les
nouvelles technologies ont colonisé nos vies. Elles recomposent le
monde selon leur propre logique, bouleversent notre rapport à tout
ce qui nous entoure, aux autres et à nous-mêmes. Elles ont détruit
en quelques années ce qui avait mis des siècles à se constituer.
(Cédric
Biagini, Résister
au grand maelström numérique,
in La
décroissance,
novembre 2015)
Cédric
Biagini, dont je n’ai pas oublié le formidable essai L’emprise
numérique : comment internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies (L’échappée, 2012), livre que j’ai sûrement déjà cité dans
ce blog, en remet une couche dans le dernier numéro de La
décroissance (février 2018), cette fois à propos des enfants :
À
quels enfants allons-nous laisser le monde ?
(page 2, 6-7). Notons
que, dans les années 70, les écolos tiraient la sonnette d’alarme
en disant : Quel
monde laisseront-nous à nos enfants ?
Il
est clair que maintenant, les enfants ne sont plus nos enfants :
promenez-vous dans un jardin public, dans les endroits où il y a des
jeux pour enfants, ou suivez (discrètement) un père ou une mère
qui promène son enfant sur une poussette... Neuf fois sur dix, les
adultes censés être connectés à leurs rejetons, leur parler ou
leur chanter des chansons, jouer avec eux, être dans leur présent,
ces adultes donc ont dans la main la "petite poucette"
chère à Michel Serres, le fameux smartphone ou iphone dont je me
demande bien ce qu’ils regardent dessus, alors qu’ils sont là
pour s’occuper de leurs bambins, les éveiller, leur faire découvrir le monde, les éduquer en somme...
Pourtant,
les mises en garde ne manquent pas : "Évitez les médias
digitaux. Ils rendent, comme cela a été démontré ici maintes
fois, réellement obèse, bête, agressif, solitaire, malade et
malheureux. Restreignez
la dose pour les enfants, car c’est la seule chose qui, et c’est
prouvé, donne un sens positif. Chaque
jour qu’un enfant passe sans médias digitaux représente du temps
gagné" (Manfred Spitzer, Démence
digitale.
2012, hélas non traduit encore en français, quand tant de conneries
encombrent les librairies). On en arrive à des situations
aberrantes ; organisation de stages de désintoxication de la
connectivité perpétuelle, en "Allemagne, des campagnes
d’information incitent les parents à décoller les yeux de leurs
smartphones pour passer plus de temps avec leurs enfants." Ce
qui, pourtant, semble relever du simple bon sens !
"Parmi
les enfants de 3-4 ans en grande difficulté quasiment tous sont
exposés aux écrans entre 6 heures et 12 heures par jour." Ce
qui n’est pas sans inquiéter ceux
qui ont publié une tribune dans Le
monde
(31 mai 2017) : "Nous,
professionnels de la santé et de la petite enfance, souhaitons
alerter l’opinion publique des graves effets d’une exposition
massive et précoce des bébés et des jeunes enfants à tous types
d’écrans : smartphones, tablettes, ordinateurs, consoles,
télévision. Nous recevons de très jeunes enfants stimulés
principalement par les écrans, qui, à trois ans, ne nous regardent
pas quand on s’adresse à eux, ne communiquent pas, ne parlent pas,
ne recherchent pas les autres, sont très agités ou très passifs."
C’est ce qu’on appelle "l’autisme
virtuel".
Une
orthophoniste explique que, "si
l’on diminue le temps d’exposition de l’enfant aux écrans, il
reprend le cours normal de son développement" (à condition toutefois qu'on s'occupe effectivement de lui).
Tout
n’est donc pas perdu. Mais pourquoi en arriver là ? Est-ce
normal de mettre un smartphone dans les mains d’un enfant de deux
ans ?
On
est en présence d’une véritable aliénation de dépendance
analogue à celle de la drogue, signalent des études américaines : "Les
jeux vidéo, ainsi que les réseaux sociaux, sont pour les enfants ce
que l’héroïne est pour les junkies :
chaque coup de feu virtuel tiré, chaque tweet posté ou chaque
notification reçue libère dans le cerveau une petite dose de
dopamine, qui agit de la même manière que la cocaïne sur les
neurotransmetteurs"
(Glow
kids : how screen addiction is hijacking our kids... and how to
break the trance,
St Martin’s press, 2016).
Évidemment,
c’est tellement plus facile de mettre le bébé devant un écran :
"il
ne pleure plus, ne réclame plus rien, ne s’agite plus, ne
crapahute plus partout, mange sans rechigner. Il est calme, comme
hypnotisé, voire sidéré. La télé, la tablette ou le smartphone [...] apparaît alors comme comme une solution très efficace aux
difficultés éducatives que [les parents] peuvent rencontrer."
Et
le tragique est que toute la publicité pousse les parents dans ce
sens en leur faisant croire qu’en fournissant du numérique aux enfants
dès le plus jeune âge, ces outils "permettront
à leurs enfants d’entrer plus vite dans les apprentissages, d’être
plus performants dans une société de compétition".
Parents,
jouez avec vos enfants, sortez avec eux, parlez-leur, faites-les rire
et chanter, lisez-leur des histoires, apprenez-leur à reconnaître
les couleurs plutôt que de savoir comment elles se disent dans une
autre langue, laissez-les accepter d’avoir des pauses, plutôt que
d’être perpétuellement les yeux rivés sur un écran ! Ne
les laissez pas devenir des robots !
Et
lisez toutes et tous le livre de Biagini (14 € pour 445 pages, c'est donné) :
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