15
novembre 2006 : Soit un juge issu d’une famille bourgeoise
– ce qui est souvent le cas – qui a toujours eu une existence
protégée. Que peut-il savoir des enfances cabossées, du chômage,
de la misère, de la faim, de la violence, de la détresse des
laissés-pour-compte ?... Face à des délinquants, il risque de
réagir en fonction des préjugés et des valeurs de sa classe.
(Charles
Juliet, Gratitude : Journal IX, 2004-2008, P.O.L., 2017)
Une
centaine de femmes ont publié une tribune dans Le monde,
prônant "une liberté d’importuner, indispensable à la
liberté sexuelle". On voit que ces dames prennent rarement le
métro ou le bus, et ne sont pas soumises à ces harcèlements
vocaux, gestuels, ces frottements indiscrets qui peuvent parfois aller très loin. Je suis
peut-être puritain, mais je n’ai jamais aimé les hommes qui
disaient avec suffisance quand j'étais jeune : « elles aiment ça », ou
« regardez-les, avec leurs mini-jupes, c’est un vrai appel au
viol ! » et qui parfois allaient jusqu’à justifier
l’injustifiable. J’ai connu dans une bibliothèque universitaire
des magasinières qui n’allaient jamais seules chercher des livres
dans les magasins, de peur de rencontrer le directeur (!) qui avait la
main leste et se croyait tout permis ; elles se faisaient accompagner par une autre femme
ou par un homme normal. Il est vrai que ces temps-ci, on entend de
drôles de choses dans le tram, ou dans les rues. Des hommes par
exemple qui papotent et disent : « De quoi se
plaignent-elles ? Elles n’ont qu’à faire pareil » (ce qui est le point de vue de Catherine Millet). Et
l’un de conclure sur un sourire égrillard : « j’aimerais
bien moi aussi, qu’on me mette les mains aux fesses ! » Je me souviens de ma mère, âgée de 75 ans, invitée par la municipalité de sa ville au repas du Nouvel an des seniors, et qui m'avait avoué avoir été importunée par son voisin de table. Les années suivantes, elle n'a plus mis les pieds à cette manifestation !
Catherine
Deneuve semble avoir fait son mea culpa, mais Brigitte Lahaie est
allée jusqu’à dire : « On peut jouir lors d’un
viol... » A-t-elle été violée ? Franchement, j’en
doute. La violence d’un tel comportement ne laisse place qu’à la
douleur (Charles Juliet dans son Journal cité en exergue cite
le cas de nombreuses femmes qu’il a rencontrées et d’hommes
aussi qui n’ont jamais pu se remettre de ces violences subies à
l’adolescence : le 10 mai 2006, il écrivait : "Ceux
qui agressent et violent ont-ils des remords ? Après avoir été
forcée, le plus souvent la victime ne cesse de se haïr, de vouloir
se punir, de se refuser à la vie"), à la culpabilité, à la
haine de soi et parfois de son corps. Le harcèlement sexuel (que certaines femmes pratiquent aussi) est toujours, à mon avis, le fait de gens
malades, malades de pouvoir et avides de domination et qui, le plus
souvent, s’en prennent à des proies dont ils/elles ont découvert
la fragilité. Tout ça n’a rien à voir avec l’amour, avec
l’amitié, avec la création d’un lien, avec une relation humaine
claire et sereine. C’est en fait la guerre, et il n’y a rien de
surprenant à découvrir que les viols sont encore plus nombreux en
temps de guerre, c’est même une arme de guerre dont on abuse de
tous côtés.
- * *
Dans
La dépêche du Midi en décembre, à Toulouse où je passais Noël, j’apprends avec effarement que des enseignants qui avaient
proposé une séance de cinéma à leurs élèves, ont quitté
bruyamment la salle en les faisant sortir et en exigeant le
remboursement des billets : le directeur a obtempéré, disant
qu’il n’avait pas vu le film et ne savait pas qu’il avait un
contenu religieux, offensant pour nos laïques sectaires (à sa place, je n'aurais rien remboursé du tout, on se renseigne avant d'aller au cinéma, que diable !). Il
s’agissait du dessin animé L’étoile de Noël, où il
est, effectivement, question de la Nativité. Voilà, maintenant,
sous couvert de laïcité, nos bambins vont être définitivement
ignares sur une des composantes culturelles de notre société :
le christianisme, car après tout, le sens de Noël est à chercher de ce côté-là et non pas du consumérisme abject actuel. Je doute fort qu’il y ait eu dans le dessin animé de quoi fouetter un
chat. Je n’ai pas vu le film, mais ça m’a au contraire, avec mon
esprit frondeur, donné envie d’y aller voir de plus près. Si
l’occasion se présente, j’irai voir ce qui a choqué nos
modernes philistins.
Je
racontais à mon amie québécoise et à sa jeune assistante, qui
présentaient l’UQAM (Université du Québec à Montréal), ces
trois derniers jours au Salon de l’étudiant de Bordeaux, que le
matelot philippin à qui je donnais des cours de conversation
française, lors de mon dernier voyage en cargo, m’avait demandé
de lui apprendre le Notre père en français. La jeune fille,
complètement déchristianisée, ne connaissait pas cette prière.
Pourquoi pas ? Nul n’y est obligé et je n’y oblige
personne. Je trouve simplement regrettable qu’on en arrive (il est
vrai qu’autrefois, c’était l’excès inverse, même encore dans
mon enfance) à nier tout un pan de notre culture générale :
comment tous nos jeunes enfants pourront-ils s'imprégner de toutes les œuvres d'art (avec quel œil apprécieront-ils La Cène de
Léonard de Vinci ?), œuvres musicales (écouteront-ils Le Messie
de Haendel ?) et littéraires (que vont-ils comprendre au Tartuffe
de Molière ?) qui nous en parlent. Y compris les caricatures qu’on
peut en faire, comment en saisir toute la compréhension, et le malaise qu'elle suscitent chez certains si on n'en connaît pas la source ?
- * *
J’en étais resté pantois et la tribune du Monde m’a achevé !
Décidément, pour reprendre une référence religieuse, "mon
royaume n’est pas de ce monde..." Il est temps que je le quitte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire