Ma
faim est immense après le grand deuil
la
Perte interminable
le
manque
(Odile
Caradec, Tout
un monde fluide,
Océanes, 2017)
"Rien
n’est plus beau que ce qu’on a sous les yeux et qui s’apprête
à disparaître".
Cette phrase, répétée à plusieurs reprises dans le dernier film
de Naomi Kawase, Vers
la lumière,
m’a
évidemment touché immédiatement. D’autant plus que je m’apprête
à repartir demain vers Poitiers pour rendre visite à mes beaux amis
poètes, Georges Bonnet et Odile Caradec : oui, rien n’est
plus beau que ceux et celles qui vont disparaître, et dont il ne
restera plus qu’un souvenir et, dans leur cas, quelques écrits, et l'amitié dans mon cœur...
Je pasticherais volontiers Victor Hugo qui avait écrit dans un de
ses plus sublimes poèmes (Booz
endormi,
paru dans La
Légende des siècles) :
"Car
le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand".
Je dirais plutôt : Car le jeune homme est grand, mais le
vieillard est beau, car ce dernier rétrécit, hélas... Mais oui,
Georges est beau, Odile est belle !
Revenons
au film :
Misako travaille dans l’audiodescription des films, décrivant ce
qu’on voit sur l’écran en dehors des dialogues. Elle met donc
des mots sur des images et doit parvenir à se mettre à la
place des mal-voyants et des aveugles, en essayant notamment
d’indiquer les sentiments qui animent les personnages qu’on voit
sur l’écran. Mais elle doit laisser un peu de liberté aux
spectateurs non-voyants, en n’imposant pas une vision trop subjective qui
ferait intrusion dans leur imaginaire. On voit donc Misako participer
à des projections-tests auprès de personnes déficientes visuelles.
Si en général, on est plutôt
bienveillant avec elle, elle reçoit
un jour une critique
sévère de la part de
Nakamori, un
des testeurs, célèbre photographe
qui
perd peu à peu la vue. Il lui reproche notamment d’interpréter
les sentiments des personnages.
Peu
à peu, Misako
et Nakamori vont
pourtant devenir amis, elle qui recherche la lumière qu’elle doit
décrire en audiodescription et lui qui accepte mal de perdre
totalement la vue (et donc la lumière).
C’est
au
travers de l’audiodescription d’un
film que
va se
sceller
leur
rencontre. Misako a
perdu son père bien-aimé et sa mère est atteinte d’un Alzheimer
précoce.
Nakamori est
en train de perdre la vue.
Naomi
Kawase
poursuit
son travail sur les organes des sens
: ici
la
vue, aussi
bien que l’ouïe
et le toucher, très
développés chez les aveugles.
Le
film, de toute beauté, se révèle une réflexion sur le
regard aussi
bien que sur le vieillissement, sans compter la mise en abyme avec le
film en audiodescription que Misako commente. Ainsi la réalisatrice nous propose une réflexion sur ce que
voit un voyant et ce que voient les aveugles au travers de l'audition
des paroles de l’audio-descripteur.
L’ouïe
est sollicitée en permanence, car les testeurs tendent l’oreille
sur ce qui est dit pour tenter de "voir"
ce qu’il y a sur l’écran. Le toucher
reste
essentiel pour
Nakamori qui caresse
voluptueusement
aussi
bien son
appareil photo que
la main de Misako ou
son visage, quand il
demande
à le découvrir.
Un
film très sensible donc,
formidablement interprété et avec une
superbe musique d’Ibrahim Maalouf, discrètement
lumineuse.
Presque
aussi beau que Les
délices de Tokyo,
son précédent film.
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