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Tout est clos en France, le moindre espace est délimité. Mes compatriotes considèrent que le monde n’est en ordre que s’il est fermé. Pour jouir de sa possession, chaque propriétaire pense d’abord à l’entourer d’un grillage, d’une haie ou d’un mur hérissé de tessons. Chez nous, posséder, c’est exclure ou interdire.
(Jean-Paul Kauffmann, La maison du retour)
Quelques films en vrac vus au cinéma ces derniers temps, souvent en séance nocturne, un anglais et deux français. Et qui, chacun à sa manière, nous parlent d’aujourd’hui, de la vie, du réel, par le biais de la fiction, et avec pas mal de courage.
Boy A, tout d’abord, qui m’a naturellement intéressé, parce que son héros sort de prison, et vous savez que je suis sensibilisé à la prison. J’y vais assez souvent, pour mes lectures ou des rencontres avec des écrivains, pour ne pas avoir envie d’y être en permanence, et pour me demander ce que deviennent les gens qui en sortent, tant j’ai l’impression que la prison brise, désarticule, vide, épuise, et met hors du temps. Le cinéma anglais nous offre avec Boy A une de ces œuvres sociales dont il a le secret, à la fois ancrée dans la réalité la plus crue, et fourmillant des petits détails "vrais", qui manquent souvent cruellement dans le cinéma français. Ici, le héros, dont nous connaîtrons l’histoire passée au travers de flash-backs, a perdu son identité en sortant de prison, et d’Eric (l’adolescent tueur d’enfants, selon la presse populaire) devient Jack. Un éducateur le prend en charge, lui offre une nouvelle identité, lui trouve un emploi. Mais Jack, qui ne peut oublier son passé terrible (sa mère était agonisante, et il était maltraité par ses camarades, et le seul ami qu’il avait l’entraîne dans ce crime qui le conduit en prison) peut-il refaire sa vie, comme ça, d’un coup de baguette magique ? Il fait connaissance de collègues de travail compatissants et d’une jeune fille dont il tombe amoureux, et avec qui s’établit une relation toute de douceur. Mais l’éducateur a un fils, lui aussi, fils dont il s’est peu occupé et qui est mal dans sa peau et souffre de voir son père être plus affectueux avec ses "protégés" qu’avec lui. Jaloux, il révèle à la presse le passé de Jack qui est chassé de son travail et de son amour. De désespoir, Jack se suicide. La réinsertion est-elle possible ? Le film est peu démonstratif, et nous émeut sans pathos. Il y a une retenue dans la mise en scène, et la construction du film, complexe mais lisible, aide à appréhender les personnages saisis dans leur quotidien difficile. Tous les spectateurs étaient scotchés sur leur siège à la fin du film, dans la lignée des meilleurs Ken Loach.
Enfin le cinéma français sort du nombrilisme parisianiste et des éternels problèmes de triangles ou de quadrilatères amoureux (ou plutôt aujourd’hui sexuels), en s’attaquant à un problème de société qui nous touche tous de près, pour peu qu’on n’ait pas oublié le régime de Vichy et l’image déplorable que la France a donnée à ce moment-là, et qu’elle est, d’une certaine manière, en train de réitérer. Je veux parler des sans-papiers, des immigrés que la misère locale, l’ouverture des frontières et la facilité de circulation (toute relative tout de même pour eux, ils ne voyagent ni en première classe ni en Mercedes, mais souvent à pied, ou avec un peu de chance en wagon de marchandises ou en camion) poussent loin de chez eux jusque dans nos pays prétendument édéniques.
Deux films donc, le premier, solaire, Eden à l’ouest, de Costa-Gavras, le second, nordique, Welcome, de Philippe Lioret. Deux visons différentes du problème de l'immigration clandestine et des sans-papiers, et assez convaincantes, suffisamment du moins en ce qui concerne le second, pour irriter le ministre concerné.
Le premier est une sorte d’Odyssée, qui mène son héros, Elias, de la mer Egée, d’où il échappe à la nage pour rejoindre la côte jusqu’à Paris, rêve de cet émigré qui a appris un minimum de français. Il passe successivement par le paradis d’un hôtel de grand luxe, où il est recueilli et caché (mais proie sexuelle aussi) par une des clientes, avant de parvenir à s’évader de ce ghetto doré et au prix de moultes péripéties picaresques, notamment un travail au noir, et de découvreirun Paris inhospitalier ou presque. Oui, ce n’est pas l’Eden attendu, mais plutôt un défilé de la misère ! Les flics sont omniprésents comme pendant la guerre, et les citoyens "normaux" sont invités à coopérer avec les forces de l’ordre (quel ordre !!!) pour éloigner ces indésirables, comme en d’autres temps, on collaborait pour éliminer résistants ou juifs.
Le scénario et les dialogues de Jean-Claude Grunberg sont solides, et la bonne idée a été de confier le rôle d’Elias à un très beau jeune homme, Riccardo Scamarcio, comme pour faire ressortir davantage la misère morale et physique des nombreux immigrés qu’il côtoie, et la méchanceté du monde alentour. Le décalage entre l’espoir d’Elias et la réalité qu'il rencontre (on veut sans cesse l’exploiter, aussi bien en tant qu’ouvrier qu’en tant que bel étalon) nous éloigne du pathos Un film qui ne déparerait la filmographie de Pasolini, celui d’Accatone ou de son livre Les ragazzi. Avec peut-être quelques lieux communs et clichés qui auraient pu être évités, notamment sur l’égoïsme et l’individualisme de notre société, où l’aide n’est souvent que le reflet de la mauvaise conscience ou du désir libidineux, et les illusions du clandestin, mais au moins sans tendance à la démonstration. Le film ne fait que montrer : au spectateur de juger, on apprend autant sur la condition de l’immigré que sur la mentalité des accueillants ! On peut quand même voir le tout comme une fable sur un monde de plus en plus âpre aux malheureux, où la barbarie n’est peut-être pas du côté qu’on croit, mais tout aussi bien l’apanage des nantis, et où, pour s’en sortir relativement bien, il vaut mieux être blanc, jeune et beau gosse, quand on s’en va vers le supposé Eden.
Avec Welcome, on est un cran au-dessus. Un jeune Kurde de dix-sept ans, Bilal, a réussi à arriver à Calais, d’où il espère pouvoir rejoindre sa dulcinée, déjà installée en Angleterre. Il retrouve par hasard un congénère qui lui indique qu’avec 500 €, il peut lui trouver un passeur en camion. Sauf qu’il faut, pour éviter les chiens et l’appareil détecteur de CO2, dissimuler sa tête dans un sac en plastique, et Bilal ,ne pouvant supporter le sac, fait échouer l’entreprise. Il décide alors de rejoindre son amoureuse à la nage, en traversant la Manche ! Pour cela, il va à la piscine et prend des leçons pour apprendre le crawl. Le maître-nageur, Simon, le prend en amitié, lui qui vient d’être quitté par sa femme, ardente militante de la soupe populaire auprès des sans-papiers, justement. Est-ce pour se réhabiliter auprès d’elle ? En tout cas, Simon se prend au jeu et se met lui-même en danger dans une société actuelle, où le simple fait de faire monter un clandestin dans sa voiture attire l’attention des flics, où l’on peut être condamné pour en avoir hébergé un. Simon, qui jusque-là, vivait peinard, découvre un autre monde, le vrai visage de la police, qui s’occupe de s’attaquer aux malheureux plutôt qu’aux malfaiteurs, qui s’occupe aussi d’essayer de coincer les associations humanitaires (n’a-t-elle vraiment rien d’autre à faire ?), le vrai visage également des voisins qui sont trop heureux de devenir délateurs, des commerçants qui refusent l’entrée dans leurs supermarchés à ces malheureux, soi-disant pour ne pas déranger la clientèle, et aussi le visage de ces immigrés qui transposent dans leur pays d’accueil (l’Angleterre) leurs coutumes de mariages arrangés (forcés ?)… Bref, de ce monde pourri dans lequel on vit aujourd’hui, où il vaut mieux ne pas avoir affaire à la police omniprésente, comme dans Eden à l’ouest.
Le film est formidable, généreux, servi par de très bons acteurs (Vincent Lindon, Audrey Dana, Firat Ayverdi) et par un refus absolu du happy-end. Bravo, on avait envie d’applaudir à la fin du film. Et tant pis si le ministre se sent visé par des propos du réalisateur ! A peu de choses près, on transposerait cette histoire pendant la guerre, avec des juifs en place des sans-papiers. Oui, la CIMADE a raison de parler de rafles policières. Oui, les pauvres n’ont plus le droit de vivre, nulle part. Oui, on discrimine dans notre pays. Oui, en notre nom, se déroulent des actions honteuses. Un film à voir et à faire voir de toute urgence à tous ceux qui gardent les yeux fermés !
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