vendredi 25 mars 2016

25 mars 2016 : qu'est-ce que l'amour ?


en aidant les autres, on s'occupe aussi de soi. On répare ce qui est réparable, on apprend à vivre avec ses blessures. Ce que l'on comprend de soi-même est une ressource pour accompagner l'autre ; ce que l'on comprend chez l'autre nous porte.
(Dounia Bouzar, La vie après Daech, Éd. de l'Atelier, 2015)


J'ai attendu le Printemps du cinéma pour retourner dans les salles obscures, où je n'avais pas mis les pieds depuis Abidjan, ce qui me faisait dire que je commençais une grave dépression : en effet, ne plus vouloir sortir de chez soi, ni sortir de soi, me semble dans mon cas un signe alarmant. Fort heureusement, je n'avais pas cessé de lire, dans ce cas, j'aurais été bon pour le cabanon ! 

Bien m'en a pris d'ailleurs, car j'ai pu voir Les Tuche 2 (que je ne serais pas allé voir s'il m'avait fallu dépenser plus de 4 €), le taïwanais The assassin (très beau, mais j'avoue avoir un peu somnolé, et je n'étais pas le seul), deux films de Akira Kurosawa (l'étonnante évocation historique Qui marche sur la queue du tigre, 1945 et Les bas-fonds, splendide exploration des "affreux, sales et méchants" du Japon, d'après Gorki, 1957), et le dernier, mais non le moindre, L'histoire du géant timide, film islandais (mon deuxième en trois mois, après le surprenant Béliers, en décembre dernier).

Fúsi (Gunnar Jónsson), la quarantaine déjà bien entamée, est un gros nounours qui vit seul avec sa mère. Il travaille à l'aéroport, manutentionnaire au service des bagages où il se fait chiner, et même harceler par ses collègues plus jeunes, à cause de sa corpulence excessive et de sa possible virginité. Son passe-temps favori : jouer des parties de soldats de plomb pour reconstituer la bataille d'El Alamein avec son voisin. Ou bien jouer dans la rue avec une voiture téléguidée. La petite fille du voisin du dessus, très solitaire aussi, se prend d'amitié pour lui, mais son père dénonce Fúsi comme possible pédophile. En fait, Fúsi est resté un grand enfant, avec la naïveté, la tendresse, la douceur de certains enfants. C'est vrai qu'il n'a jamais connu l'amour et pourtant chacun de ses gestes est marqué par l'amour ou l'amitié, un service à rendre, l'absence totale de méchanceté, de cynisme et de cruauté : il est incapable de dénoncer la fourberie de ceux qui le harcèlent. Fúsi n'est pas vraiment triste, il a un peu d'humour, de solides habitudes (dont le restaurant thaï où il mange tout seul, ou la radio à qui il téléphone pour que l'animateur lui passe les musiques de heavy metal qu'il aime), mais le jour où le fiancé de sa mère lui offre pour son anniversaire une inscription pour un club de country dance va bouleverser sa vie.

 Parce qu'il va y rencontrer Sjöfn et que, peu à peu, ces deux-là, marqués par la vie, vont s'apprivoiser. Sjöfn, de fleuriste, est devenue éboueuse et le vit comme une déchéance ; son rêve : ouvrir un petit magasin de fleurs et voyager. Fúsi, bien que travaillant à côté des avions, n'est jamais sorti de l'Islande. Je m'arrête là dans mon résumé, car je vous laisse découvrir ce film formidablement humain : Fúsi n'est pas sans rappeler le prince Mychkine, l'Idiot de Dostoïevski. Il est hors du commun. Colosse vulnérable, il découvre encore plus souffreteux que lui en la personne de Sjöfn. Elle va l'amener à se surpasser dans la compassion, la bonté, l'empathie, la tendresse, la patience, la douceur, l'amour. Il trouve enfin une raison de vivre et, peut-être, de quitter sa mère et décoller.
Tourné à hauteur d'homme, toujours du point de vue de Fúsi, le film est un hommage à l'amour, au véritable amour (qui n'a que peu à voir avec le sexe, comme le montre bien la scène de fête où s'est laissé entraîner Fúsi, qui ne sait pas dire non : ses trois collègues lui font la détestable surprise d'avoir payé une pute chargée de le dépuceler). Ce film montre aussi qu'on peut lutter contre la peur de l'autre, du différent, de l'inconnu, contre l'isolement social qui en résulte. C'est l'antidote absolu des événements tragiques que nous vivons, des attentats, des guerres et des meurtres de masse. 
Je me réjouis personnellement que la générosité soit mise en lumière avec autant d'énergie, sans tomber dans les clichés, l'angélisme, le pathos ou le mélo. Et qu'un film nous fasse retrouver – si nous l'avions perdu – le sens de l'humanité qui est en nous. Un message d'espoir, en somme ?

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