Cela m’a fait mal, m’a buté contre cette société qui réduit ainsi les capacités humaines, divise, isole, maintient dans l’immaturité et la contrainte.(Roger Knobelspiess, Q.H.S. Quartier de Haute sécurité)
Malik est mis en prison pour un délit que nous ignorerons, petite délinquance, semble-t-il. Au terme d'un parcours que le film révèle, il devient autre chose : un grand caïd. Il aura beaucoup appris en prison, notamment à écrire et à lire, mais aussi et surtout en observant le caïd corse de près, le fonctionnement du pouvoir.
Un prophète est un film carcéral. En effet, Malik entre en prison au début du film, il en sort à la fin du film. Basané et frisé, il est considéré comme un «arabe» (et pareillement par les surveillants, compte tenu des a priori pénitentiaires, même s'il n'a pas de régime alimentaire particulier, ne va pas à la prière, etc.) par le clan des Corses, auquel il va servir de larbin au début, ce qui lui permet d'être protégé. Il va comprendre peu à peu avec les uns ou les autres les trafics divers, la logique des relations humaines et des processus économiques, qui reproduisent ici ce qui se passe à l'extérieur : Malik travaille comme ouvrier dans l'atelier de la prison, en même temps qu'il se met au service du chef de clan corse Luciani. Il est donc doublement exploité. Mais il comprend vite comment fonctionnent les «affaires» (au fond, c'est à peu près pareil qu'à l'extérieur, c'est le libéralisme triomphant, avec l'écrasement des plus faibles), les arrangements possibles avec les uns ou les autres, les bénéfices potentiels (trafic de drogue, mainmise sur les casinos). On ne sort jamais des relations de domination, typiques de notre société, prison ou pas. La prison est ici le miroir grossissant de ces rapports. Luciani se comporte en chef d'entreprise qui ne se salit pas les mains lui-même (il ordonne et fait travailler les autres), protège ceux qui font - servilement - les petites besognes. Malik, au départ, se comporte en esclave soumis et obéissant, mais il apprend vite et a envie d'échapper à sa condition. Il se soustrait donc d’un certain déterminisme social.
Un prophète est un bon film, c'est certain, malgré quelques longueurs et répétitions, des coquetteries de style aussi, avec un excellent jeu d'acteurs. On apprend beaucoup sur la prison. Et pour moi qui venais de visiter le nouveau centre pénitentiaire (vide pour le moment, et donc clean) de Vivonne, et de lire Dans la peau d'un youv, le roman remarquable de Hamid Jemaï (la balade quasi suicidaire, à la Bonnie and Clyde, de quatre jeunes des banlieues), je me sentais mal à l'aise, je l'avoue. Une oppression certes due à l'enfermement dans un lieu de violence, de règlements, où l'administration décide de tout (heure des repas, des promenades, des visites, de tout, même du règlement de la bibliothèque et de qui peut emprunter et quand...), où, selon le film, certains caïds utilisent les surveillants.
Mais mon malaise s'est porté surtout sur le fait qu'un tel film véhicule des clichés racistes (sur les arabes, les corses, au fond tous truands et dangereux). Donc un film à regarder avec des yeux d'adulte, sans œillères mais en réfléchissant sur une société qui ne nous propose de réussir l'intégration qu'en écrasant les autres. C'est sans doute en ce sens que le film garde un grand pouvoir de subversion.
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