Il
y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des
familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes
filles, enfants, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour
vêtements que des monceaux infects de chiffons en fermentation,
ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des
villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes
pour échapper au froid de l’hiver.
(Victor
Hugo, discours
prononcé à l’Assemblée législative le 9 juillet 1849)
"Les
associations qui encouragent ces femmes et ces hommes à rester, à
s'installer dans l'illégalité prennent une responsabilité immense.
Jamais elles n'auront l'État à leurs côtés." Ces
mots, Emmanuel Macron les a prononcés à Calais, mardi
16 janvier (Le
Huffpost,
30 janvier 2018). Comme
vous le savez, je me méfie de la presse. Je
ne sais pas si le président a réellement prononcé ces paroles
rapportées par ce journal. Mais s’il l’a fait, c’est très
grave**. Ça confirme qu’aider des personnes qui sont placées dans
des situations difficiles, dans le froid, dans la pluie, pourchassées par
la maréchaussée, personnes parmi
lesquelles se trouvent des femmes et des enfants, peut-être même
des "vieux",
eh bien, les aider à ne plus avoir si froid, à s’abriter, à se
nourrir, à s’habiller, à avoir de l’espoir dans l’humanité,
c’est vraiment devenu un délit. Se comporter comme un être humain
est de
nouveau un
délit. Au secours, Victor Hugo ! Voici
revenu le temps du Second Empire et de l’arbitraire, où
cacher un proscrit pouvait vous envoyer au bagne !
Heureusement,
le cinéma nous console, par la fiction réaliste, et nous permet d’y
voir plus clair, de redevenir humain, si tant est qu’on ne l’était
plus. Prenons
Tharlo, par
exemple,
ce
berger
vivant depuis
quarante ans dans les montagnes du Tibet. C’est
un simple, c’est un fragile.
Il
doit répondre aux
nouvelles directives du gouvernement chinois
qui lui impose
la possession d’une carte d’identité, lui
qui sait pourtant fort bien qui il est, même si plus personne ne
l’appelle par son nom, mais utilise uniquement son surnom : "Petite natte".
Il vient donc à la ville, car pour la carte, il lui faut une photo d’identité.
Le
choc de la rencontre avec la civilisation urbaine lui sera fatal.
Dans une mise en scène toute de plans fixes (étouffants dans les
scènes citadines) et de plans-séquences (ouvrant sur une certaine
liberté dans les scènes de montagne), ce
récit quasi ethnographique brosse
le tableau
d’un
Tibet écrasé par la domination chinoise.
Le
réalisateur, Pema
Tseden, met
en place un
récit
très lent, photographié
dans
un noir et blanc somptueux. Voici, sans qu’ils aient besoin de
migrer, des natifs qui sont comme étrangers dans leur propre pays.
(affiche du film, plus optimiste que celui-ci)
Dans
Une
saison en France,
Mahamat-Saleh
Haroun met
en scène une famille de
réfugiés centrafricains exilés en France à
cause de la guerre
(la
mère a été assassinée là-bas) ; le père essaie tant bien que mal de rendre une vie humaine à ses
deux enfants,
qu’il
a scolarisés. Sauf que sa situation est précaire. Il attend la
décision de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés
et Apatrides) et doit donc travailler au noir aux halles, lui,
l’ancien professeur de français à Bangui.
La
mise en scène s’attache
aux difficultés de toutes sortes dans lesquelles sont prisonniers
les personnages : ils sont dans l’inconfort permanent (même
quand ils occupent provisoirement un superbe appartement qu’on leur
a prêté), de savoir comment ils vont bien pouvoir se loger, se
nourrir...
Au
début donc, on a l’impression que tout va bien :
Asma et Yacine vont à l’école, Abbas, le
père,
a
rencontré au marché
Carole (Sandrine Bonnaire),
fleuriste. Un autre
réfugié,
l’oncle
Étienne,
qui
était là-bas professeur de philosophie,
leur rend
visite de
temps en temps, apportant de la nourriture et des livres. Mais
la situation se dégrade. L’OFPRA refuse l’asile, et Abbas, comme
Étienne, sont désemparés, sans parler des enfants. Ils
atterrissent chez un marchand de sommeil, avant que Carole les
recueille quelque temps, jusqu’au jour où la police vient lui
rappeler ses devoirs et les risques qu’elle encourt à héberger
des gens en situation irrégulière. Au milieu du calvaire enduré par tous, cette chaleur humaine sent pourtant bon.
Je
ne raconterai pas la fin. Mais le réalisateur ne nous fait grâce
d’aucune des difficultés rencontrées par ces gens qui ne
demandent que d’être accueillis : la peur de la police, les
petits boulots, les agressions racistes, les démarches
administratives quasi impossibles. Une
saison en France
évite
le
pathos.
Il pourrait sans doute être plus consistant et développe assez peu
le
regard les enfants sur leur situation, sans
doute parce que l’émotion
générée serait
trop
embarrassante pour
le spectateur. Reste le personnage de Carole, femme frêle qui tente
de tenir tête à l’adversité.
Qui
nous écrira le roman des ces Misérables
du XXIe siècle, comme Victor Hugo avait bien su le faire au XIXe ou John Steinbeck
(Les
raisins de la colère)
et Elsa Morante (La
Storia) au XXe ?
À
vos plumes, romanciers !
** Dans le même discours selon Libération, "Emmanuel Macron a annoncé que l'Etat s'occupera désormais de «l’accès
à la nourriture et aux repas, qui est assuré aujourd’hui par les
associations». «Je vais vous le dire très clairement, nous allons le
prendre à notre charge, de manière organisée, avec des points mobiles,
sans tolérer aucune installation de campements illicites», a-t-il dit."
Si on le prenait au mot !!!
Si on le prenait au mot !!!
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