mardi 6 août 2019

6 août 2019 : deux femmes témoignent : la police et nous



Il commençait à douter en secret de l’honnêteté de la justice.
(Fumiko Hayashi, Nuages flottants, trad. Corinne Atlan, Éd. du Rocher, 2005)


Pour changer du poème du mois, deux textes de prose, écrits par des femmes, et qui nous demandent d’être vigilants devant le déchaînement de la violence d’état dans nos pays se proclamant « démocratiques » (?). 
 
Tout d’abord une histoire vraie racontée par la Prix Nobel de littérature Toni Morrison, dans L’origine des autres (trad. Christine Laferrière, C. Bourgois, 2018) :

C’est en 1946 qu’Isaac Woodard, vétéran noir encore en uniforme, est descendu d’un autocar en Caroline du Sud. Il rentrait en Caroline du Nord retrouver sa famille. Il avait passé quatre ans dans l’armée : dans le théâtre du Pacifique (où il avait été promu au grade de sergent) et dans l’Asie-Pacifique (où il avait remporté une médaille de campagne, une médaille de la Victoire de la Seconde guerre mondiale et la médaille de Bonne Conduite). Quand le car est parvenu à une aire de repos, Woodard a demandé au chauffeur si l’on avait le temps d’aller aux toilettes. Ils se sont disputés, mais on lui a permis d’utiliser les sanitaires. Plus tard, quand le car s’est arrêté à Batesburg, en Caroline du Sud, le chauffeur a appelé la police pour faire sortir le sergent Woodard (apparemment parce qu’il était allé aux toilettes). Linwood Shull, le chef, a emmené Woodard dans une ruelle voisine, où un certain nombre d’autres policiers et lui-même l’on battu à coups de matraques. Ensuite ils l’ont emmené en prison et l’ont arrêté pour trouble à l’ordre public. Durant sa nuit en prison, le chef de la police a battu Woodard avec une matraque en bois et lui a arraché les yeux. Le lendemain matin, Woodard a été déféré devant le juge local, qui l’a déclaré coupable et lui a infligé une amende de cinquante dollars. Woodard a demandé des soins médicaux ; ils sont arrivés deux jours plus tard. Entre-temps, sans savoir où il était et souffrant d’une légère amnésie, il a été emmené à l’hôpital d’Aiken, en Caroline du Sud. Trois semaines après avoir été porté disparu par sa famille, il a été localisé puis transféré d’urgence à un hôpital militaire de Spartanburg. Ses deux yeux sont restés atteints de lésions irréversibles. Il a vécu, bien qu’aveugle, jusqu’en 1992, où il est mort à l’âge de 73 ans. Après trente minutes de délibération, Shull, le chef de la police, a été acquitté de toutes les charges qui pesaient sur lui, au son des applaudissements déchaînés d’un jury entièrement blanc.



Et cette lettre ouverte de Geneviève Legay (parue sur Mediapart), vous savez cette femme septuagénaire qui, lors d’une manifestation des gilets jaunes, à Nice le 23 mars 2019, a été grièvement blessée à la tête par une charge violent de police, et que le président Macron accusait de ne pas avoir "un comportement responsable" pour vouloir manifester (sous-entendu, de n'avoir pas encore acquis à son âge "une forme de sagesse") :

Si je m’adresse à vous, forces de l’ordre, ce n’est pas pour vous faire la leçon, mais pour vous dire à quel point les politiques policières menées depuis quelques temps vous desservent. Pour que cessent les souffrances et les violences engendrées par une politique inhumaine, de caste, j’en appelle à votre sens de l’honneur. Ne laissez pas un métier honorable devenir pitoyable.
Si je m’adresse à vous dans cette lettre ouverte, ce n’est pas pour vous donner des leçons, mais pour vous dire à quel point les politiques policières menées depuis quelques temps vous desservent.
La population des petites gens, des gens de rien, méprisée par le pouvoir, avait du respect pour vous et croyait en votre devoir de protection.
Ce n’est plus le cas. Les violences, les bavures policières, les mensonges, les manipulations se retournent contre vous et ce que vous devriez représenter.
Nombre de vos camarades épuisé.e.s choisissent le suicide pour échapper à l’inacceptable. Le travail qu’on vous demande d’exécuter est intolérable et inadmissible pour moi et aussi à beaucoup d’autres ! J’ai beaucoup de peine.
Mon grand-père était policier, il m’a appris le respect de la police qui nous protège.
Et, comme je l’ai déjà fait lors de conférences de presse, notamment le 29 avril, alors qu’une chaîne T.V. voulait que je vous enfonce, je veux mettre en avant la réalité du malaise exprimé par beaucoup d’entre vous et pointer les suicides qui déciment vos rangs.
Comment la place Beauvau et le Président ne se posent-ils pas la question du pourquoi de ces situations désespérées ?
Si je lutte aujourd’hui aux côtés des Gilets jaunes, et autres mouvements, c’est pour construire un autre monde que je pense possible : plus humain, plus juste, pour la dignité de toutes et de tous, dans l’espoir d’une vie meilleure. Y compris pour vous, fonctionnaires sous-payé.e.s, faisant de nombreuses heures souvent non récupérées. Vous êtes au bord de l’épuisement et certain.e.s plus du tout dans le discernement des ordres reçus. Ordres que vous avez encore la possibilité de refuser.
Je m’adresse surtout à celles et ceux qui se sentent éclaboussé.e.s par les violences, bavures et mensonges policiers, y compris de leurs supérieur.e.s comme par le refus de l’I.G.P.N. de procéder à de vraies enquêtes permettant des poursuites.
Le résultat : vous êtes tous et toutes amalgamé.e.s à ces pratiques révoltantes à juste titre !
Nous devrions être ensemble, nous respecter.
Comment accepter que ce pouvoir nous jette les un.e.s contre les autres, vous face au peuple ?
Pour que tout cela cesse, les souffrances et les violences engendrées par une politique inhumaine, de caste, j’en appelle à votre sens de l’honneur et des responsabilités ; ne laissez pas un métier honorable devenir pitoyable.
Réagissez !


Voulons-nous que notre police imite la police américaine ? Ho, policiers français, mes frères, réveillez-vous !

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