Il
faut que l’accueil soit inconditionnel, non pour satisfaire une
quelconque radicalité morale ou philosophique, mais comme mouvement
d’ouverture et d’effacement de soi face à la venue de
l’étranger, qui ne soumet pas celle-ci à la condition d’une
demande et de l’examen préalable de sa légitimité.
(Yves
Cusset, Réflexion sur l’accueil et le droit d’asile,
F. Bourin, 2016)
Je
viens de voir le film de Xavier Beauvois, Les gardiennes,
qui m’a énormément plu, et me fait d’autant plus râler de voir
que le roman originel est toujours introuvable en librairie. OK,
Ernest Pérochon est considéré par l’intelligentsia parisienne
comme un auteur du passé, et ringard. Je n’ai lu que trois de ses
romans, qui sont ses trois premiers, Les Creux-de-maison,
excellent roman paysan, Les hommes frénétiques,
roman d’anticipation (à une époque où peu d’écrivains
français s’aventuraient sur ce terrain-là, et c’était fort
réussi) et Nêne, son prix Goncourt en 1920, tout à fait attachant.
Alors,
pourquoi les éditions Gallimard, par exemple, n’ont-elles pas inscrit Les
gardiennes dans la collection
Folio, comme elles le
font souvent pour un roman qui donne un film à succès, d’autant
plus que l’auteur étant mort en 1942, son œuvre est dans le
domaine public et ne leur coûterait rien en droits d'auteur ! Car le succès des Gardiennes
est indéniable : le
film raconte le drame des femmes restées à la campagne en 14-18 et devant
tout faire à la place des hommes, puisqu’il ne reste plus que des vieillards, les
jeunes étant partis se faire massacrer à la guerre.
Plus d’un mois après sa sortie, la salle était pleine cet
après-midi à l’Utopia de Bordeaux. Et pas que de vieux comme moi.
Et tout le monde est resté scotché, au point que contrairement à
l’habitude, les gens n’ont commencé à se lever que vers la fin
du générique. Alors, c’est
son côté mélo qui déplaît à nos intellectuels au cœur
sec (je pense en particulier à des critiques du Masque et la
plume, sur France inter, qui se sont moqués de façon éhontée du
sujet et du film) ? Oui, j’ai sorti mon mouchoir à plusieurs
reprises, signe pour moi que le film est réussi (là, c’était de
l’émotion, pour Momo,
il y a trois semaines, c’était des larmes de rire). Et alors, on
n’a plus le droit de pleurer au mélodrame où Margot pleure ?
Le
film m’est apparu d’abord comme formellement beau, la campagne en été et en hiver,
les moissons, l’intérieur des maisons, les costumes. L’histoire
sonne juste. On n’imagine pas, en effet pour cette époque, un fils
de famille épouser une servante qu’il a engrossée. Il fallait
vraiment une trempe comme celle de mon grand-oncle Maurice, bravant
vers 1916 le qu’en dira-t-on en épousant la sœur de ma grand-mère
et en reconnaissant l’enfant qu’elle avait eu, mais qui n'était pas de lui ! Tout le
monde ne peut pas être d’une aussi profonde humanité. Donc, le
film se termine mal pour la servante abandonnée… Autre aspect
positif du film : Nathalie Baye n’a pas hésité à se
vieillir, voire à s’enlaidir ! Je lui tire mon chapeau, dans
un rôle de paysanne qui était moins qu’évident. La jeune actrice Iris Bry, dans le rôle de la servante, crève l'écran ; elle chante très bien ! Excellente bande sonore.
Autre
film qui se passe à la campagne, mais de nos jours, et tout aussi beau, le film zambien
de Rungano
Nyoni,
I
am not a witch
("Je
ne suis pas une sorcière" pour les non anglophones), m’a emballé.
Un premier long métrage qui raconte le
parcours d’une petite fille zambienne de neuf ans accusée d'être une
sorcière. Occasion pour la réalisatrice de dénoncer le sort fait à
ces femmes parquées dans des camps (où elles sont montrées aux
touristes étrangers comme des bêtes de foire) tout en étant
instrumentalisées par les autorités, ici par un haut fonctionnaire
peu délicat. Le film ne se moque pas des croyances locales, mais du
fait que le pouvoir (traditionnel, on le voit avec la "reine" du
coin, ou moderne, comme le fonctionnaire en costume européen et qui
parle anglais) s’appuie sur ces croyances pour maintenir leur autorité.
Il y a donc ici une sorte
d’humour qui permet
de dénoncer aussi bien l’exploitation de la femme que la superstition. La jeune comédienne qui interprète le rôle principal est aussi convaincante que la petite fille qui joue la fiancée
de Louis XV dans L’échange des princesses, film que j'ai vu récemment également. La bande
sonore (faut oser utiliser Vivaldi pour un film qui se passe en Afrique noire) est formidable. Ne le ratez pas !
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