lundi 24 février 2014

24 février 2014 : basculements


Ceux qui ont vécu savent que l'ombre n'est là que pour un temps ; le matin apporte avec lui sa lumière.
(Nii Ayikwei Parkes, Notre quelque part, trad. Sika Fakambi, Zulma, 2014)


Petit arrêt à Poitiers, en rentrant de Paris.
La journée d'étude sur « la place des bibliothèques en prison » a été très riche d'enseignement. Les témoignages d'intervenants (bibliothécaires, professeur-documentaliste, travailleurs sociaux) ont été saisissants. Mais comme toujours, ce sont des gens « extérieurs » qui nous apportent le plus : l'architecte Christian Demonchy fut chargé vers 1987 de construire la prison-modèle de Mauzac (Dordogne). J'en avais entendu parler par le Journal de taule lu récemment. Mais là, je l'ai vue, projetée sur grand écran. On comprend tout de suite pourquoi on n'a pas donné suite et on n'en a pas construit d'autre. C'est que les détenus s'y trouvent bien, comme les surveillants. Or, dans la conception hyper-sécuritaire de la punition, de la pénitence, on préfère construire des « bastilles » aussi invivables pour les surveillants que pour les détenus. Dommage : là, on était plus proche des prisons canadiennes ou scandinaves, une « prison en utopie », pour pasticher le titre du documentaire vu avant de partir.


Le centre de détention de Mauzac


Je suis allé à la Comédie française avec mes cousins voir une formidable représentation du Songe d'une nuit d'été, de Shakespeare, pièce assez difficile à monter, car elle contient trois actions parallèles. C'est une comédie qui tire sur la farce à propos des jeux de l'amour et du hasard. 
 
Et puis, je suis allé voir trois films, dont deux invisibles pour l'instant à Bordeaux, sur le basculement des vies quand soudain ça déraille. Au bord du monde est un documentaire sur les SDF parisiens, les invisibles de nos trottoirs. On y voit un Paris nocturne de toute beauté qui fait d'autant plus ressentir le peine de ces gens qui sont tombés, qui ont basculé et ne peuvent plus en sortir ; et cependant, certains résistent et se créent une vie précaire, mais relativement positive. Les témoignages sont saisissants ; nous étions tous cloués sur le fauteuil à la fin de la séance. Horrifiés par notre indifférence usuelle, notre gêne, notre absence de regard, nos fuites et nos petites lâchetés.

 
Même topo pour le documentaire helvéto-grec Comme des lions de pierre à l'entrée de la nuit, qui raconte le camp de concentration sur l'île de Makronissos, l'île des oubliés, où furent internés, avec la bénédiction des Américains et des Britanniques, les opposants grecs (qui avaient pourtant été des résistants au nazisme) à partir de 1947, sous prétexte de les rééduquer contre le communisme. Parmi eux de nombreux poètes, dont les poèmes lus à haute voix rythment le déroulement du film. On nous a tant seriné dur les camps de rééducation en Chine, au Vietnam, à Cuba, et on nous avait caché qu'il en avait existé aussi dans le monde dit « libre » : je n'en avais jamais entendu parler. Pour espérer sortir, les internés devaient signer une déclaration de pseudo-patriotisme hellénique que les irréductibles (parmi lesquelles le poètes) refusèrent, malgré les tortures, la faim et tout ce que pouvez imaginer ; comme quoi, on peut résister. Très très beau film qui m'a donné envie de lire Yannis Ritsos et autres poètes. Là aussi, nous avons mis du temps à nous relever de nos sièges.

Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit

Enfin, autre type de basculement, l'avc. Dans le film de Catherine Breillat, Abus de faiblesse, film de fiction cette fois, mais très proche du réel, l'héroïne, après son avc, est victime d'un escroc qui profite de sa faiblesse physique et psychique. Très belle performance d'Isabelle Huppert. Un film terrifiant ! Nous sommes sortis en nous disant qu'en cas d'avc, la meilleure solution est de se flinguer, si on peut !!!

Abus de faiblesse


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