Très
important le pourboire, frère, c’est ton respect, ta dignité, ta
survie.
(Dany
Laferrière, Comment
faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer,
Le Serpent à plumes, 2000)
drapeau de Madagascar
C’était
pourtant bien mal parti. Dans l’autocar vers Paris, j’ai eu le
malheur de signaler à une passagère avec qui je sympathisais que
je partais à Madagascar. À la pause autoroutière qui a suivi, un
des voyageurs m’entreprend. Grand, l’air sportif, un visage de
loup aux dents longues : « Vous allez à Madagascar ?
Je viens d’y passer quatre ans, vous allez pas être déçu ! J’ai mis en place le recrutement et la formation de 7000 personnes
pour le service clients de plates-formes téléphoniques (opérateurs
internet, box, voyages…). On délocalise là-bas parce que le Maroc
et la Tunisie sont devenus trop chers (!!!) Eh ben, les gars là-bas,
c’est pas du gâteau : de sacrés feignasses ! Heureusement
que j’avais mes week-ends et la plage ! » Je lui réponds
du tac au tac : « J’y vais avec une association
humanitaire, pas pour faire du pognon, et la plage, je m’en fous, y
en a en France, pas besoin d'aller là-bas ! » Et je lui tourne le dos, j’avais pas
envie qu’il me gâche mon départ. Pas la première fois que je
rencontre un de ces expats qui partent là-bas pour s’enrichir et
qui reviennent ardemment racistes : encore un qui devait donner
des pourboires irrespectueux et indignes. Le néo-colonialisme, avec
ses relents de paternalisme condescendant, a de beaux jours devant
lui.
Neive, notre correspondant local et organisateur du voyage
(cliché M. Vidal)
Ceci
étant dit, qu’ai-je vu à Madagascar ? Tout d’abord, la
partie humanitaire de notre voyage. Nous avons passé quatre jours à
Mantasoa (70 km au sud de Tananarive) pour voir les résultats de
notre action : la troisième tranche de la rénovation du Centre
de santé de base (CSB) N°II est achevée. Ont déjà été rénovés
le bâtiment où le docteur, le dentiste et l’infirmière reçoivent
les patients, le bâtiment maternité-hôpital (une douzaine de
lits), les sanitaires, la maison des familles (où les parents des
malades hospitalisés et des accouchées préparent les repas de leurs patients) ;
il ne reste en dernière tranche qu’à rénover le bâtiment
contenant le logement des personnels soignants, qui fera l’objet de notre prochain financement. Nous nous sommes longuement entretenus avec
l’entrepreneur (c’est lui qui a organisé notre voyage dans les
moindres détails), avec le docteur Hery, avec Mme le Maire de
Mantasoa. Et le CSB2 a été officiellement inauguré sous le nom
d’Anne-Marie Turon (mon ancienne collègue d'Auch, qui a initié l'affaire), une plaque a été déposée à cet effet. Les
fonds que nous apportons viennent d’une fondation (Engagés
solidaires) et d’une ONG (Pharmaciens sans frontières) ; bien
entendu, nous devions constituer un dossier solide pour les obtenir et
donc avoir sur place des correspondants de confiance.
la maison des familles du CSB 2
(cliché M. Vidal)
réunion dans le cabinet du Dr Hery
(cliché M. Vidal)
plaque apposée sur le centre
(cliché M. Vidal)
Parallèlement,
nous nous sommes baladés dans la commune, avons vu des rizières,
des brûlis aussi (une des plaies de Madagascar, le brûlis sert de
débroussailleur), avons fait une promenade en bateau sur le lac
pour visiter la petite île de Nosy Soa, transformée en réserve
naturelle, où l’on a pu voir des tortues, des serpents, des
caméléons, des makis et des lémuriens. Bien entendu, représentant
l’Association des Amis de Jean Laborde, nous sommes allés sur ses
pas. Ce Gascon, natif d’Auch en 1810, s’est installé à
Madagascar où il a, entre autres, créé une petite cité
industrielle. Nous avons visité les restes de la fonderie, sa maison
transformée en modeste musée, la piscine intitulée Bain
de la reine
(dont il fut l’amant). Dommage qu’il n’ait pas trouvé son
Dumas pour en faire un héros de roman, il serait aussi célèbre que
D’Artagnan !
un brûlis
(cliché M. Vidal)
la groupe devant la maison-musée de Jean Laborde
(cliché M. Vidal)
le bain de la Reine (à sec)
(cliché M. Vidal)
Enfin,
nous nous sommes intéressés aux établissements scolaires. Nous
avons pu visiter l’école communale d’Anjozoro sous la houlette
de l’ancienne institutrice qu’accompagnait son fils d’une
trentaine d’années, Lala. L’école est en piteux état, avec ses
classes de 60 et 75 élèves : qui peut avoir envie d’enseigner
dans de telles conditions ? La mairie d’Auch y a fait amener
l’adduction d’eau, et le robinet marche toujours. Mais les
enfants doivent payer l’écolage, et on comprend que la population
scolarisée ne dépasse guère les 40 %.
la pompe apportant l'eau à l'école d'Anjozoro
don de la ville d'Auch, sur la suggestion d'Anne-Marie Turon
(cliché M. Vidal)
une salle de classe de cette école (la moins abîmée)
(cliché M. Vidal)
Par
opposition, l’école privée Emmanuel, dirigée d’une poigne de
fer par Odile Meseguer, est splendide avec ses classes propres, sa
bibliothèque-salle d’informatique (un jeune homme s’en occupe),
va de la maternelle à la cinquième. Les enfants ont chanté pour
nous (La
petite est comme l’eau),
d’autres ont dansé dans la cour. "Madame Odile" (comme on la surnomme) est une forte personnalité : elle a quitté le
couvent avant de faire ses vœux définitifs, ayant ressenti la vocation de s’occuper d’enfants. Elle
a alors rencontre son mari, Julien Meseguer, militaire français à la retraite
et ils ont fondé ensemble cette école il y a vingt ans. Ils l’ont
bâtie petit à petit, ont engagé maçons et jardiniers qui veillent
au bon état des lieux. Les enfants sont presque tous parrainés par
une association de Béziers : https://www.facebook.com/associationemmanuelmantasoa/.
Patricia, qui fait partie de notre groupe, a pu embrasser la
fillette qu’elle marraine. Les enfants les plus déshérités sont
nourris à midi par l’école. Nous avons mangé chez Madame Odile,
qui peut recevoir des visiteurs. Depuis son veuvage, elle continue
l’œuvre commune et envisage de construire les classes de 4ème et de 3ème.
aperçu de l'école Emmanuel : la bibliothèque et les salles de classe de 6ème et 5ème
(cliché M. Vidal)
la bibliothèque-salle d'informatique
(cliché M. Vidal)
la pimpante salle de maternelle
(cliché M. Vidal)
Les
balades dans les différents hameaux (car Mantasoa est une commune
rurale, accessible seulement par des pistes) nous ont fait prendre
conscience de la pauvreté générale. Toutefois, à la différence
des villes, la solidarité villageoise y rend la vie plus facile.
Néanmoins, l’argent est rare, et les guides (Maison de Jean
Laborde, ancienne cité industrielle, Nosy Soa) méritaient qu’on
n’oublie pas de leur donner un bon pourboire. Le riz est ici l’alimentation de
base, souvent plat unique, à quoi s’ajoutent des légumes et des
fruits, du poisson pêché dans le lac, des œufs (il y a des poules
en liberté partout). La viande semble plus rare.
le tombeau de Jean Laborde à Mantasoa
(cliché M. Vidal)
en promenade sur le lac
(cliché M. Vidal)
Nous
étions logés à l’Ermitage, grand hôtel qui surplombe le lac, et
qui ressemble à un grand chalet suisse. Les premiers cas de
dérangement gastrique et intestinal se sont produits là chez quelques membres du groupe. Je n’ai eu qu’une
petite nausée due probablement au café ingurgité le matin et à la chaleur :
j’ai pris du thé à dater de ce jour et n’ai plus jamais eu de malaise. Pourtant, on y a très bien mangé.
L'Ermitage : hôtel pour touristes et classe moyenne supérieure du pays
(cliché M. Vidal)
Nosy Soa : les lémuriens me prennent en affection
(cliché M. Vidal)
et le serpent aussi
(cliché M. Vidal)
Bref,
ces belles journées du début, très émouvantes, m’ont fait
oublier l’horrible olibrius rencontré dans le car ! Et je
n’ai trouvé "feignasses"
ni les institutrices, ni les paysans dans les rizières (malgré la
chaleur), ni les lavandières à la rivière, ni les autres
travailleurs en plein air, ni les pêcheurs sur le lac, ni les portefaix, ni les tireurs de charrettes à bras, ni les gardiens de zébus, ni les femmes à famille nombreuse, ni le docteur et l'infirmière, ni les serveurs
et femmes de chambre de l’hôtel, ni les enfants des écoles…
NB : dommage que, par suite d'une fausse manœuvre, j'ai perdu toutes mes photos de ces jours-là. Mais j'ai celles de la suite. Je remercie donc Marinette pour m'avoir envoyé les siennes.
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