vendredi 30 novembre 2018

30 novembre 2018 : Madagascar 5 : la meurtrissure des villes



Ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise.
(Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social)


Tananarive : sur une colline
Et voici que, pour clôturer notre séjour, nous revenons à Antsirabé puis à Tananarive, j’allais dire vers la civilisation, en fait vers sa caricature. En effet, du fait de leur éloignement des villes, de l’argent et de la richesse, les campagnes, la brousse, les villages de paysans ou de pêcheurs me semblent ici, de par leur mode d’existence à l’écart des grandes voies de communication, du bruit et de la rumeur du monde moderne, nettement plus agréables, en dépit de l’économie de survie qui les caractérise, des problèmes de manque d’eau courante et d’électricité. Au moins chacun semble être logé, même si très modestement.

mendiante avec enfants sous le tunnel à Tana 
(tunnel irrespirable de pollution de gaz d'échappements)

Les villes, proliférantes sans plan d’ensemble, sont le cancer du pays : elles souffrent des méfaits du colonialisme ou du néo-colonialisme (on cherche à copier l’Occident) et du tourisme (on est à l’affût de l’argent à soutirer), les campagnes continuant leur petite vie traditionnelle de presque autarcie agricole ; en ville, la misère s’étale, grouille, la mendicité pullule, le logement est souvent insalubre et les problèmes d’eau et d’électricité ne manquent pas non plus, à quoi s’ajoutent les embouteillages monstres et permanents, la pollution de l’air, la mauvaise qualité de vie.

le lac Tritriva, niché dans un cratère

À Antsirabé, nous avons visité les lacs (dont un dans un cratère de volcan) atteints après une heure de trajet pour quelques km sur des pistes calamiteuses, mais aussi les artisans : fabrique de bonbons, de modèles réduits (bicyclettes, pousse-pousse, camions), de tissage pour sacs, écharpes, vêtements, de papier artisanal, d’objets en corne de zébu, de travail des pierres plus ou moins précieuses, de bijoux. Nous sommes allés nous baigner dans les baignoires des thermes d’Antsirabé. L’eau chaude d’origine volcanique jaillit, entre 45 et 48°, d’un gros tuyau directement dans la baignoire, et on l’arrête en plaçant un gros bouchon style bouchon de Champagne. Un petit robinet permet d’ajouter de l’eau froide pour ceux qui le désirent, je m'en suis passé, trop content de baigner dans l'eau très chaude. 

démonstration de fabrication d'un vélo miniature

brodeuses de nappes

aperçu d'objets en corne de zébu dans le magasin d'atelier
les Thermes d'Antsirabé
la fameuse baignoire
Et nous avons passé deux soirées dans un restaurant-cabaret. La première fois, j’ai demandé au trio de femmes de chanter des chansons de Piaf : nous avons eu droit à une belle interprétation de La vie en rose et de Je ne regrette rien. La deuxième fois, j’ai osé demander au couple de chanteurs pourquoi ils déposaient leurs smartphone sur le pupitre : c’est pour vérifier qu’ils ne se trompent pas dans les paroles. Encore un inconvénient de cet ustensile maudit : on handicape sa mémoire, plus besoin d’apprendre par cœur !

au cabaret : Marinette et Patricia

au restaurant-cabaret : ma crêpe brûlée (hélas sans sucre)

Dans la journée, pour me débarrasser de la horde de gamins hurlant "vazaha" (= étranger) et de femmes avec bébés réclamant "du riz pour manger", j’ai profité d’un petit arrêt dans un des rares supermarchés pour acheter 3 paquet d’un kg de riz, que j’ai distribués à la sortie, provoquant quasiment une émeute. Mais que faire pour ces gamins faméliques et en haillons ? Quant aux vendeurs de rue, le plus émouvant, ce fut le jeune Lanto (dont Marinette avait fait la connaissance deux ans avant et qu’elle avait surnommé "Pintade", car il vendait entre autres des pintades en pignes de pin), âgé de 25 ans (à ses dires, je lui en donnais 16, vu son apparence et sa petite taille) qu’on retrouvait tous les matins en sortant de l’hôtel, en compagnie des dames vendant des tee-shirt, des cartes brodées, des nappes, etc. et des vélos-taxis.

"Pintade" (1m60 maximum)

Le retour vers Tananarive nous prit 4 heures dans un beau paysage montagneux, avec des rizières d'un vert étincelant, et on sent que le pays est plus riche. À l’arrivée, nous mangeons au 1er étage, en terrasse au-dessus d’un carrefour où un policier s’efforce de faire avancer la circulation pléthorique à grands coups de siffler. Nous étions aux premières loges pour ressentir la pollution de l’air. Après avoir déposé nos bagages à l’hôtel, nous partons en ville. Objectif : acheter une guitare pour Jocelyn à qui Bernard l’avait promis lors de la soirée de chant sur le bateau. Les cousines de Jocelyn nous rejoignent et nous allons au magasin de musique ensemble, négocions le prix. Les cousines repartent avec et nous déambulons sur l’Avenue de l’Indépendance, admirons la gare et la mairie, au milieu d’une foule affolante, d’un regroupement auprès d’un montreur de serpents, passons devant l’Institut français, puis montons les escaliers vers la colline qui surplombe notre hôtel. 

la gare de Tananarive

la mairie
 
Le soir, repas à la Muraille de Chine, où je déguste un délicieux ravitoto (prononcé ravitoute) de porc cuisiné avec des feuilles de manioc pilé et accompagné de riz. La sauce au manioc est enchanteresse. Certains ont préféré le bol renversé, excellent aussi. En revenant à l'hôtel, nous repérons le bar karaoké où Jean-Michel veut nous emmener le lendemain soir.

parmi les merveilles culinaires, le "bol renversé"
Le dimanche, c’est le grand jour, nous allons partir à la découverte du père Pedro, ce prêtre argentin qui a aidé les miséreux à se construire des maisons en dur en créant des petites cités, trois à Tananarive et plusieurs dans le reste du pays. Il nous faut une heure pour faire les 8 km qui nous amènent au lieu de la fameuse messe : une sorte de grand hangar-stade couvert (il dira à notre intention dans sa superbe homélie : « Non, ici, on n’est pas aux normes européennes, mais aux normes de la fraternité, aux normes du partage et de l’amour... ») entouré de gradins contenant 10000 personnes. Il anime la messe en compagnie d’un groupe important de missionnaires français de passage (dont un est originaire de l’Aveyron et un autre du Gers, comme ils nous diront à la sortie) : ça se passe en malgache et en français (homélie dans les deux langues : j’ai noté aussi « Vous avez choisi d’être frères, de vivre pour le bien commun », et à l’intention des nombreux Français venant de diverses associations humanitaires : « Quand vous demandez et obtenez une augmentation de salaire, pensez à la partager avec les plus pauvres », sans oublier son adresse au gouvernement et aux sociétés d’adduction d’eau : « Nous avons besoin d’eau ici, il est admissible de voir les gens aller chercher l’eau à la fontaine publique parfois à un km de chez eux sur ces collines pentues et devoir porter des bidons de 20 litres ; on peut se passer d’électricité, il y a d’autres moyens d’avoir de la lumière, mais l’eau, c’est une nécessité, c’est la vie »), avec chants collectifs, et danse. L'évangile en action. Durée : plus de deux heures et demi, et personne ne s’ennuie ! Je suis même allé communier !!!

le père Pedro

l'homélie (adresse aux Français sur les salaires)
Le bar karaoké ponctua notre dernière soirée. J’avais annoncé aux autres que je chanterai La Dacquoise, chanson landaise que je connais depuis l’enfance. J’ai donc demandé l’autorisation de la chanter, a capella, évidemment, car elle n’existe pas en version karaoké. On a coupé la musique, un grand silence se fit, on m’a donné le micro et je me suis lancé. Les Malgaches, presque tous jeunes, très bon public et qui ont dû me trouver courageux, ont applaudi. Il pleuvait quand on est sorti et, revenus à l’hôtel, j’ai refilé mon parapluie à Jean-Michel qui voulait trouver un café avec téléviseur pour regarder un match de rugby ; Bernard l’a accompagné. Nous apprîmes le lendemain matin, jour du départ, qu’en rentrant, le parapluie à la main et chaussé de simples tongs, J.-M. avait glissé dans les escaliers qui descendent de la colline, était tombé, heureusement sans grosses conséquences, déclenchant l’hilarité de deux prostituées au bas des marches !

des crocos à perte de vue
un toucan dans le même zoo
Il ne nous restait plus qu’à reprendre l’avion le soir du lendemain. Nous profitâmes de la journée pour visiter le parc zoologique des crocodile ; adieu, Mada...

le jacaranda aux fleurs bleues


Aucun commentaire: