samedi 15 juin 2019

15 juin 2019 : revoilà Silien Larios



Le seul conseil, à vrai dire, qu’on puisse donner sur la lecture est de ne pas suivre de conseils, de se fier à son instinct, de faire usage de sa raison et de tirer ses propres conclusions.
(Virginia Woolf, Comment lire un livre, L’Arche, 2008)


Avec La Tour de Malévoz, Silien Larios relate une parenthèse dans sa vie : à la suite de la publication de son roman racontant une grève, L'usine des cadavres, , il est accueilli en résidence d'artiste de deux mois à l'hôpital psychiatrique de Malévoz, dans le Valais suisse. C'est un hôpital en milieu ouvert, sans portes et sans clefs ! La résidence devant s'achever par la grande kermesse de l'hôpital à laquelle participent le personnel et les pensionnaires, ainsi que les artistes invités.


« La tour de l’hôpital psychiatrique de Malévoz s’aperçoit au loin dans les cimes helvètes. La brume matinale la rend irréelle. » Le narrateur fait part de ses rencontres, qui vont du personnel soignant aux résidents, « êtres souffrant de troubles, nécessitant prioritairement le soulagement d’une souffrance existentielle ou relationnelle !... » Des êtres meurtris par la vie, qu'il apprivoise et qui lui font oublier ce qu'il appelle ses « névroses » d'ouvrier à la chaîne, lui aussi esquinté d'une autre manière.
Peu à peu, au fil des jours et des promenades et rencontres (Pablo, le moine, surnommé Saint Nicolas, lecteur de Céline et de Proust, aux curieuses homélies antireligieuses, Lenka, la psychologue, qui fait aussi du travail social en prison, Pascal le syndicaliste, Valentin le pianiste, Elsa la Polonaise, qu'il suppose rescapée des camps, Alain, le fou lunatique, capable de faire fuir les dames patronnesses venues apporter la bonne parole, Lili, la gitane diseuse de bonne aventure, Anaïs, la comédienne ambulante, le médecin-chef...), à l'intérieur du périmètre de l'hôpital ou dans les environs, dans la vallée en déconfiture économique, le narrateur, soucieux d'écouter (« Les yeux fermés, c’est d’une époque l’autre... D’un enchantement musical l’autre... ») et de regarder, les observe faire du théâtre, de la musique, du jardinage, préparer la fête, soigner, danser, boire et ripailler aussi. Il contemple également la nature, la montagne, les arbres et en saisit les nuances et la poésie.
L'auteur-narrateur a gardé de son passé d'ouvrier (qu'il reprendra d'ailleurs dès son retour en France) un ton farouche, indépendant, insoumis, indomptable même, que révèlent son style d'écriture (à bas la norme !) et son souci d'ouverture : « Je suis un humaniste avant tout !... Je perçois les rapports humains sous cet angle-là !... J’échange des idées et impressions avec le maximum de personnes que la vie fait rencontrer !... » Et il est bien obligé de constater que « Les fous !... Les marginaux font peur !... Dans une société en perdition ce sont les seuls qui peuvent défier tout les pouvoirs !... »
Il tire de sa résidence d'écrivain une expérience à plus d'un titre initiatique : loin de la ville et de son bruit, de sa pollution, loin des sentiers tracés de la vie ordinaire, familiale, professionnelle, il retrouve ici une combativité pour dénoncer avec ses phrases courtes, hachées, rageuses, les maux de notre temps, le conformisme en premier lieu, ce en quoi il se trouve en harmonie avec la plupart des personnes rencontrées. Le médecin-cher finit par lui avouer : « Le milieu hospitalier a tendance à avoir un côté normatif !... Or on a besoin que l'hôpital psychiatrique soit en quelque sorte un bordel organisé !..., un lieu organique, vivant. En ce sens, j'ai envie de dire qu'avec les artistes, on introduit enfin la folie à l'hôpital !... » Silien Larios se trouve pleinement d'accord avec Virginia Woolf : « Soyez une seule fois conforme, faites une fois ce que les autres font parce que cela se fait, et la léthargie gagne les nerfs les plus fins et les facultés les plus ténues de l’âme. Celle-ci devient tout spectacle à l’extérieur et vide à l’intérieur ; morne, endurcie, indifférente.. » (Virginia Woolf, "Montaigne", in Lectures intimes, R. Laffont, 2013)
Cependant l'auteur nous prévient en exergue : « Tout le raconté dans ce roman [qui est avant tout un récit], lieu, personnages, action, est imaginaire ! Absolument fictif! ! La seule réalité se trouve dans un ailleurs ! » Ce fictif, cet ailleurs que seule la littérature ou l'art permet, et qui nourrissent l'imaginaire du narrateur. Voulez-vous aller dans ce fictif-là ? Je vous y engage vivement…


D'autant plus que les peintures de Philippe Fagherazzi, artiste invité au même moment, offrent un contrepoint somptueux dans un style pictural aussi cru, sauvage et brut que l'écriture de l'auteur.

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