mardi 10 septembre 2019

10 septembre 2019 : Venise 2019.1, une lecture de Manzoni


Il n’existe qu’une seule voie : aimer l’être humain. Le fort et le faible, le mal assuré et l’impitoyable. Le mortel et l’immortel. L’autre.
(Svetlana Alexiévitch, La guerre n’a pas un visage de femme, trad. Galia Ackerman et Paul Lequesne, J’ai lu, 2015)


Comme toujours, quand je viens à Venise, je lis de la littérature italienne. Je possédais depuis cinquante ans un volume contenant Les fiancés (I promessi sposi) d’Alessandro Manzoni, je l’avais emporté et je l’ai lu, en train, dans ma chambre d’hôtel, puis de nouveau dans le train du retour. C’est le grand roman italien du XIXème siècle, un grand roman d’amour et historique qui se déroule dans le Milanais dominé par les Espagnols de 1628 à 1630

j'ai lu une traduction plus ancienne, assurée par Silvana Magrini et Louis Guilloux
 
Don Rodrigo, petit aristocrate de la région, menace de mort Don Abbondio, le curé du village de Lecco, près du lac de Côme, s’il célèbre le mariage de Renzo Tramaglino et Lucia Mondella : le curé, par peur des représailles, obtempère. Don Rodrigo, symbole des injustices sociales de son temps ("Chacune de ces petites oligarchies avait sa force particulière ; dans chacune, l’individu trouvait l’avantage d’employer à son profit, selon son crédit et son adresse, les forces réunies des autres. Les plus honnêtes ne se prévalaient de ces avantages que pour se défendre ; les fourbes et les scélérats pour perpétrer les gredineries auxquels leurs moyens personnels n’auraient pu suffire, et aussi pour s’assurer l’impunité"), a, avec sa bande d’affidés, ses habitudes de libertin prédateur et désire déflorer Lucia, voire la garder pour lui tout seul. Mais les deux jeunes gens, aidés par un capucin, le frère Cristoforo, fuient ; Lucia et sa mère Agnese se réfugient dans un couvent à Monza ; Renzo part à Milan pour plaider sa cause, mais il tombe en plein milieu des émeutes de la faim, où il participe à son corps défendant et, menacé d’un mandat d’arrêt, doit s’enfuir du duché de Milan pour se réfugier à Bergame, dans l'état voisin (rappelons que l'Italie n'existait pas en tant qu'état, à l'époque). Don Rodrigo, qui n’a pas perdu son idée de départ, fait éloigner le menaçant Cristoforo de la région, et provoque l’enlèvement de Lucia par l’Innominato, un autre seigneur dévoyé qui fait régner la terreur dans la région. Mais quand il découvre Lucia, si pitoyable, ce dernier y voit un signe de Dieu et choisit de na pas livrer sa prisonnière à Don Rodrigo. Sur ce, le cardinal Federico Borromeo faisant sa tournée dans la région, l’Innominato le rencontre et au contact du saint homme, à qui il raconte sa dernière mauvaise action, il décide de changer de vie et de se consacrer au bien, il libère la jeune femme qu’il confie au cardinal, qui la place en sûreté à Milan. La guerre puis l’épidémie de peste ravagent et désorganisent le pays. Renzo, atteint par la peste, en guérit et il se met en chemin pour Milan, à la recherche de sa fiancée. Il retrouve Lucia, survivante elle aussi, dans le lazaret où sont mis à l’écart les pestiférés soignés par le frère Cristoforo ; ce dernier convainc Renzo d’abandonner toute idée de vengeance, d’autant que, abandonné de tous depuis la conversion de l’Innominato, Don Rodrigo est là, mourant. Après deux années d’épreuves, les fiancés pourront enfin être mariés par Don Abbondio, maintenant que toute menace a disparu.
Le livre fourmille de personnages passionnants : les deux fiancés d’abord, Renzo, jeune et habile fileur de soie, tout feu tout flamme ; Lucia, d’une pureté sans faille, mais trop encline à subir les préceptes de la religion ; Agnese, sa mère aimante et réaliste ; Don Abbondio, empreint de peur, de lâcheté, de mesquinerie, d’un égoïsme assez monstrueux et indigne d’un prêtre (à l’époque où la religion régit les âmes), comme le lui fait remarquer le cardinal, et incapable de prendre position entre le bien et le mal ; Perpetua, sa gouvernante, loin d’abonder dans sa couardise ; Don Rodrigo et l’Innominato, les seigneurs tyranniques : si le second, touché par la lumière et les paroles de Lucia, se transfigure et change de vie, l’autre est irrémédiablement perdu ; le frère Cristoforo et le cardinal Borromeo, deux figures d’une ardeur évangélique exaltante qui contraste fortement avec le terre-à-terre du curé du village (et je me demande si Victor Hugo n’avait pas lu Les fiancés, dont il a pu s’inspirer, aussi bien pour dresser dans Les misérables le magnifique portrait de Mgr Myriel, proche de celui du cardinal, que pour relater la conversion au "bien" de Jean Valjean somme toute assez semblable à celle de l’Innominato) et qui illuminent le roman de leur splendeur spirituelle, notamment lors de la libération de Lucia et de l’épisode de la peste.

la dernière adaptation au cinéma, date de 1964, par Mario Maffei, n'est jamais sortie en France
Alors, bien sûr, nous sommes dans un roman de l'époque romantique : impossible d’échapper aux intentions moralisatrices et aux digressions d’un auteur qui, comme Victor Hugo, veut porter un message d’idéal, alors que les personnages se débattent dans une période pleine de bruit et de fureur, d’injustices de toutes sortes, de guerres, de famines, d’épidémies meurtrières. Personnellement, ni le côté moralisateur ni les digressions ne m’ont en rien gêné. Car c’est avant tout le roman du peuple, pris en otage dans un monde macabre et qui, pourtant, cherche à survivre coûte que coûte. On trouve en quelque sorte dans ce splendide roman des cousins des Misérables du père Hugo ou de nos plus modernes gilets jaunes. Par ailleurs, j'ai appris, entre autres digressions, que le cardinal Borromeo (personnage réel) avait fondé la célèbre Bibliothèque Ambrosienne de Milan, qui fut une des premières à être ouverte au public, selon l'auteur...

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