 6 h 45,
de se préparer (rasage, douche, assouplissement gymnique), de
descendre petit déjeuner à 7 h 15 (et garnir son sac au buffet de
quelques victuailles, fruits, galettes de riz, œufs durs, petit pain
et jambon pour le pique-nique de midi), puis vers 7 h 45 de se
diriger à pied vers la station de vaporetto, le plus souvent San
Zaccaria (20 minutes à pied, mais qui nous emmène direct à la
Mostra), parfois l’Accademia (7 minutes à pied, mais ensuite, il
faut au Lido prendre un bus ou ses jambes à son coup pour rejoindre
la Mostra) dans les ruelles (calle) et places (campi, piazze) vides
de l’encombrement des touristes encore au lit à cette heure et où
l’on peut enfin marcher d’un pas normal.
au petit matin, le Palais des Doges, avant l'afflux des touristes
De
découvrir dans ces vaporetti des gens de tout âge, en solo, en
couple ou en petits groupes, qui ont les mêmes goûts, le même
désir de la découverte de films du monde entier, qui se dirigent
vers les mêmes lieux, qui compulsent le programme pour faire leur
choix, qui parlent dans toutes les langues de ce qu’ils ont vu
hier, d’observer leur accoutrement (les femmes démontrent l'aphorisme de Balzac cité en exergue), leur coiffure (pas mal de
cheveux colorés en bleu, jaune, toutes les nuances de rouge, tiens,
faudrait que j’essaye ça !), leurs tatouages (j’en avais jamais
vu autant !), leurs sourires, leur calme lors du contrôle des sacs
aux diverses entrées de la Mostra, bref de se sentir inclus
enfin et un peu moins différent que dans la vie ordinaire.
le Palais du Casino, au style mussolinien
La
Mostra nous propose des projections dans neuf salles allant de 1760 à
48 places. J’ai fréquenté surtout le Palabiennale (1760 places),
la Sala Darsenna (1409 places), la Sala Perla (450 places), la Sala
Giardino (446 places), et, épisodiquement, la Sala Grande (1032
places, projections officielles en présence de l’équipe du film
projeté, je n’y suis allé qu’une seule fois, car il faut
montrer patte blanche, c’est plein à craquer et on est souvent mal
placé), et la Sala Volpi (149 places, réservée surtout aux projections de
copies de films anciens restaurés : je n'en ai vu qu'un, du Mexicain Arturo Ripstein).
un Festival sous haute surveillance
Pour
une fois, j’ai vu (dès le premier jour) le film qui a obtenu le Lion d’or, Roma,
du Mexicain Alfonso Cuaron. Film en noir et blanc, il faudrait plutôt
dire en gris et gris, car le parti pris esthétique est plutôt
les différentes nuances de gris, c’est en effet un film
intéressant : dans une famille de la classe moyenne, le père
disparaît, les femmes (la mère et les servantes) doivent se serrer
les coudes pour faire face. Lutte des classes (bourgeoisie/domestiques), lutte des races (bourgeoisie blanche/domestiques indiens) et
lutte des sexes sont donc ici imbriquées. Les hommes, violents et
inconscients, n’ont pas le beau rôle. Magnifique portrait de la
jeune servante Indienne qui m’a fait penser à celle du Flaubert d’Un
cœur simple.
Je
privilégie toujours à Venise les films italiens et les films venant
de petits pays ou de pays exotiques. Ma connaissance de l’anglais
et de l’américain est trop faible pour voir ces films sous-titrés
en italien. J’ai donc vu des films provenant du Brésil, de
Hongrie, de Turquie, de l’Uruguay, du Cambodge, de Syrie, de
Palestine, d’Inde, d’Argentine, du Kazakhstan, du Montenegro, du
Guatemala, d’Iran, de Tunisie et du Japon. Je ne vais pas les détailler
tous, mais parler seulement de ceux qui m’ont frappé.
la Sala Giardino, la plus récente (elle a deux ans)
Chez
les Italiens, j’ai fortement apprécié Il bene mio, de
Peppo Mezzapesa : dans un village durement touché par un
tremblement de terre et vidé de ses habitants, un quinquagénaire
fait de la résistance et ne veut pas quitter sa maison. Film
humaniste, émouvant, solaire. J’irai le revoir à sa sortie ici,
que j’espère vivement, mais dont je ne suis pas sûr.
La
sortie des dictatures ou de la répression était souvent évoquée.
Le magnifique film uruguayen La noche de 12 años, un des
chocs du Festival, raconte le calvaire enduré par trois Tupamaros
pendant la dictature militaire : c’est sec, sans graisse ni
fioritures, un constat implacable. Le film brésilien Deslembro,
lui, parle des disparus de la dictature militaire aussi à la même
époque. L’annonce (une des rares comédies de la Mostra)
montre des militaires qui tentent un coup d’état en Turquie et qui
cherchent à s’emparer de Radio Istanbul pour annoncer leur
réussite : j’ai beaucoup ri des péripéties de leur échec complet.
Les Tombeaux sans noms est le retour au Cambodge de l’auteur
qui a perdu une grande partie de sa famille et qui interviewe des
rescapés qui ne savent pas où honorer leurs morts, disparus dans
des fosses communes : impressionnant. Le jour où j’ai
perdu mon ombre : dans la Syrie de 2012, une femme tente de
conserver sa dignité. Le documentaire 1938 : diversi
nous rappelle les lois raciales mussoliniennes et leurs terribles
conséquences. Mafak raconte le difficile (impossible ?)
retour à la réalité d’un prisonnier palestinien ayant passé
quinze ans dans les prisons israéliennes.
mon meilleur film avec "Il bene mio" : exceptionnel et longuement applaudi
Autres
films que j’ai beaucoup aimés : le film kazakh La
rivière,
où une famille isolée dans une ferme en pleine steppe se trouve
confrontée à l’irruption de la modernité ; le guatémaltèque
José
traite, comme l’italien Saramo
giovanni e bellissimi,
du lien mère possessive/fils impossible à couper ; l’iranien
As
I lay dying,
d’après Faulkner, nous révèle des secrets de famille après
la mort du père ; l’indien Soni
évoque
la difficulté des femmes à assumer des charges jusque-là réservées
aux hommes ;
Le banquier anarchiste,
d’après le superbe texte de Fernando Pessoa, est un régal
esthétique ; Killing
raconte une histoire de samouraïs dans le Japon d’antan ; Une
histoire sans nom
est un excellent polar hitchcockien tiré de l’histoire vraie du vol en
Sicile d’un Caravage par la mafia ; L’heure
de la sortie,
un des deux films français que j’ai vus, est une formidable leçon
sur les relations enseignants-élèves, avec un Laurent Laffitte qui
crève l’écran (il sortira en janvier prochain).
très bon film aussi (mais austère)
Malgré
tout, une assez bonne Mostra, même si je n’ai pas vu les films de
Schoeller (Un peuple et son roi), d’Audiard (The sisters brothers) et de Kusturica (El Pepe, une vida suprema), paraît-il excellents. Et c'est aujourd'hui le 45ème anniversaire du coup d'état (réussi, celui-là, contrairement à celui fomenté dans le film turc) de l'infâme Pinochet !
bulletins de vote du public pour les films des "Giornale degli autori"
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