jeudi 24 juin 2021

24 juin 2021 : poésie et mémoire

 

Que tout ce bonheur matériel est fragile ! et que que le souvenir de l’amour, au contraire, est solide !

(Pierre Dupouey, Lettres du lieutenant de vaisseau Dupouey, Gallimard, 1922)


Me voici douze ans après, espérant tenir comme Les trois mousquetaires jusqu’à Vingt ans après, mûrissant (devrais-je dire flétrissant ?), mélancolique, fatigué, sans illusion comme eux, et pourtant essayant encore de me battre, d’être un "serviteur" (au sens chrétien du terme : "je suis au milieu de vous comme celui qui sert", parole de Jésus, Luc, 22, 27) capable de donner et de se donner (un peu comme d’Artagnan), aux amis, à mes deux tribus (la mienne et celle de Claire), à celles et ceux qui sont dans le besoin, d’être dans le partage et la fraternité, comme Claire me l’a enseigné. Et de me souvenir.

Je me croyais capable d’oubli, comme tout le monde : il est vrai que j’ai un penchant (naturel ?) à oublier les quelques malheurs qui ont ombragé ma vie. Mais impossible d’oublier les années heureuses, les moments enchanteurs, les petits bonheurs (chers à Félix Leclerc), les joies indicibles. J’y pense souvent, et aussi à la manière dont Claire m’a aidé à donner du sens aux dernières années de sa vie : depuis, je ne redoute ni le vieillissement ni la mort ; elle m’a donné l’endurance pour affronter l’épreuve de ses cinq dernières années de vie et l’y accompagner avec courage et détermination, le cran d’apprendre à mourir, c’est-à-dire en somme d’apprendre à vivre, puisque la mort fait partie de la vie, ce que notre époque néglige, peut-être par absence de spiritualité.

Je vous propose ces deux poèmes, écrits à la mémoire de Claire.

 


 


 

 

 

 

 

Deux poèmes


1


c'était une fête, un vingt-trois février

tu avais accepté de chanter sur le pouce

comme l'oiseau de Noël chante

dans l'étable entre l'âne et le bœuf


j'étais, je crois, tiré à quatre épingles

pour t'honorer dans ce moment crucial

bel accompagnateur de ta douleur,

j'espérais dérouter la mort


homme, voilà, je n'étais qu'un homme

homme de rien dans la nuit sombre

mais j'allais allumer le phare de la poésie

pour qu'il illumine ta voix


et, sous la pluie battante des lumignons

tu as trouvé tes feux de route

tu as chanté – j'ai entendu – pour moi tout seul

je n'ai pas oublié les larmes de tes yeux


2


l’eau du ruisseau fredonne dans le vent

l’abeille baise le nectar de la fleur

vois mes mains qui tremblent


la brume enroule ses écharpes

une frêle rosée se pose sous mes pas

vois ma bouche qui s’ouvre


le soleil pâle perce l’air

les signes indiquent le destin

vois mon œil qui étincelle


notre vie, ce fil coupé

l’arbre le sent, l’arbre le voit

vois mon ouïe qui écoute


le monde s’est bien caché

tout au long de ton agonie

vois mon nez qui frémit

 

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