jeudi 26 juillet 2018

26 juillet 2018 : à la campagne



Après tout, les heures que nous passons, hypnotisés par les écrans digitaux, oublieux de nos promesses, dispendieux de notre temps, distraits de nos pensées, indifférents à notre corps qui s’épaissit devant le clavier, ressemblent aux heures hagardes des marins d’Ulysse sur l’île [des Lotophages].
(Sylvain Tesson, Un été avec Homère, Éd. Des Équateurs, 2018)


Je pensais à tout ça, juché sur Bucéphale (et aussi dans le train, où Bucéphale a pris place avec moi entre Bordeaux et Decazeville) en voyant tous nos concitoyens, de l’enfance à la vieillesse, hypnotisés par leur petit écran, qu’ils ne quittaient guère des mains et des yeux : à quoi pensaient-ils ? C’est le mystère le plus absolu pour moi. J’ai tout de même rencontré deux exceptions : un autre cycliste, un jeune entre Périgueux et Brive (puis qui partait vers Cahors), avec qui j’ai sympathisé, puis un marcheur, presque de mon âge (entre Figeac et Grammat), deux randonneurs donc qui raccourcissent certaines étapes grâce aux TER, tant qu’ils existent ! Car la ligne Brive-Rodez est menacée, et il y a peu de Bordeaux-Brive directs ! En tout cas, ces deux personnes connaissent encore le bonheur d’être déconnecté. J’entendais ce matin à la radio deux infos intéressantes : il y a de plus en plus d’addicts aux jeux d’argent en ligne sur internet (et sans doute aussi à d’autres jeux si j’en juge par mes observations dans les trains) et les rames de TGV que vient de commander la SNCF à Alsthom seront connectées !

le musée de la faïence à Montbazens

Donc, j’ai passé quatre belles journées en Aveyron d’où je suis d’ailleurs rentré en mauvais état, victime d’une sinusite due vraisemblablement au froid, peut-être la fraîcheur dans les descentes après la suée dans la montée (la côte de Montbazens fait 7 bons km assez rudes et peu ombragés) ou bien les 10 à 12° qu’il faisait lors de nos promenades à pied (très matutinales : nous partions vers 6 h 30, le cousin Dédé et moi), ou mes visites chez les vieilles dames avec climatisation (que je redoute depuis mon séjour en Guadeloupe)... Donc, journée de repos complète hier mercredi et report de ma visite à mes poètes de Poitiers que je devais faire aujourd’hui ; ce sera pour la semaine prochaine.
J’ai pu me reposer chez les cousins de Claire, papoter sur la terrasse en observant les oiseaux, jouer au scrabble avec Francine (la femme de Dédé), aller au café avec Dédé et discuter avec les autochtones, participer à un repas chez l’autre cousin, Jean, celui d’Aigues-Mortes. Son fils Jean-Marie, que je n’avais pas vu depuis cinq ans, y était avec une amie polonaise, Marta. Pour finir, j’ai invité tout ce monde au restaurant du village, car si les visiteurs le snobent, il finira par fermer. Ce fut bien agréable. J’ai bouquiné aussi (c’est mon addiction à moi !), regardé un peu le Tour de France en montagne. Le bonheur d’être dans un lieu où on se lève et se couche tôt, et sans connexions intempestives ! De vraies vacances...

à Monbazens, la sculpture offerte à la commune par un tailleur de pierre

Et puis quand même le plaisir de la bicyclette, en dépit de son poids et de la surcharge des sacoches. Bien sûr, je préfère quand c’est plat (style Pays-bas), mais ici, la route monte ou descend. Même sur le Causse, les portions réellement plates sont rares, c’est plus fréquemment du faux plat en montée ou en descente. Si les descentes sont bienvenues, elles peuvent être acrobatiques, notamment dans la déviation de Loudes qui précédait Brandonnet, et où j’ai eu la chance de ne rencontrer un chien qui aboyait qu’au retour quand ça montait ! Dans la descente, à l’aller, il m’aurait sacrément fait peur... Même si je freine dans les descentes pour éviter de prendre trop de vitesse et de louper un virage.

l'église de Brandonnet, en face de chez Dédé, sonne entre 7 h et 19 h

Bref, tout s’est bien passé. Au cours des conversations au café, longue discussion sur l’église (fermée, il n’y a plus de curé ni de messes) qui était naguère un lien social où même les incroyants se rendaient, afin de rompre leur isolement quotidien. Et, en sortant de la messe, les hommes faisaient un petit tour au café en face, pendant que les femmes papotaient sur le parvis et les enfants improvisaient des jeux sur la place. Tout cela a disparu, le village s’éteint peu à peu. Il faut maintenant prendre sa voiture pour aller à la messe au bourg le plus proche. Beaucoup y renoncent, les croyants la regardent de temps à autre à la télévision comme un pis-aller. La spiritualité a tout de même prix un sacré coup dans l’aile.


jusqu'où les vélos ne vont-ils pas se nicher ?
(au village)
 
D’ailleurs, ici, la voiture est reine : comment faire autrement, quand il faut faire 12 km pour faire le plein de victuailles et autres produits, une fois par semaine, au supermarché ? Quand rendre visite aux voisins (parfois distants de 1 ou 2 km) paraît impossible sur ces petites routes qui grimpent trop souvent ? On voit bien chaque matin un jogger (mais il est Anglais) qui court avec son chien, de vieilles dames qui vont à pied à leur jardin ou au cimetière, parfois un cycliste un peu sportif, mais sinon, tout le monde circule en voiture, et la rue du village (pourtant à l’écart des grandes routes) voit assez souvent passer des automobilistes, des 4x4, quelques tracteurs et camions, voire des quads : un vrai boulevard ! Les retraités vivent chichement et la voiture ampute lourdement leurs maigres pensions. Bien sûr, aucun bus ou car ne passe ! Ce n’est pas à la campagne que la transition vers moins de voitures sera possible ; le plan vélo annoncé par le gouvernement n’y aura aucun sens.
 

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