Le
seul conseil, à vrai dire, qu’on puisse donner sur la lecture est
de ne pas suivre de conseils, de se fier à son instinct, de faire
usage de sa raison et de tirer ses propres conclusions.
(Virginia
Woolf, Comment
lire un livre,
L’Arche, 2008)
Avec La Tour de Malévoz, Silien Larios relate une
parenthèse dans sa vie : à la suite de la publication
de son roman racontant une grève, L'usine
des cadavres,
, il est accueilli en résidence d'artiste de deux mois à l'hôpital
psychiatrique de Malévoz, dans le Valais suisse. C'est un hôpital
en milieu ouvert, sans portes et sans clefs ! La résidence devant
s'achever par la grande kermesse de l'hôpital à laquelle
participent le personnel et les pensionnaires, ainsi que les artistes
invités.
« La tour de l’hôpital psychiatrique de
Malévoz s’aperçoit au loin dans les cimes helvètes. La brume
matinale la rend irréelle. » Le narrateur fait part de ses
rencontres, qui vont du personnel soignant aux résidents, « êtres
souffrant de troubles, nécessitant prioritairement le soulagement
d’une souffrance existentielle ou relationnelle !... » Des
êtres meurtris par la vie, qu'il apprivoise et qui lui font oublier
ce qu'il appelle ses « névroses » d'ouvrier à la chaîne, lui
aussi esquinté d'une autre manière.
Peu
à peu, au fil des jours et des promenades et rencontres (Pablo, le
moine, surnommé Saint Nicolas, lecteur de Céline et de Proust, aux
curieuses homélies antireligieuses, Lenka, la psychologue, qui fait
aussi du travail social en prison, Pascal le syndicaliste, Valentin
le pianiste, Elsa la Polonaise, qu'il suppose rescapée des camps,
Alain, le fou lunatique, capable de faire fuir les dames patronnesses
venues apporter la bonne parole, Lili, la gitane diseuse de bonne
aventure, Anaïs, la comédienne ambulante, le médecin-chef...), à
l'intérieur du périmètre de l'hôpital ou dans les environs, dans
la vallée en déconfiture économique, le narrateur, soucieux
d'écouter (« Les yeux fermés, c’est d’une époque
l’autre... D’un enchantement musical l’autre... ») et de
regarder, les observe faire du théâtre, de la musique, du
jardinage, préparer la fête, soigner, danser, boire et ripailler
aussi. Il contemple également la nature, la montagne, les arbres et
en saisit les nuances et la poésie.
L'auteur-narrateur
a gardé de son passé d'ouvrier (qu'il reprendra d'ailleurs dès son
retour en France) un ton farouche, indépendant, insoumis,
indomptable même, que révèlent son style d'écriture (à bas la
norme !) et son souci d'ouverture : « Je suis un humaniste
avant tout !... Je perçois les rapports humains sous cet angle-là
!... J’échange des idées et impressions avec le maximum de
personnes que la vie fait rencontrer !... » Et il est bien
obligé de constater que « Les fous !... Les marginaux font
peur !... Dans une société en perdition ce sont les seuls qui
peuvent défier tout les pouvoirs !... »
Il
tire de sa résidence d'écrivain une expérience à plus d'un titre
initiatique : loin de la ville et de son bruit, de sa pollution, loin
des sentiers tracés de la vie ordinaire, familiale, professionnelle,
il retrouve ici une combativité pour dénoncer avec ses phrases
courtes, hachées, rageuses, les maux de notre temps, le conformisme
en premier lieu, ce en quoi il se trouve en harmonie avec la plupart
des personnes rencontrées. Le médecin-cher finit par lui avouer :
« Le milieu hospitalier a tendance à avoir un côté
normatif !... Or on a besoin que l'hôpital psychiatrique soit
en quelque sorte un bordel organisé !..., un lieu organique,
vivant. En ce sens, j'ai envie de dire qu'avec les artistes, on
introduit enfin la folie à l'hôpital !... » Silien
Larios se trouve pleinement d'accord avec Virginia Woolf : « Soyez
une seule fois conforme, faites une fois ce que les autres font parce
que cela se fait, et la léthargie gagne les nerfs les plus fins et
les facultés les plus ténues de l’âme. Celle-ci devient tout
spectacle à l’extérieur et vide à l’intérieur ; morne,
endurcie, indifférente.. » (Virginia Woolf, "Montaigne",
in Lectures
intimes,
R. Laffont, 2013)
Cependant
l'auteur nous prévient en exergue : « Tout le raconté dans ce
roman [qui est avant tout un récit], lieu, personnages, action, est
imaginaire ! Absolument fictif! ! La seule réalité se trouve dans
un ailleurs ! » Ce fictif, cet ailleurs que seule la
littérature ou l'art permet, et qui nourrissent l'imaginaire du
narrateur. Voulez-vous aller dans ce fictif-là ? Je vous y engage
vivement…
D'autant
plus que les peintures de Philippe Fagherazzi, artiste invité au
même moment, offrent un contrepoint somptueux dans un style pictural
aussi cru, sauvage et brut que l'écriture de l'auteur.
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