mercredi 2 septembre 2020

2 septembre 2020 : voitures et/ou vélo

 



Nous ne pouvons accepter que grossisse sans cesse la foule des invisibles. Au moment d’écrire cette chronique, me reviennent à la mémoire toutes ces personnes sans domicile, croisées sur mon chemin. Elles engagent très souvent la conversation, m’encourageant dans mon périple.

(Vincent Berthelot, Le facteur humain, Clepscycle, 2020)



On me croit toujours ennemi farouche de l’automobile. En réalité, j’y suis plutôt indifférent, au point de ne pas reconnaître ma propre voiture sur un parking, quand j’en avais une. Ça me prenait toujours entre quinze secondes et un quart d’heure, selon mon humeur du jour et la taille du parking. Le pire ayant été en 1974, la première fois que je suis allé à Toulouse pour donner un cours de formation professionnelle, et où j’ai erré une heure, faisant tout un quartier de la ville pour enfin dénicher ma voiture professionnelle, pourtant fort reconnaissable. Mais, vers 17 h en hiver, et entre chien et loup, comme je ne me souvenais plus où je l’avais garé… Mon Alzheimer automobile commençait.

 



Mais ça ne m’empêche pas de lire avec intérêt romans ou nouvelles qui parlent auto. Ainsi, dans le dernier numéro de la collection Opuscules, j’ai lu le récit nostalgique de Marcel Leroy, Adios, Fangio. Sans doute le nom de ce champion du monde (cinq fois entre 1951 et 1957) automobile argentin ne dit plus grand chose aux jeunes d’aujourd’hui. Mais, dans mon enfance, d’un conducteur qui roulait plus vite que la moyenne, on disait : « Il se prend pour Fangio ! » Ici, le narrateur, pendant le confinement, s’aperçoit qu’il n’y a presque plus d’autos sur les routes et les rues. Il repense à sa passion pour les voitures (y compris de sport), la mécanique et les mécaniciens, le fait qu’il a rencontré Fangio dans sa jeunesse… Il médite sur le crépuscule de la voiture à essence, ne croit guère à la voiture électrique (un "leurre") et s’interroge : "comment vivrons-nous demain ?"

Mais bien sûr, je m’intéresse davantage à la bicyclette. Et j’ai découvert le facteur humain, puisqu’il s’intitula ainsi comme moi naguère le cyclo-lecteur. Vincent Berthelot s’est décidé, la retraite venue, de se lancer dans un défi fou : faire le tour de la France à vélo couché, en distribuant ici et là des messages qu’on lui a confiés. C’est la variante moderne du Tati de Jour de fête ! C’est l’occasion pour lui non seulement de se maintenir en forme physique, mais aussi de faire de belles rencontres, y compris des sdf : j’ai bien aimé la phrase citée en exergue

 


 

Qui, parmi nos concitoyens, parle avec ces invisibles, produits de notre société du confort, de l’égoïsme généralisé et de ses injustices sociales ? Produits aussi en partie de l’échec des institutions scolaires que fustige à juste titre notre voyageur : "Le regard de l’école a été vécu par beaucoup comme disqualifiant, réprobateur quand ce n’est pas agressif et humiliant. Quand j’observe sur moi-même l’effet positif des regards bienveillants, je trouve dommageable ces vécus scolaires si négatifs. […] nous pouvons interroger une responsabilité collective fondée sur la sélection des « meilleurs » et son corollaire : la disqualification et la mise à l’écart des autres".

En relevant son défi, il va à l’encontre des mesquins "calculs de quelques prêts-à-penser qui vous offrent la sécurité. Ils nous font préférer l’argent à l’échange, le statut à la personne, la possession à la confiance, le pouvoir au service, l’esprit de caste à l’humanité". Il se met en danger même, mais l’accueil sur les routes, en dehors des fanatiques de la vitesse, est à la hauteur de son désir, être un homme de rencontre : il nous rappelle que la "rencontre est probablement le mystère et le trésor de cette histoire. Ce n’est pas votre carte bancaire qui la permettra. c’est le temps que vous y consacrerez. Privilège des retraités, des malades, de quelques enfants pas encore empêchés, des SDF, c’est une denrée chère sur le chemin, le temps partagé m’a rendu chaque jour plus riche".

Je n’ai encore fini son livre, car je le déguste, mais c’est un trésor d’humanisme, ce terme devenu gros mot aujourd’hui, tant ça paraît ringard de s’intéresser aux autres, et d’écarter du monde connecté !

 


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