mardi 11 septembre 2018

11 septembre 2018 : la Mostra de Venise 2018



En marchant, les femmes peuvent tout montrer, mais ne rien laisser voir.
(Balzac, Théorie de la démarche, Mille et une nuits, 2015)


Tout de même, quel bonheur c’était de se lever tôt, en général 6 h 45, de se préparer (rasage, douche, assouplissement gymnique), de descendre petit déjeuner à 7 h 15 (et garnir son sac au buffet de quelques victuailles, fruits, galettes de riz, œufs durs, petit pain et jambon pour le pique-nique de midi), puis vers 7 h 45 de se diriger à pied vers la station de vaporetto, le plus souvent San Zaccaria (20 minutes à pied, mais qui nous emmène direct à la Mostra), parfois l’Accademia (7 minutes à pied, mais ensuite, il faut au Lido prendre un bus ou ses jambes à son coup pour rejoindre la Mostra) dans les ruelles (calle) et places (campi, piazze) vides de l’encombrement des touristes encore au lit à cette heure et où l’on peut enfin marcher d’un pas normal.

au petit matin, le Palais des Doges, avant l'afflux des touristes
 
De découvrir dans ces vaporetti des gens de tout âge, en solo, en couple ou en petits groupes, qui ont les mêmes goûts, le même désir de la découverte de films du monde entier, qui se dirigent vers les mêmes lieux, qui compulsent le programme pour faire leur choix, qui parlent dans toutes les langues de ce qu’ils ont vu hier, d’observer leur accoutrement (les femmes démontrent l'aphorisme de Balzac cité en exergue), leur coiffure (pas mal de cheveux colorés en bleu, jaune, toutes les nuances de rouge, tiens, faudrait que j’essaye ça !), leurs tatouages (j’en avais jamais vu autant !), leurs sourires, leur calme lors du contrôle des sacs aux diverses entrées de la Mostra, bref de se sentir inclus enfin et un peu moins différent que dans la vie ordinaire.

le Palais du Casino, au style mussolinien

La Mostra nous propose des projections dans neuf salles allant de 1760 à 48 places. J’ai fréquenté surtout le Palabiennale (1760 places), la Sala Darsenna (1409 places), la Sala Perla (450 places), la Sala Giardino (446 places), et, épisodiquement, la Sala Grande (1032 places, projections officielles en présence de l’équipe du film projeté, je n’y suis allé qu’une seule fois, car il faut montrer patte blanche, c’est plein à craquer et on est souvent mal placé), et la Sala Volpi (149 places, réservée surtout aux projections de copies de films anciens restaurés : je n'en ai vu qu'un, du Mexicain Arturo Ripstein).

un Festival sous haute surveillance

Pour une fois, j’ai vu (dès le premier jour) le film qui a obtenu le Lion d’or, Roma, du Mexicain Alfonso Cuaron. Film en noir et blanc, il faudrait plutôt dire en gris et gris, car le parti pris esthétique est plutôt les différentes nuances de gris, c’est en effet un film intéressant : dans une famille de la classe moyenne, le père disparaît, les femmes (la mère et les servantes) doivent se serrer les coudes pour faire face. Lutte des classes (bourgeoisie/domestiques), lutte des races (bourgeoisie blanche/domestiques indiens) et lutte des sexes sont donc ici imbriquées. Les hommes, violents et inconscients, n’ont pas le beau rôle. Magnifique portrait de la jeune servante Indienne qui m’a fait penser à celle du Flaubert d’Un cœur simple.


Je privilégie toujours à Venise les films italiens et les films venant de petits pays ou de pays exotiques. Ma connaissance de l’anglais et de l’américain est trop faible pour voir ces films sous-titrés en italien. J’ai donc vu des films provenant du Brésil, de Hongrie, de Turquie, de l’Uruguay, du Cambodge, de Syrie, de Palestine, d’Inde, d’Argentine, du Kazakhstan, du Montenegro, du Guatemala, d’Iran, de Tunisie et du Japon. Je ne vais pas les détailler tous, mais parler seulement de ceux qui m’ont frappé.


la Sala Giardino, la plus récente (elle a deux ans)

Chez les Italiens, j’ai fortement apprécié Il bene mio, de Peppo Mezzapesa : dans un village durement touché par un tremblement de terre et vidé de ses habitants, un quinquagénaire fait de la résistance et ne veut pas quitter sa maison. Film humaniste, émouvant, solaire. J’irai le revoir à sa sortie ici, que j’espère vivement, mais dont je ne suis pas sûr.

acteur très applaudi, à juste titre ! 

La sortie des dictatures ou de la répression était souvent évoquée. Le magnifique film uruguayen La noche de 12 años, un des chocs du Festival, raconte le calvaire enduré par trois Tupamaros pendant la dictature militaire : c’est sec, sans graisse ni fioritures, un constat implacable. Le film brésilien Deslembro, lui, parle des disparus de la dictature militaire aussi à la même époque. L’annonce (une des rares comédies de la Mostra) montre des militaires qui tentent un coup d’état en Turquie et qui cherchent à s’emparer de Radio Istanbul pour annoncer leur réussite : j’ai beaucoup ri des péripéties de leur échec complet. Les Tombeaux sans noms est le retour au Cambodge de l’auteur qui a perdu une grande partie de sa famille et qui interviewe des rescapés qui ne savent pas où honorer leurs morts, disparus dans des fosses communes : impressionnant. Le jour où j’ai perdu mon ombre : dans la Syrie de 2012, une femme tente de conserver sa dignité. Le documentaire 1938 : diversi nous rappelle les lois raciales mussoliniennes et leurs terribles conséquences. Mafak raconte le difficile (impossible ?) retour à la réalité d’un prisonnier palestinien ayant passé quinze ans dans les prisons israéliennes.

mon meilleur film avec "Il bene mio" : exceptionnel et longuement applaudi

Autres films que j’ai beaucoup aimés : le film kazakh La rivière, où une famille isolée dans une ferme en pleine steppe se trouve confrontée à l’irruption de la modernité ; le guatémaltèque José traite, comme l’italien Saramo giovanni e bellissimi, du lien mère possessive/fils impossible à couper ; l’iranien As I lay dying, d’après Faulkner, nous révèle des secrets de famille après la mort du père ; l’indien Soni évoque la difficulté des femmes à assumer des charges jusque-là réservées aux hommes ; Le banquier anarchiste, d’après le superbe texte de Fernando Pessoa, est un régal esthétique ; Killing raconte une histoire de samouraïs dans le Japon d’antan ; Une histoire sans nom est un excellent polar hitchcockien tiré de l’histoire vraie du vol en Sicile d’un Caravage par la mafia ; L’heure de la sortie, un des deux films français que j’ai vus, est une formidable leçon sur les relations enseignants-élèves, avec un Laurent Laffitte qui crève l’écran (il sortira en janvier prochain).

très bon film aussi (mais austère)
Malgré tout, une assez bonne Mostra, même si je n’ai pas vu les films de Schoeller (Un peuple et son roi), d’Audiard (The sisters brothers) et de Kusturica (El Pepe, une vida suprema), paraît-il excellents. Et c'est aujourd'hui le 45ème anniversaire du coup d'état (réussi, celui-là, contrairement à celui fomenté dans le film turc) de l'infâme Pinochet !

bulletins de vote  du public pour les films des "Giornale degli autori"


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