jeudi 14 janvier 2021

14 janvier 2021 : des nouvelles de Guadeloupe, ou mentalité coloniale pas morte

 

Nul ne colonise innocemment […] Une nation qui justifie la colonisation – donc la force - est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte…

(Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, 1955)



Un couple français installé en Guadeloupe cherche à faire déloger et même détruire un Temple hindou installé depuis 166 ans en Guadeloupe, coupable entre autre de bruit (celui des offices religieux = nuisances sonores pour nos colons). Petit rappel : lors de l’abolition de l’esclavage en 1848, les anciens esclaves refusant de travailler pour les maîtres, on fit appel à une main d’œuvre nouvelle, les Indiens d’Inde, supposée plus malléable et qui a apportée avec elle ses traditions religieuses hindouistes, donc des temples.


Pétition à signer :

https://www.change.org/p/le-monde-non-%C3%A0-la-d%C3%A9molition-du-temple-hindou-de-bois-lomard/psf/promote_or_share

Commentaire Texte de Joao que je reproduis ci-dessous :

https://www.facebook.com/blogjoaogabriell/

« C’est assez typique des phénomènes de gentrification, même sans la particularité coloniale du rapport Guadeloupe/France, où les nouveaux arrivants, aisés, favorisés dans les rapports sociaux, souhaitent des espaces de vie qui épousent leurs codes de sociabilité. C’est ainsi qu’ils souhaitent éradiquer (ou folkloriser, c’est une autre variante) les éléments perçus comme populaires ou pas assez raffinés (entendez « civilisés »)"

« Un couple originaire du Sud de la France s'est plaint au Procureur du bruit que feraient les messes, prières et chants d'un Temple Hindou en Guadeloupe... Cela peut paraître délirant (en plus d'être gonflé...) et voué à l'échec sur le plan judiciaire, mais il se trouve que le Temple a été construit sans autorisation sur un terrain classé agricole : il est donc menacé de démolition. En laissant de côté la question des espaces agricoles, cette affaire qui est en cours, et donc à suivre, m'évoque plusieurs choses du point de vue des dynamiques de race/classe et d’appropriation (physique et symbolique) de l’espace :

« 1- LA LÉGITIMITÉ : On imagine aisément comment le fait d'avoir construit sans permis sur un terrain classé agricole peut être retenu contre les prioritaires du Temple. Reste ceci dit à prendre au sérieux les enjeux soulevés par le fait qu'un couple, pas n'importe lequel, un couple de Français s'installant en Guadeloupe, estime que les cérémonies hindoues occasionnent trop de bruit, allant jusqu'à se plaindre au Procureur. Voilà qui en dit long sur leur sentiment de légitimité, le rapport asymétrique entre la Guadeloupe et la France n'y étant évidemment pas étranger... Il faudrait par ailleurs savoir si pareils conflits ont déjà existé, et le cas échéant, par quels procédés furent-ils (ou non) réglés. Surtout, étaient-ils remonté, comme ici, jusqu’au bureau du Procureur ? Pas à ma connaissance, mais je peux me tromper.

« 2- LE BRUIT : des éléments de vie, auparavant intégrés à l’espace et ne gênant pas (ou alors pas de cette façon-là, pour ces motifs-là, suscitant ces réactions-là), sont désormais re-qualifiés en "bruit". C’est assez typique des phénomènes de gentrification, même sans la particularité coloniale du rapport Guadeloupe/France, où les nouveaux arrivants, aisés, favorisés dans les rapports sociaux, souhaitent des espaces de vie qui épousent leurs codes de sociabilité. C’est ainsi qu’ils souhaitent éradiquer (ou folkloriser, c’est une autre variante) les éléments perçus comme populaires ou pas assez raffinés (entendez civilisés). Des usagers de twitter parlent également d’un conflit à Bouillante, là encore provoqué par de nouveaux arrivants comme cela est dit pudiquement, à propos du bruit que ferait la voiture qui livre le pain. Le bouche à oreille digital n’étant pas plus fiable que sa version traditionnelle, il faudra attendre avant de se prononcer sur cette affaire en particulier. Il faut néanmoins être attentif à une possible multiplication des complaintes sur le bruit qu’occasionneraient aux yeux de ceux arrivent avec la prétention que leur confèrent histoire et présent inégalitaires, des éléments de vie bien ancrés dans la vie locale des Afro et Indo descendants du pays.

« 3- LA LOI : le recours à la justice tient lui aussi une place particulière dans ces conflits de classe/race et d’appropriation du territoire. Ici, il s’agit un Temple construit sans permis, ce qui joue donc contre ses proprios. Mais demain cela pourra être un lolo ou un bar non déclaré, ou alors déclaré mais pas totalement en règle, bien connu de tel coin à l’origine populaire, qui sera accusé par une nouvelle population de faire du bruit et là encore deviendra illégal. Je dis deviendra car on peut émettre l'hypothèse que c'est l'augmentation des conflits entre Afro/Indodescendants d'un côté et Blancs de l'autre (Français et peut-être de plus en plus Européens, sait-on jamais) qui va contribuer à renforcer le droit, la loi, donc participer à rendre illégal dans la pratique, ce qui ne l’était que très lointainement sur le papier. Dit autrement, là où une relative tolérance, tacite, pouvait exister, la gentrification des quartiers populaires guadeloupéens peut contribuer à durcir l’application des lois, en finir avec les zones grises, et tout soumettre à une appropriation stricte de l’État et du marché, pour le plaisir de ceux qui ont les moyens et tout intérêt à se ranger du côté d’un droit favorable aux classes supérieures.

« On aurait donc tort de voir en cette affaire un stricte infraction à la loi – un Temple hindou construit sans permis, qui plus est sur un terrain classé agricole - qu’il s’agirait en toute logique de condamner. Par ailleurs, les constructions sans autorisation - sans dire qu’il s’agit d’un état de fait à célébrer - nous en connaissons pas mal, et il y a des raisons historiques, économiques à cela dans un pays comme la Guadeloupe. Ce qui est en jeu en réalité, et que cette histoire cristallise, c’est la transformation lente des pratiques et sociabilités d'un espace et de groupes subalternes, à la demande d'un groupe social en position favorable dans un rapport de force. Que l’on se comprenne bien, ce n’est pas l’inévitable évolution, transformation sociale qui est crainte ici – ce serait de toutes les façons vain – mais bien les modalités par lesquelles cette transformation risque de se produire : un phénomène de gentrification, dans une version coloniale ne disant pas son nom, puisque tout ceci est sensé se passer entre Français. Contre cela, les réponses devront être politique au sens plein : la politique institutionnelle comme la politique incarnée dans les mouvements sociaux. Pour la seconde dimension, il va alors falloir être attentif aux organisations et mouvements qui proposent des solutions pour leur emboîter le pas...

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On peut voir la page facebook du Temple du Bois Lomard, et signer la pétition (ce que j'ai fait), pour peu qu'on soit anticolonialiste et soucieux des intérêts de ceux qui sont opprimés. Et relisons Aimé Césaire !


 

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