En ces jours-là,
j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle
(Apocalypse de saint Jean, 21, 1)
Commençons par une tautologie : je fais de la bicyclette parce que j'aime la bicyclette. Parce qu'elle est à la fois l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin. Qu'elle nous fait entrevoir le ciel nouveau et la terre nouvelle dont parle l'évangéliste (l'auteur de l'Apocalypse serait aussi celui du quatrième évangile).
Parce que j'apprécie les territoires qu'elle me fait traverser : rues, routes, chemins, campagnes, bois, bordures de canaux, de lacs et de rivières, parce que c'est presque toujours libre, merveilleux et beau, alors que là où vivent les hommes, c'est très souvent laid, sordide et enfermé. Parce que ça me permet d'échapper à toutes les saletés publicitaires, à toutes les réunions grotesques que les humains croient utiles d'inventer pour se sentir exister, alors qu'en faisant corps avec la machine, on épouse sa mécanique tout autant que les sinuosités du parcours, et cet enlacement est la preuve même de l'existence : « je pédale, donc j'existe » !
Parce que sur le vélo, je fais un pied de nez à la civilisation de la vitesse et de la force, je pratique une activité qui me plaît, alors même que tant d'hommes crèvent de faire des choses qui leur déplaisent, et en font crever d'autres : pas seulement par le crime ou la guerre, mais voyez France Télécom. Parce que je suis loin du téléphone, des journaux, de la télévision, d'internet, et que pourtant je ne me sens absolument pas seul. Parce que chaque arrêt est l'occasion de prendre conscience qu'une gorgée d'eau est d'une saveur inégalée, qu'un bout de chocolat éclabousse mon palais, qu'une mûre cueillie invente l'infini.
Parce que dans un monde de compétition féroce et maussade, je pratique la joie de respirer sans me presser, de chanter si j'en ai envie, de prendre mon pied, de me révolter contre ce qui est laid, méchant et triste. Parce que sur une bicyclette, je ne me laisse ni dépraver, ni troubler, ni acheter par tous ceux qui nous trompent, qui nous dupent, qui nous abusent, qui nous exploitent. Parce que je suis loin du pouvoir, ou plutôt, j'explore mon propre pouvoir (qui est en fait le vrai), fait de patience, de lenteur, d'humilité, de douceur, toutes qualités en berne aujourd'hui.
Et aussi parce que je n'ai aucune envie d'ajouter beaucoup d'années à ma vie, mais par contre, n'ayant qu'une seule vie sur cette terre, je souhaite plutôt ajouter de la vie à mes années. Enfin, parce que cette activité rend les autres dérisoires et vaines.
Je pensais à tout cela cet après-midi en plein Salon du livre de Tercé. Heureusement, nous sommes dans un cadre magnifique, les carrières de Normandoux, dans le trou creusé, juste devant un lac qui me rappelait les petits lacs des ardoisières de Trélazé, qui bordaient notre auberge de jeunesse associative en 1973. Je regrettais de n'avoir pas pris de maillot de bain ! Car, si je n'aime pas trop les piscines et les baignades organisées, j'ai toujours apprécié les rivières et les lacs, là aussi, pour leur beauté, pour la liberté qu'on y a, notamment de se baigner nu, comme on faisait en ce temps-là.
Mais le salon lui-même, quel pensum ! Heureusement, je suis avec mon vieil ami Georges Bonnet, il y a aussi le sympathique libraire, plus quelques personnes d'un grand intérêt. Mais franchement, assis derrière une table à attendre le chaland, comme je regrette ma bicyclette, son ample respiration, la clé qu'elle représente pour ouvrir la porte des étoiles.
1 commentaire:
Oh, que je suis bien d'accord avec vous ! Merci pour ce texte, je me sents moins seul du coup.
Damien, cycliste (Dijon)
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