mardi 18 septembre 2012

18 septembre 2012 : adolescents



Dans notre monde l'oisiveté s'est transformée en désœuvrement, ce qui est tout autre chose : le désœuvré est frustré, s'ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque.
(Milan Kundera, La lenteur)


En quelques jours, j'ai été plongé dans le monde des adolescents par trois films qui viennent de sortir. Trois films modernes, portant un regard sur la génération actuelle, très directement (The we and the I, Broken) ou indirectement (Camille redouble).


Commençons par le moins connu des trois (mais non le moins bon), parce que les personnages y sont plus jeunes, plus pré-adolescents. L'Anglais Rufus Norris a réalisé Broken avec le soin que donnent les Anglais à dépeindre la réalité sociétale (voir des cinéastes comme Ken Loach et Mike Leigh, tous deux primés à Cannes). Il y a dans leurs films une justesse de ton, une densité dans la description des rapports sociaux, dont peu de cinéastes français sont capables. L'héroïne du film, Skunk, douze ans, habite dans un joli pavillon avec son frère Jed, quatorze ans, et son père, un avocat un peu déphasé et déprimé depuis que sa femme l'a quitté. Une gouvernante, d'origine russe, Kasia, gère la maison, elle a un petit ami, un jeune prof, Mike. Les deux autres pavillons de la place sont occupés par un vieux couple et leur fils, Rick, jeune homme débile, et par la famille Oswald, composée du père, abruti par l'alcool depuis le décès de sa femme et ses trois filles de dix à quatorze ans, livrées à elles-mêmes et déjà fort préoccupées de sexe. Pour cacher une histoire de préservatif, une des filles dit au père qu'elle a couché avec Rick. Oswald s'empresse d'aller tabasser le malheureux garçon, qui se retrouve interné en hôpital psychiatrique, alors même que l'expertise médicale prouve que la fille en question est vierge. Skunk avait beaucoup d'amitié pour Rick. Elle est elle-même gravement diabétique et doit se piquer à l'insuline pour tenir le coup. Elle admire aussi Mike, qui se révèle être un de ses professeurs lors de son entrée en 6ème. Elle se lie aussi d'amitié avec un garçon de son âge, dont les parents sont morts, et qui vit esseulé chez une tante. Skunk est une fille formidable. Trop, en fait. Elle est rapidement victime de racket de la part d'une des filles Oswald, qui est dans sa classe, et qui y fait régner la terreur, avec l'aide de la sœur aînée. Peu à peu, la tension monte dans le quartier, à cause des filles Oswald, adulées par leur père, mais dont le désœuvrement, la violence héritée du père et le goût du mensonge sont de vrais pousse-au-crime. Un film très original sur la pré-adolescence, sur les horreurs de notre société trop permissive et qui ne laisse plus les enfants rester enfants !

The we and the I, film new-yorkais du Français Michael Gondry, se passe presque entièrement dans un bus. Ce bus ramène chez eux, en toute fin d'année scolaire, des lycéens de dix-huit ans environ et particulièrement délurés, en les dispatchant dans les divers quartiers de New York. C'est donc un road-movie (pourquoi ne pas dire rando-film, bon Dieu ?) puisque le bus bouge. Mais tout se passe à l'intérieur, avec de rares échappées quand il y a des arrêts et que des passagers descendent. Les trois lycéens du fond, trois copains (qui prouvent par l'exemple qu'à plusieurs on est une "bande de cons", comme chante Brassens dans Le pluriel), se moquent à haute voix et souvent de façon indécente de tout un chacun, humiliant les faibles, les vieux, leur faisant vivre le parcours comme un cauchemar. On rencontre aussi un jeune couple gay en dispute amoureuse, un groupe de timides, des mystiques, des filles qui préparent une fête et se demandent quels garçons inviter, etc. Peu à peu, on passe des groupes (We) aux individus (I), de la fausse force de la bande à la vérité humaine de chacun. On en apprend beaucoup sur cette jeunesse new-yorkaise, vraiment mixte (aucun racisme), d'une crudité sexuelle absolue, totalement accro aux téléphones portables, avec notamment des scènes de vidéo filmées qu'ils s'envoient les uns aux autres, et qui se révèle finalement d'une grande fragilité, en dépit de ses rodomontades trash. C'est passionnant, bouleversant même parfois, les acteurs, issus d'un centre socio-culturel de quartier, jouent en quelque sorte leur propre rôle avec un naturel confondant.
Quant au film français de Noémie Lvovsky, Camille redouble, qui avait fait sensation au Festival de Cannes, il démontre le talent de la réalisatrice. Et son culot aussi. Au début du film, Camille (jouée par la réalisatrice elle-même), la quarantaine, est une actrice ratée qui cachetonne pour des apparitions dans des films de série Z, quittée par Éric, son grand amour de jeunesse, avec qui elle vit depuis vingt-cinq ans, abandonnée par sa grande fille qui ne fait que passer en coup de vent, et elle boit plus que de raison. Le soir du réveillon du Nouvel an, elle prend une telle cuite que... Elle se réveille vingt-cinq ans plus tôt, lycéenne, et pourtant elle a toujours quarante ans, elle sait ce qui va arriver, la mort de sa mère, la rencontre avec Éric ... Elle voudrait changer le cours du temps, mais bien sûr, c'est impossible. C'est là le culot de la réalisatrice : au lieu de faire jouer la Camille de quinze ans par une jeune fille, elle joue elle-même, avec simplement un rafraîchissement de la coiffure et du maquillage, endosse ses vêtements d'époque, dans lesquels elle est un brin boudinée, et on la suit dans les cours au lycée, dans les cafés, les couloirs et les trottoirs, en train de redoubler l'année de ses quinze ans ! Et on y croit ! Le mélange entre réel et imaginaire prend très bien. Il faut dire que les acteurs sont admirablement dirigés, qu'il s'agisse des vieux (Jean-Pierre Léaud en horloger du destin, Michel Vuillermoz et Yolande Moreau en parents un peu fatalistes, Mathieu Amalric méconnaissable en prof de français, Denis Podalydès superbe prof de physique qui nous rejoue la scène du planétarium de La fureur de vivre, Riad Sattouf en réalisateur de film gore, Micha Lescot en metteur en scène du club de théâtre) ou des jeunes qui jouent les lycéens. C'est époustouflant ; bien sûr, ayant vu le début, on connaît la fin, et pourtant, le suspense est fort et on est surpris. Non, on ne refait pas le monde. Mais Noémie Lvovsky nous a embobinés. Du grand art.
Et ce n'est pas parce qu'on est devenu vieux qu'on doit se condamner à ne pas voir les films dont les héros n'ont plus notre âge ! À ne plus lire de livres écrits pour les jeunes ! À ne jamais écouter leur musique ! À ne pas s'intéresser à leur façon de vivre, de s'habiller, de voir le monde, à ne plus les aimer, en somme !

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