en
aidant les autres, on s'occupe aussi de soi. On répare ce qui est
réparable, on apprend à vivre avec ses blessures. Ce que l'on
comprend de soi-même est une ressource pour accompagner l'autre
; ce que l'on comprend chez l'autre nous porte.
(Dounia
Bouzar, La vie après Daech, Éd. de l'Atelier, 2015)
J'ai
attendu le Printemps du cinéma pour retourner dans les salles
obscures, où je n'avais pas mis les pieds depuis Abidjan, ce qui me
faisait dire que je commençais une grave dépression : en effet, ne
plus vouloir sortir de chez soi, ni sortir de soi, me semble dans mon
cas un signe alarmant. Fort heureusement, je n'avais pas cessé de
lire, dans ce cas, j'aurais été bon pour le cabanon !
Bien m'en a pris d'ailleurs, car j'ai pu voir Les Tuche 2 (que je ne serais pas allé voir s'il m'avait fallu dépenser plus de 4 €), le taïwanais The assassin (très beau, mais j'avoue avoir un peu somnolé, et je n'étais pas le seul), deux films de Akira Kurosawa (l'étonnante évocation historique Qui marche sur la queue du tigre, 1945 et Les bas-fonds, splendide exploration des "affreux, sales et méchants" du Japon, d'après Gorki, 1957), et le dernier, mais non le moindre, L'histoire du géant timide, film islandais (mon deuxième en trois mois, après le surprenant Béliers, en décembre dernier).
Fúsi
(Gunnar Jónsson),
la quarantaine déjà bien entamée, est un gros nounours qui vit
seul avec sa mère. Il travaille à l'aéroport, manutentionnaire au
service des bagages où il se fait chiner, et même harceler par ses
collègues plus jeunes, à cause de sa corpulence excessive et de sa
possible virginité. Son passe-temps favori : jouer des parties de soldats
de plomb pour reconstituer la bataille d'El Alamein avec son
voisin. Ou bien jouer dans la rue avec une voiture téléguidée. La petite fille
du voisin du dessus, très solitaire aussi, se prend d'amitié pour
lui, mais son père dénonce Fúsi
comme possible pédophile. En fait, Fúsi
est resté un grand enfant, avec la naïveté, la tendresse, la
douceur de certains enfants. C'est vrai qu'il n'a jamais connu
l'amour et pourtant chacun de ses gestes est marqué par l'amour ou
l'amitié, un service à rendre, l'absence totale de méchanceté, de cynisme et de
cruauté : il est incapable de dénoncer la fourberie de ceux qui le harcèlent. Fúsi
n'est pas vraiment triste, il a un peu d'humour, de solides habitudes
(dont le restaurant thaï où il mange tout seul, ou la radio à qui
il téléphone pour que l'animateur lui passe les musiques de heavy metal qu'il
aime), mais le jour où le fiancé de sa mère lui offre pour son
anniversaire une inscription pour un club de country dance va
bouleverser sa vie.
Parce qu'il va y rencontrer Sjöfn et que, peu à peu, ces deux-là, marqués par la vie, vont s'apprivoiser. Sjöfn, de fleuriste, est devenue éboueuse et le vit comme une déchéance ; son rêve : ouvrir un petit magasin de fleurs et voyager. Fúsi, bien que travaillant à côté des avions, n'est jamais sorti de l'Islande. Je m'arrête là dans mon résumé, car je vous laisse découvrir ce film formidablement humain : Fúsi n'est pas sans rappeler le prince Mychkine, l'Idiot de Dostoïevski. Il est hors du commun. Colosse vulnérable, il découvre encore plus souffreteux que lui en la personne de Sjöfn. Elle va l'amener à se surpasser dans la compassion, la bonté, l'empathie, la tendresse, la patience, la douceur, l'amour. Il trouve enfin une raison de vivre et, peut-être, de quitter sa mère et décoller.
Tourné
à hauteur d'homme, toujours du point de vue de Fúsi,
le film est un hommage à l'amour, au véritable amour (qui n'a que
peu à voir avec le sexe, comme le montre bien la scène de fête où
s'est laissé entraîner Fúsi,
qui ne sait pas dire non : ses trois collègues lui font la détestable surprise d'avoir payé une pute chargée de le dépuceler). Ce film montre aussi qu'on peut
lutter contre la peur de l'autre, du différent, de l'inconnu, contre
l'isolement social qui en résulte. C'est l'antidote absolu des
événements tragiques que nous vivons, des attentats, des guerres et
des meurtres de masse.
Je me réjouis personnellement que la
générosité soit mise en lumière avec autant d'énergie, sans
tomber dans les clichés, l'angélisme, le pathos ou le mélo.
Et qu'un film nous fasse retrouver – si nous l'avions perdu – le sens de
l'humanité qui est en nous. Un message d'espoir, en somme ?
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