si
je suis là, elle [la mort] n'est pas là, et quand elle sera
là, je ne serai plus là. Je ne la rencontrerai jamais. Elle
m'anéantira, certes, mais fera disparaître avec moi peines,
chagrins, souffrances, angoisse.
(Alexandre
Jollien, La
construction de soi)
Je
ne vois pas que des films consacrés aux adolescents. En quelques
mois, j'aurais vu quatre films qui parlent de la fin de vie :
Amour,
vu à La Rochelle et palme d'or de Cannes, j'en reparlerai au moment
de sa sortie, dont le sujet est la dégradation liée à une attaque
cérébrale suivie par la maladie d'Alzheimer, Bella
adormentata
(La belle au bois dormant?), le film de Belloccchio vu à Venise, qui
cause de l'euthanasie en s'inspirant d'un fait divers qui avait agité
l'Italie (une patiente dans le coma débranchée au bout de 17 ans),
auquel il a rajouté en parallèle plusieurs histoires fictives qui
nous interrogent sur notre liberté individuelle face à la fin de
vie (dont une jeune fille suicidaire, qui ne comprend pas qu'on ne la
laisse pas partir), Près
du feu,
un film chilien, qui montre au fil des saisons une histoire d'amour
gangrenée par le cancer de la femme et sa mort proche, et enfin
aujourd'hui je viens de voir Quelques
heures de printemps.

Ce
nouveau film de Stéphane Brizé, dont j'avais préalablement aimé
Je
ne suis pas là pour être aimé
et Mademoiselle
Chambon,
raconte l'histoire d'une mère et de son fils. Yvette Evrard (Hélène
Vincent) a près de soixante-dix ans, elle est veuve, tient avec une
méticulosité extrême sa maison, d'une propreté absolue, où elle
vit seule avec son chien. Son fils, la quarantaine avancée, Alain
(Vincent Lindon) sort de dix-huit mois de prison : chauffeur-routier,
il s'était laissé convaincre par des trafiquants de dissimuler de
la drogue dans son camion. Vous savez qu'on sort de prison avec rien
ou presque. Il vient donc s'installer chez sa mère, avec qui il ne
s'entend pourtant guère. Ils sont aussi taiseux l'un que l'autre,
rappelant ce qu'écrit Marguerite
Duras, dans L'Amant :
"Non
seulement on ne se parle pas mais on ne se regarde pas".
D'ailleurs la mère ressemble au personnage de la mère dans le livre
de Duras : "Elle
a cette attention incomparable des gens qui n'entendent pas ce que
l'on dit".
Les repas se déroulent donc en silence, chacun le nez dans son
assiette. Alain retrouve de vieux amis, dont le voisin, Monsieur
Lalouette, ancien routier retraité, Bruno, un père de famille au
chômage, avec qui il boit des bières et va au bowling. Le Pôle
emploi lui propose un boulot dans l'usine qui trie les déchets, un
travail à la chaîne qui ne lui plaît guère.
Très
rapidement, il comprend que sa mère est malade, elle a un cancer,
des métastases dans le cerveau, et il lui reste peu de temps à
vivre. Il apprend même qu'elle a fait une démarche auprès d'une
association qui propose de l'emmener en Suisse pour un suicide
assisté, interdit en France. Pourtant, mère et fils se comportent
comme chien et chat. Elle lui reproche en particulier de fumer dans
sa chambre (pauvre acteur, je souffrais de le voir fumer), de ne pas
essuyer les pattes du chien après la promenade-pipi. Finalement, à
bout après une dispute mémorable, il quitte le foyer familial et se
réfugie chez le voisin. Lalouette, très ami avec sa mère, va
mettre tout en œuvre pour les raccommoder au moment où un nouveau
scanner annonce le pire.
Je
ne vous en dis pas plus, je vous laisse apprécier la fin que j'ai
trouvée très belle, sinon que les acteurs sont parfaits, et que,
bien sûr, ça m'a rappelé des choses, et d'abord que "la
source de la peur est dans l'avenir, et qui est libéré de l'avenir
n'a rien à craindre"
(Milan
Kundera, La
lenteur).
Lors d'une réunion avec les gens admirables de l'association, le
responsable pose la question suivante à Yvette : « Avez-vous
eu une belle vie ? » Aussitôt m'est remontée une
discussion avec Claire vers février 2009, quand elle était déjà
lourdement handicapée et qu'elle prenait lentement conscience que
n'ayant plus d'avenir, elle n'avait plus à craindre la mort. Claire
me dit alors : « Écoute,
j'ai cinquante-sept ans, j'ai vécu déjà longtemps, c'est pas comme
si je mourais à trente ans, nous avons fait et élevé de beaux
enfants, j'ai eu une belle vie, je n'ai pas peur et toi non plus, tu
ne dois pas avoir peur. »
Oui,
je suis sûr que beaucoup pensent que je suis masochiste d'aller voir
de tels films. Mais pas du tout ! Bien sûr, ils me font monter
les larmes aux yeux, évoquent des moments douloureux, mais qui
étaient aussi des moments heureux. Claire m'a accompagné alors,
elle m'a fait comprendre que nous avions eu une belle vie, ce n'est
pas rien. Elle m'a appris à ne pas redouter la fin de la vie, elle
qui aurait bien voulu qu'on abrège la sienne. Et elle avait
connaissance aussi de la méthode suisse du suicide assisté,
puisqu'elle avait adhéré à l'Association pour le droit de mourir
dans la dignité. Comme dit l'héroïne du film (je cite de mémoire,
mais le sens y est), « c'est moi qui décide, on a assez décidé
pour moi ! » Je rappelle d'ailleurs que Claire était
fière d'avoir imposé aux médecins hospitaliers de mourir à
domicile, avec cette même pensée : « la fin de ma vie,
c'est encore ma vie, c'est moi qui décide ! »
Et
si je vais voir ces films aussi, c'est en pensant à mes enfants,
pour devenir plus fort devant l'inéluctable. Là, je vais citer
Bernard Ollivier, dans le premier tome de récit de voyage à pied
d'Istanbul jusqu'en Chine :Traverser
l'Anatolie.
Il écrit à moment donné ces phrases que je peux tout à fait
adopter : "Mes
enfants entament leur vie d'homme. Déjà ils ont éprouvé ce
sentiment angoissant que, même entourés, nous sommes seuls. Comme
je les aime ! Nous sommes, eux et moi, devant l'océan de la vie. Ils
ne voient pour l'instant que l'immensité des eaux. Moi, j'aperçois
déjà la rive où il faudra aborder".
Permettez-moi
de la regarder en face, cette rive ! Ce n'est pas malsain, je
n'en ai pas peur, la mort fait partie de la vie, et s'il y a un
moment où je peux, où je dois y songer, c'est bien maintenant,
quand mon cerveau est encore à peu près intact. De même que si je
dois vivre encore longtemps, il faut que je pense aussi à ce long
temps et ne pas être pris au dépourvu comme André Gide l'a été :
"Je
n'avais pas pris mes dispositions pour vivre aussi vieux",
rapporte-t-il dans Ainsi
soit-il ou Les jeux sont faits. Et Montaigne n'a-t-il pas intitulé le chapitre 19 du Livre I des Essais : "Que philosopher, c'est apprendre à mourir" ?
Mais rassurez-vous, je vais voir aussi des films nettement plus légers,
comme Les
saveurs du palais ou
Associés
contre le crime,
deux films où joue mon actrice préférée, Catherine Frot. Car
j'aime la variété, et je ne me laisse enfermer dans aucun genre !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire