mardi 11 février 2014

11 février 2014 : "Les rayures du zèbre" de Benoît Mariage, ou les négriers aujourd'hui


Devant les pancartes « chemin privé » de la campagne, un ami à moi disait toujours : « Eh bien, cher ami, vous l'aurez voulu, ne venez pas vous plaindre, vous serez privé de moi. »
(Marguerite Duras, La droite la mort, 1985, in Le monde extérieur : outside 2, POL, 1993)


De temps en temps, je fais des infidélités cinéphiliques à l'Utopia, et je vais au CGR (Jacky au royaume des filles) ou à l'UGC (Les rayures du zèbre). En général, ce sont des films qui sont court-circuités en passant dans le circuit commercial, c'est-à-dire qu'ils font moins d'entrées qu'ils n'en feraient dans une salle d'art et d'essai, où les films sont plus choyés que les pop-corns des cinoches commerciaux. C'est précisément le cas de ces deux films qui vont être des échecs commerciaux et faire peu d'entrées, disparaître de l'affiche très rapidement (déjà, l'UGC ne propose plus que deux séances par jour pour Jacky, en deuxième semaine et je prévois la même chose, la semaine prochaine, pour la deuxième semaine du zèbre).
Le film belge des deux Benoît (Benoît Poelvoorde, acteur, et Benoît Mariage, réalisateur) va suivre cette trace. C'est pourtant un excellent film sur la nouvelle traite négrière, celle des recruteurs de gamins africains susceptibles de devenir de grands joueurs de football. José (Pelvoorde dans un de ses meilleurs rôles), moustache blonde conquérante, chaîne d'or sur chemise dépoitraillée, pratique ce rôle depuis des années, mais il est au bout du rouleau, menacé d'être rétrogradé comme entraîneur de minimes. Il a beau « avoir le nez » pour dénicher l'oiseau rare, le ballon d'or, ces derniers temps, ses recrues traînent dans des divisions inférieures. Faut dire qu'il passe davantage de temps en compagnie de pulpeuses Ivoiriennes dans l'hôtel de luxe où il descend que sur les stades et les terrains à détecter la perle rare. Hâbleur autant qu'hargneux, vulgaire et ventripotent, il use d'un paternalisme quasi hystérique, caricature assez vulgaire du tyran néo-colonialiste. On est ainsi parfois à la limite de la farce tout autant que dans un film presque documentaire sur les relations toxiques qui unissent l'Afrique et ses anciennes colonies, où les futurs joueurs de foot internationaux ne sont qu'une matière première de plus, à l'instar du cacao, des diamants ou de l'uranium. 
Le film m'a évidemment d'autant plus passionné que l'action se passe en grande partie en Côte d'Ivoire (où vit ma fille, pays qu'on voit donc longuement filmée, aussi bien la capitale que la brousse), et montre les aspects assez négatifs, faussés à la base, des relations Blancs [qui ont tout, peuvent tout acheter] / Africains [qui n'ont rien, et se laissent acheter, car comment faire autrement ?]. Le film m'a paru très juste et très dur, féroce même, une sorte de concentré de mondialisation, où se mêlent les jeux de l'argent du sport (on offre une voiture de luxe au jeune prodige Yaya Koné qui ne sait même pas conduire, ce qui va causer la catastrophe !) et de l'amour tarifé ("C'est parce que tu me payes que je couche avec toi", dit une des filles, avec pourtant le secret espoir de se faire épouser et de partir au paradis occidental), les trafics en tous genres aussi, dont le moindre n'est pas celui de recruteur, presque aussi abject que les anciens négriers. Même l'aspect mélo de la fin du film me semble assez juste ; car j'imagine bien que, pour tous ces jeunes « prodiges » du ballon rond, la réussite au final ne doit concerner que quelques-uns. Et beaucoup doivent tourner mal, à l'instar de Boubacar, une précédente recrue de José, qui passe plus de temps dans les boîtes de nuit à s'alcooliser avec des filles qu'à l'entraînement. Un film moral, en somme, et propre à dessiller les yeux des jeunes Africains en mal de reconnaissance sportive : un sur mille réussira, et encore. Mais Les rayures du zèbre sera-t-il vu là-bas ?

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