Le
miel corrupteur du confort.
(Karfa
Diallo, Matins noirs, essai poétique pour une nouvelle négritude,
Ex æquo, 2010)
Comme
toujours, la nuit, j’écris dans ma tête des choses magnifiques,
magiques même, et je sais qu’une fois éveillé, ces lignes auront
disparu comme la neige au soleil. En particulier, je pamphlétise
contre les grands de ce monde, les Trump, les Macron, les Poutine, les
Erdogan, les Netanyahou et autres indignes représentants de l’espèce
humaine, dont j’enrage que nous les laissions nous gouverner, alors
qu’eux-mêmes ne sont que les valets de la phynance (comme
écrivait Alfred Jarry) internationale, les experts en ventes d’armes
de destruction massive (voir le sort de la Syrie et du Yemen en ce
moment), les grands gourous du réchauffement climatique (contre
lequel ils ne feront rien car ça léserait la sacro-sainte
phynance), les maîtres du trompe-l’œil et du mensonge
(érigés en art de gouverner)... À force d’avoir le mot
démocratie à la bouche (faut croire qu’il leur sert de
rouge à lèvres), ils vont finir par nous dégoûter d’aller
voter. Bon, moi, c'est pas grave, je suis vieux et j’irai bientôt rejoindre mes
ancêtres. Mais, franchement, je plains les nouvelles générations...
Heureusement,
il nous reste les artistes qui, eux, ont souvent une conscience et qui sont capables de nous bousculer. Et,
parfois, ceux-ci font des films. Je viens de voir le formidable
documentaire Human flow de l’artiste militant Ai Weiwei (il
est vrai que son père était poète !) consacré à la question des
réfugiés à travers le monde. On le voit dans son film arpenter le
monde, une bonne vingtaine de pays à la rencontre des
hommes (je rappelle que c’est le beau titre d’un très
intéressant récit de Bénigno Cacérès, fondateur de Peuple et
culture, homme que j’ai eu l’honneur de rencontrer à
plusieurs reprises dans les années 70), victimes de la famine, du
réchauffement climatique, de la misère et surtout de la répression
ethnique (cas des Rohingas en Birmanie), du blocus tout aussi ethnique (cas des
Palestiniens de Gaza) et de la guerre (choisissez votre exemple, et demandez-vous si notre pays n'y est pas pour quelque chose).
Human
flow se présente comme une sorte de récit fluide qui suit le
flot de ces déracinés à la recherche d’un illusoire ailleurs,
tant les frontières se sont refermées derrière des barbelés ou
des murs (quand je pense qu’il y a trente ans on ne causait que du Mur de Berlin et qu’aujourd’hui, personne ou presque ne proteste
contre tous ces nouveaux murs autrement plus inquiétants qui
s’érigent un peu partout) et tant les esprits aussi se sont barricadés : voir l’abjection des paroles publiées courageusement sous
pseudonymes sur les réseaux sociaux quand on y cause de migrants.
Ici, au contraire de ces réseaux ineptes, Ai Weiwei nous montre une humanité en
marche, des visages d’hommes et de femmes, de vieillards et
d’enfants à la recherche d’un brin de justice (mais ce mot
a-t-il un sens pour nos dirigeants ?), de fraternité (idem), de
sécurité (alors là, on en parle surtout quand ils s’agit
d’installer partout des caméras vidéo, et particulièrement de la
sécurité des biens, les humains peuvent crever !).
On
voit tous ces gens installés dans des camps parfois rudimentaires,
où la poussière, la boue, le soleil les écrasent, sous des tentes
aléatoires (l’un de ces migrants dit à la caméra : "j’aimerais
que les chefs d’état viennent passer une nuit ici pour voir ce que
c’est", c'est pas demain la veille). On constate au fil du film que ce sont parfois les
pays les plus pauvres qui pratiquent le plus souvent l'accueil (la Jordanie,
le Liban, l’Irak, la Grèce, le Kénya par exemple). L’Union
européenne (c’est révulsant) a préféré négocié avec la
Turquie pour que cette dernière garde les migrants chez elle au
mépris du droit international qui n’est pas appliqué dans le
pays. Le film est une œuvre d’artiste, à la fois une sorte de
journal de voyage, et une réflexion sur notre monde de plus en plus
inhumain. Le recours aux drones nous montre par exemple vu d’en
haut cette humanité en marche comme une sorte de fourmilière (cf l'affiche) ;
ça ne manque pas de poésie.
Mais
l’important, c’est le constat que dégage le film : on peut
légitimement se désespérer de voir notre humanité repue, avilie
par "le miel corrupteur du confort" cité en exergue,
accepter de voir les "autres" entassés comme du bétail
dans des camps déshumanisés et parfois inhumains (Hitler a fait beaucoup de petits), tenter en vain de franchir une frontière hérissée de
barbelés, patauger sous la pluie pendant des heures ou se précipiter vers une soupe servie par des
humanitaires. Si j’étais au pouvoir, j’obligerais toutes les
chaînes de télévision à passer ce formidable film en boucle.
Inutile de dire que je n’y serai jamais !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire