« Un
après-midi, elle m’a demandé d’oublier le roman et de lui lire
les recettes d’un livre de cuisine que lui avait prêté une
infirmière. Cela me plaisait, à elle aussi. Et des recettes, nous
en sommes venus aux poèmes, qui sont très semblables.
— Semblables,
en quoi ?
— Disons
que ce sont des recettes de vie, et même si nous n’aimons pas le
plat dont il est question, nous admirons la manière de faire. Tout
le plaisir de la poésie tient à ça. »
(Fabio
Morabitó, Le
lecteur à domicile,
trad. Marianne Millon, Corti, 2019)
lever de soleil, de ma chambre d'hôtel
Je
ne sais pas à quoi tient mon goût pour les îles : sans doute
à mon adolescence et à mes lectures entre douze et vingt ans (Jules
Verne, Stevenson, Melville), à mes rencontres aussi : Alain P., mon
ami d’adolescence avec qui nous avions inventé et dessiné une île
imaginaire (la nôtre) où il nous arrivait tout un tas d’aventures
qui nous permettaient d’oublier la prison qu’était l’internat,
par la suite l'écrivain Michel Tournier, que je fis venir dans le Gers à la fin
1977 et avec qui j’ai longuement parlé du mythe de Robinson, puis
Claire aussi qui me poussa à postuler pour la Guadeloupe pour un
séjour de trois ans, pendant lequel je visitai toutes les îles de
l’archipel ainsi que la Martinique. Par la suite, nous passâmes
maintes vacances dans les îles atlantiques : Ré, Oléron,
Noirmoutier, et fîmes de brefs séjours d’une semaine à Majorque,
en Sicile, à Malte, en Crète, à Madère. Par la suite, mes pérégrinations
en cargo me firent poser le pied en Jamaïque, à Tahiti et en
Nouvelle-Calédonie.
la Médiathèque de Groix
Mais
je ne connaissais pas l’île de Groix, en face de Lorient :
cette fois, c’est mon goût pour les festivals de cinéma qui m’a
entraîné là, à l’instigation de l’amie Christine M. qui m’y
a rejoint en fin de semaine. J’ai donc passé cinq jours à Groix,
sous une chaleur épaisse qui m’a empêché de me balader partout,
car je suis encore affaibli par mon AIT ; en particulier, je
n’ai pas loué de bicyclette qui eût pourtant été très
utile pour monter les côtes nombreuses, je me suis contenté de
marcher à pied et ai donc limité mes déplacements. L’île est
rocheuse, les côtes sont très accidentées, et j’ai vu beaucoup
de cyclistes pousser leurs vélos dans les montées, courtes mais
rudes. Aussi la location de vélos électriques y fait fureur, mais
on connaît ma philosophie, très peu pour moi ! Mais j’ai
bien aimé ce que j’ai vu, les maisons, la médiathèque, les
sentiers côtiers bordés de ronces à mûres dont je me suis régalé.
Et
le FIFIG (Festival du Film Insulaire de Groix) fut encore plus passionnant que prévu. La plupart des films présentés sont des
documentaires. Il y avait "les îles chiliennes" comme
thème, ce qui m’a permis de voir d’excellents films sur les îles
de Chiloé, de Pâques ou de Robinson Crusoé. J’ai été frappé
de voir ces films chiliens très critiques non seulement sur la
période Pinochet (qui ne l’est pas, à part peut-être nos amis américains
?), mais plus généralement sur la manière coloniale dont les
divers gouvernements chiliens ont mis les populations autochtones au
pas, quand elles n'ont pas autorisé leurs massacres, de manière systématique
(il y eut des "chasseurs d’hommes") ou à petit feu en
les spoliant de leurs terres, les mettant au travail forcé ou leur
imposant la religion, les désolidarisant par l’éducation publique
de leurs langues et de leurs traditions. Bref, il y avait là
largement de quoi devenir anticolonialiste si on ne l’était pas
encore…
La liberté, de Guillaume Massart, a obtenu le grand prix, l'île d'or
Mais
les films en compétition provenaient de différents pays, parlaient
de la pêche en Irlande, en Sicile ou au Japon, des migrants échoués
en Grèce, des travailleurs chinois au Japon, d’une prison ouverte
en Corse (La liberté, qui a obtenu l'île d'or), de grévistes en Patagonie, de la répression coloniale de
1947 à Madagascar et de 1988 en Nouvelle-Calédonie, du souhait de
récupérer le patrimoine volé et disséminé dans les grands musées
du monde, de la difficulté de mener sa vie pour sortir de la misère
et de l’injustice un peu partout… Bref, il y avait de quoi
réfléchir sur notre devenir, sur notre monde dont les dirigeants pérorent à Biarritz sur les
bienfaits du modernisme économique en oubliant l’impact écologique, l’horreur
touristique ou la tragédie des traditions en train de se perdre.
Caroline Zeau anima le débat : j'ai acheté son livre, étude critique du film
Un
film du patrimoine québécois justement brassait beaucoup de ces
thèmes, avec un humour féroce et vengeur. Pour la suite du monde, de
Michel Brault et Pierre Perrault que j’avais vu quand j’étais
étudiant sans en mesurer la portée, est une de ces pépites qui
nous réconcilieraient avec le cinéma, s’il en était besoin, et
qui nous consolent de toutes ces comédies bêtasses et de tous ces
blockbusters abrutissants qui inondent nos multiplexes. Ça se passe
dans l’Île aux Couldres (estuaire du Saint-Laurent) en 1962, où on
tente de relancer la pêche aux marsouins abandonnée depuis 1924.
C’est du cinéma direct, mais rien à voir avec la téléréalité
fabriquée et souvent odieuse d’aujourd’hui. J’ai passé un
grand moment avec ce film visible sur internet :
https://www.onf.ca/film/pour_la_suite_du_monde/
où je ne manquerai de le revoir. Personnages hauts en couleur (bien
que le film soit en noir et blanc) et traditions locales, y compris
religieuses (je vous laisse découvrir la mi-carême et l’eau de
Pâques) s’entremêlent harmonieusement. Un film tout bonnement
extraordinaire. Ça sert aussi à ça, les festivals, à faire des redécouvertes !
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