dimanche 22 mars 2009

22 mars 2009 : Vieillir

-->
Nous avions fait le geste
Simple de vieillir
(Béatrice Douvre, Œuvre poétique)


Depuis décembre dernier, le cyclo-lecteur (allons, parlons à la troisième personne, et utilisons le nous de majesté tant qu’à faire) a commencé à faire des lectures en maison de retraite. Nous avons lu des récits de Noël, dont la légende du quatrième Roi mage (lu également pour la veillée de Noël au temple), et pour la seconde prestation, nous leur lisons des histoires courtes et savoureuses d’enfants. Une troisième séance aura lieu en juin, où nous leur trouverons bien quelques histoires estivales, de vacances, pourquoi pas ?
*
J’aime les vieux, le fait d’avoir eu ma grand-mère à domicile pendant mon enfance m’y a sans doute prédisposé. Cette grand-mère qui nous a tant apporté.
Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux, chantait naguère Brel. Pas si sûr. C’est qu’il faut savoir les écouter. Ou lire dans leurs yeux.
On devient tous vieux un jour. Certains le sont bien avant leur temps, ceux qui ne rêvent plus dès leur jeunesse. Avec l’allongement de la durée de la vie, l’éclatement de la tribu qui éloigne les générations les unes des autres, devenir vieux peut devenir d’une tristesse accablante, quand autour de soi on a vu mourir tous ses amis et connaissances, qu’on ne lit plus le journal que pour regarder les rubriques nécrologiques (preuve qu’on n’est pas encore mort : suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide) ou l’horoscope (même si c’est pour s’en moquer comme le héros du film Gran Torino), ou qu’on ne lit plus du tout (leurs livres s’ensommeillent, chantait encore Brel, et je n’arrive pas à y croire, moi qui ne conçois pas la vie sans lecture), brisé par les douleurs physiques et morales.
C’est frappant quand on voit ces maisons de retraite qui, aussi bien tenues qu’elles soient, ne dissimulent pas l’abrutissement physique et mental d’un grand nombre de leurs pensionnaires auxquels le cyclo-lecteur essaie d’apporter par ses lectures et le goûter qui suit (parfois) un peu de l’air frais du dehors, et d’élargir leur monde devenu trop petit.
Ils ont plus de quatre-vingts ans, souvent même plus de quatre-vingt dix, n’y voient plus très bien, entendent mal, ne comprennent pas toujours. C’est dur de devenir vieux. Le plus souvent, on a été placé ici par la famille, comme justement tentent de le faire les enfants du vieil homme de Gran Torino, qui, pour l’anniversaire de leur vieux père, arrivent avec des prospectus sur ces merveilleuses résidences du quatrième âge, et sont tout étonnés de se voir éconduits.
Oui, c’est un peu triste de voir tous ces vieillards, certains alignés dans leurs fauteuils roulants, la tête ballante, l’œil éteint, et puis quel bonheur, quand le cyclo-lecteur passe leur serrer la main en fin de lecture et leur demande si ça leur a plu, de voir soudain ranimée une petite flamme au coin de la voix ou dans l’œil qui pétille. Comme s’ils avaient oublié toute une heure la pendule d'argent / Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend.
*
Aussi ai-je été vivement intéressé par le nouveau film de Clint Eastwood, qui nous apprend beaucoup sur la vieillesse. Et ça n’est pas si fréquent que le héros d’un film soit quasiment octogénaire !
Gran Torino nous raconte l’histoire d’un vieux grincheux, veuf, méchamment réactionnaire et raciste (pourtant lui-même issu de l’immigration polonaise) qui se retrouve en fin de vie dans sa maison de banlieue coincé au milieu de voisins immigrés venant d’Asie. Il ne souhaite pas recevoir le jeune curé qui veut l’amener à confesse (promesse qu’il a faite à la défunte femme du veuf). Bien entendu, il n’est pas question de frayer avec aucune de ces "faces de citron", sauf que, en vieux vétéran de la guerre de Corée, quand son jeune voisin se trouve attaqué par une bande, il intervient en justicier et devient le héros du quartier. Et bon gré mal gré, il découvre chez ces gens-là un mode de vie et des "amis", avec qui il se sent plus à l’aise qu’avec sa propre famille. Il se prend même d’affection pour Thao, le jeune adolescent fragile, l’engage et lui apprend le bricolage et le goût du travail soigné. Et, en fin de compte, il devient le défenseur de ces nouveaux opprimés, lui qui a sur la conscience les crimes de la Guerre de Corée. Il finit même par réaliser sa rédemption par le sacrifice de sa vie.
Sans doute tout cela reste un peu manichéen, moralisateur, et la fin heureuse ressort bien de l’usine à rêves hollywoodienne. Mais le film, dans son humanisme parfaitement maîtrisé, résonne comme un testament, aussi bien du réalisateur que de l’acteur Eastwood, qui fait mentir Brel : Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit. Le personnage incarné par Clint Eastwood remet en cause les héros un peu fachos qu’il interpréta dans les années 70.
Oui, à quatre-vingts ans, on peut encore bouger, faire oublier ses rides, traverser le présent et élargir son monde.
C’est tout le mal que le cyclo-lecteur se souhaite !

Aucun commentaire: