mardi 6 octobre 2009

6 octobre 2009 : les non aimés


Je me reconnais partout où les hommes résistent à ce qui les limite ou les sépare.
(Bénigno Cacérès, Les deux rivages)


Sous ce beau titre générique, Les jeunes filles, Montherlant a écrit une tétralogie de romans, férocement misogynes. Homosexuel, il a dû y régler ses comptes avec les femmes, en général, et sa mère en particulier. Mais les hommes n'y sont pas mieux traités, notamment le héros, au fond incapable d'aimer.
J'y repensais en voyant successivement trois films ces derniers temps, l'un ancien vu sur DVD, le film japonais de Jacques Demy, Lady Oscar (d'après un manga), les deux autres vus au cinéma : Une jeune fille à la dérive, japonais aussi datant des années 60, et Fish tank, un film anglais très contemporain.

Le fil commun, c'est la non acceptation des jeunes filles pour ce qu'elles sont et c'est donc le fait de ne pas les aimer. Ce sont des non aimées. C'est courant dans la vie. Nous faisons des enfants, et ils ne sont pas ce que souhaitons qu'ils deviennent : ainsi l'aristocrate père de Lady Oscar, dépité de voir encore une fille arriver, décide que ce sera un garçon et l'affuble d'un prénom masculin, la fait élever avec son frère de lait, lui apprend l'escrime, l'habille en garçon et la fait entrer dans les gardes de Marie-Antoinette. Tout le monde sait que ce n''est pas un homme, mais tout le monde fait comme si. Au royaume du travesti, le romanesque échevelé est roi, à faire pâlir Alexandre Dumas. Mais ça fonctionne, et, plus heureuse que ses sœurs contemporaines, Lady Oscar trouve au moins l'amour de sa nourrice et surtout de son frère de lait.

Mia, la jeune fille anglaise de Fish tank, est une sorte de rebelle, de teigneuse dans l'Angleterre post-thatchérienne des grands ensembles. Elle vit avec sa mère (qui lui avoue avoir voulu avorter d'elle) et sa petite sœur. C'est peu de dire qu'elle n'est pas aimée. Pour sa mère, qui passe d'homme en homme, complètement immature, elle n'est qu'un boulet dont elle a hâte de se débarrasser en la mettant dans un centre d'éducation surveillée. Sa seule consolation, c'est la danse hip-hop, et le vieux cheval des gitans qu'elle va caresser. Et puis, il y a le nouvel amant de sa mère, Connor, captivé par ses éclats d'innocence. Mais c'est un profiteur lui aussi, et finalement, Mia fuira avec un des jeunes gitans. Le film est très beau, très doux, très tendre, malgré le langage de charretiers dont usent (à quinze et onze ans !) les deux jeunes sœurs et leurs copines. On sent derrière tout ça un besoin d'amour énorme que comblent en partie quelques échappées loin du béton, dans une campagne.
Pour Une jeune fille à la dérive, le scénario est assez voisin. Wakae, l'héroïne, a un père ivrogne, une tante qui dirige une maison de passe, et qui aimerait bien y faire entrer sa nièce. Sans l'amitié de Saburo, un jeune garçon en révolte lui aussi contre l'univers des adultes (son frère beaucoup plus âgé, après avoir été contestataire dans sa jeunesse, se fait élire au conseil municipal conservateur et râle de traîner un tel boulet), Wakae tournerait très mal. Mais, à la suite d'un incendie dont elle est à l'origine involontairement, elle est placée en maison de redressement. On retrouve ici comme dans le film anglais le manque d'amour maternel. Wakae est la sœur de Mia, marquée comme elle aussi par l'absence du père (ou une présence lamentable, ce qui revient au même). Le film, qui n'est pas sans rappeler Les quatre cents coups, est d'une incroyable beauté plastique, dans le noir et blanc qu'on regrette tant de ne plus voir aujourd'hui.

Oui, beaucoup de jeunes, garçons et filles, ne sont pas aimés, ou ne sont pas aimés pour ce qu'ils sont. Ils ont du mal à se construire, et c'est nous, adultes, qui sommes responsables d'un tel gâchis. Qu'en plus, certains profitent de ces jeunes sur le plan sexuel, ça ne nous rend pas fier d'être adultes. Où est la lumière qui peut les éclairer ? Comment leur ouvrir un passage pour grandir ? Comment les aider à résister à l'entreprise de démolition de la personnalité qui les environne ?


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