vivre
dans une solitude sélective – car je recevrais quelques visites
ou, parfois, hébergerais un ami...
(Juan
Ramón Ribeyro, Propos apatrides,
Finitude, 2011)
Chaque
fois que j'ai un coup de blues, comme en ce moment, après le départ d'un(e) ami(e), par
exemple, ou de toute personne que j'aime (et j'ai le malheur d'en
aimer beaucoup), je mets le cd du groupe polonais Mazowsze, j'écoute
la musique et j'ai les yeux qui s'emplissent de larmes. C'est que ce
disque (en 33 tours) m'avait été offert en mai 1974 par mon premier ami
polonais, Piotr Eckstein, lors de mon premier voyage en
Pologne. Piotr est mort en 1984, à peine âgé
de 33 ans, d'une tumeur au cerveau, comme Claire, vingt-cinq ans plus tard. Quand je suis allé
en Pologne avec Claire et Lucile en 2003, son frère Marcin nous avait montré sa tombe ; j'ai cherché et réussi à racheter
sur cd cette musique, que mon phonographe ne pouvait plus lire sur 33 tours.
les canaux, artères de Venise : ici, un petit canal
et quelques-uns des ponts innombrables
Inutile
de dire que revenir de Venise, ça fout un coup de blues. C'est que
Venise, c'est toute une façon d'être, hors du temps, hors de
l'espace presque. Ici, pas de voiture, les déplacements se font à
pied ou en bateau. On se lève tôt, moi, en tout cas, faisant
comme Virginia Woolf : "Chaque
fois que je repense maintenant à ce qu'est le petit matin, je jure
que c'est le moment le plus beau et le plus rare de la journée –
le plus exceptionnel assurément, à certains égards. On se sent, je
dirais, d'une essence inhabituellement spirituelle, une fois que l'on
a surmonté son désir physique de sommeil, et le prix de ce
combat – ces heures de clarté supplémentaire – revêt un aspect
éthéré particulier, qui vous honore, en quelque sorte, à vos
propres yeux"
(Journal
d'adolescence, 1897-1909,
trad. Marie-Ange Dutartre, Stock, 2008).
la Via Garibaldi, grande voie piétonne, près des Giardini
Dès
7 h, je sors de l'hôtel et marche dans le jour qui se lève, j'observe
les activités vénitiennes : les éboueurs avec des charrettes à bras relèvent
les sacs poubelles, les hommes balayent les rues, les barques et
canots apportent les marchandises, fruits, légumes et autres
nourritures terrestres, les touristes dorment ; je suis le roi
des ruelles et je salue les travailleurs matinaux. Je finis par
déboucher sur la Place Saint-Marc où même les pigeons sont peu
nombreux : eux aussi affluent avec les touristes. Au passage,
j'ai admiré telle ruelle, telle maison, telle église, les façades
des palais. Tout est pour moi, le lève-tôt, avec les couleurs
douces du soleil levant qui dore
le sommet des colonnes et des bâtisses.
le Grand Canal, vu du pont de l'Accademia, au petit matin
Je
suis donc
parmi
les premiers à prendre le vaporetto qui mène au Lido, et je peux me
balader dans cette île sans me presser vers les salles de cinéma,
en prenant le chemin des écoliers, ce que j'ai aimé faire toute ma
vie. J'achète un croissant et, comme j'ai le temps avant la première
séance, je fais un tour sur la plage de l'Adriatique, battue par le
vent. Selon les jours, j'arrête le cinéma à 16 h ou à 18 h et
rentre, faisant des tours et détours dans Venise la belle, avant que
la nuit tombe. M'éloignant des coins à touristes, je m'égare, je
me perds, je hume les odeurs des canaux, j'observe les gondoliers
(certains chantent), j'entre dans une cour, je
regarde les jardins, je me prends pour un héros de Tchékhov et suis
les "dames au petit chien", je
pénètre dans une église et j'y admire les tableaux anciens. Je
prends mon temps pour dénicher un restaurant pour le repas du soir
(à midi, je grignote). Si j'ai eu la chance de trouver sur le
vaporetto du retour un(e) membre du groupe, il peut m'arriver de
manger avec lui ou elle (ça
ne m'est arrivé qu'une fois).
Mais en fait, chacun est indépendant et organise son temps et
ses égarements à
sa façon.
la Tour de l'Horloge, place Saint-Marc,
qui ouvre vers des ruelles très touristiques, commerces et restaurants
Cette
année, je n'ai été ni écouter un des nombreux concerts Vivaldi
donnés dans les églises, ni voir un opéra à la Fenice : je
pense y retourner au moins encore une fois ou deux, si je reste en
vie.
J'ai pensé à Claire et à notre voyage de mai 2002, à Igor que
j'avais emmené en 2012 (les
deux fois, nous avions assisté à un concert Vivaldi),
à mon fils Mathieu que j'ai entraîné
en 2013 pour
qu'il voit la Biennale.
Il ne me reste plus qu'à convaincre ma
fille (mais je crois qu'elle y a fait escale une fois avec un ami),
une de mes sœurs ou un(e) autre de mes ami(e)s. Car en vérité,
s'il
faut être seul pour découvrir, à son propre rythme, une ville,
Venise
est aussi une ville qu'on peut partager : il faut, simplement, ne pas avoir peur de marcher ! En
2002, nous ne nous étions pas séparés un seul instant, Claire et
moi. Ce fut un des des plus heureux moments de ma vie. En 2012, je
n'avais pas trop quitté Igor, déjà en phase terminale de sa maladie – mais je sais qu'à son
retour, il parla avec enthousiasme à sa famille de ce séjour. En
2013, j'ai laissé Mathieu découvrir la ville, la Biennale et la
Mostra à sa façon, on se retrouvait vers 18 h chaque soir, et un matin, j'ai
revisité avec lui le Palais des Doges.
le Pont des soupirs : à gauche, le Palais des Doges, à droite, les prisons
après jugement, on passait par ce pont pour être emprisonné, d'où son nom
En
résumé, je reviendrai ! Il me reste encore des choses à
découvrir, les venelles, canaux, musées, églises et palais sont
inépuisables. Si ce n'était pas si cher, j'y resterais même plus
longtemps !
tout aussi incontournables,
les gondoles
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