Il
commençait à douter en secret de l’honnêteté de la justice.
(Fumiko
Hayashi, Nuages
flottants,
trad. Corinne Atlan, Éd.
du Rocher, 2005)
Pour
changer du poème du mois, deux textes de prose, écrits par des
femmes, et qui nous demandent d’être vigilants devant le
déchaînement de la violence d’état dans nos pays
se proclamant « démocratiques » (?).
Tout
d’abord une histoire vraie racontée par la Prix Nobel de
littérature Toni Morrison, dans L’origine des autres
(trad. Christine Laferrière, C. Bourgois, 2018) :
C’est
en 1946 qu’Isaac Woodard, vétéran noir encore en uniforme, est
descendu d’un autocar en Caroline du Sud. Il rentrait en Caroline
du Nord retrouver sa famille. Il avait passé quatre ans dans
l’armée : dans le théâtre du Pacifique (où il avait été
promu au grade de sergent) et dans l’Asie-Pacifique (où il avait
remporté une médaille de campagne, une médaille de la Victoire de
la Seconde guerre mondiale et la médaille de Bonne Conduite). Quand
le car est parvenu à une aire de repos, Woodard a demandé au
chauffeur si l’on avait le temps d’aller aux toilettes. Ils se
sont disputés, mais on lui a permis d’utiliser les sanitaires.
Plus tard, quand le car s’est arrêté à Batesburg, en Caroline du
Sud, le chauffeur a appelé la police pour faire sortir le sergent
Woodard (apparemment parce qu’il était allé aux toilettes).
Linwood Shull, le chef, a emmené Woodard dans une ruelle voisine, où
un certain nombre d’autres policiers et lui-même l’on battu à
coups de matraques. Ensuite ils l’ont emmené en prison et l’ont
arrêté pour trouble à l’ordre public. Durant sa nuit en prison,
le chef de la police a battu Woodard avec une matraque en bois et lui
a arraché les yeux. Le lendemain matin, Woodard a été déféré
devant le juge local, qui l’a déclaré coupable et lui a infligé
une amende de cinquante dollars. Woodard a demandé des soins
médicaux ; ils sont arrivés deux jours plus tard. Entre-temps,
sans savoir où il était et souffrant d’une légère amnésie, il
a été emmené à l’hôpital d’Aiken, en Caroline du Sud. Trois
semaines après avoir été porté disparu par sa famille, il a été
localisé puis transféré d’urgence à un hôpital militaire de
Spartanburg. Ses deux yeux sont restés atteints de lésions
irréversibles. Il a vécu, bien qu’aveugle, jusqu’en 1992, où
il est mort à l’âge de 73 ans. Après trente minutes de
délibération, Shull, le chef de la police, a été acquitté de
toutes les charges qui pesaient sur lui, au son des applaudissements
déchaînés d’un jury entièrement blanc.
Et
cette lettre ouverte de Geneviève Legay (parue sur Mediapart), vous savez cette femme
septuagénaire qui, lors d’une manifestation des gilets jaunes, à
Nice le 23 mars 2019, a été grièvement blessée à la tête par
une charge violent de police, et que le président Macron accusait de
ne pas avoir "un comportement responsable" pour vouloir manifester
(sous-entendu, de n'avoir pas encore acquis à son âge "une forme de sagesse") :
Si
je m’adresse à vous, forces de l’ordre, ce n’est pas pour vous
faire la leçon, mais pour vous dire à quel point les politiques
policières menées depuis quelques temps vous desservent. Pour que
cessent les souffrances et les violences engendrées par une
politique inhumaine, de caste, j’en appelle à votre sens de
l’honneur. Ne laissez pas un métier honorable devenir pitoyable.
Si
je m’adresse à vous dans cette lettre ouverte, ce n’est pas pour
vous donner des leçons, mais pour vous dire à quel point les
politiques policières menées depuis quelques temps vous desservent.
La
population des petites gens, des gens de rien, méprisée par le
pouvoir, avait du respect pour vous et croyait en votre devoir de
protection.
Ce
n’est plus le cas. Les violences, les bavures policières, les
mensonges, les manipulations se retournent contre vous et ce que vous
devriez représenter.
Nombre
de vos camarades épuisé.e.s choisissent le suicide pour échapper à
l’inacceptable. Le travail qu’on vous demande
d’exécuter est intolérable et inadmissible pour moi et aussi à
beaucoup d’autres ! J’ai beaucoup de peine.
Mon
grand-père était policier, il m’a appris le respect de la police
qui nous protège.
Et,
comme je l’ai déjà fait lors de conférences de presse, notamment
le 29 avril, alors qu’une chaîne T.V. voulait que je vous enfonce, je veux mettre en avant la réalité du
malaise exprimé par beaucoup d’entre vous et pointer les suicides
qui déciment vos rangs.
Comment
la place Beauvau et le Président ne se posent-ils pas la question du
pourquoi de ces situations désespérées ?
Si
je lutte aujourd’hui aux côtés des Gilets jaunes, et autres
mouvements, c’est pour construire un autre monde que je pense
possible : plus humain, plus juste, pour la dignité de toutes
et de tous, dans l’espoir d’une vie meilleure. Y compris pour
vous, fonctionnaires sous-payé.e.s, faisant de nombreuses heures
souvent non récupérées. Vous êtes au bord de l’épuisement et
certain.e.s plus du tout dans le discernement des ordres reçus.
Ordres que vous avez encore la possibilité de refuser.
Je
m’adresse surtout à celles et ceux qui se sentent éclaboussé.e.s
par les violences, bavures et mensonges policiers, y compris de leurs
supérieur.e.s comme par le refus de l’I.G.P.N. de procéder à de
vraies enquêtes permettant des poursuites.
Le
résultat : vous êtes tous et toutes amalgamé.e.s à ces
pratiques révoltantes à juste titre !
Nous
devrions être ensemble, nous respecter.
Comment
accepter que ce pouvoir nous jette les un.e.s contre les autres, vous
face au peuple ?
Pour
que tout cela cesse, les souffrances et les violences engendrées par
une politique inhumaine, de caste, j’en appelle à votre sens de
l’honneur et des responsabilités ; ne laissez pas un métier
honorable devenir pitoyable.
Réagissez !
Voulons-nous
que notre police imite la police américaine ? Ho, policiers
français, mes frères, réveillez-vous !
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