dimanche 11 août 2019

11 août 2019 : Maradona, grandeur et décadence


le fait de posséder vous congèle pour toujours en « Je » et nous sépare toujours du « Nous ».
(John Steinbeck, Les raisins de la colère, trad. Marecl Duhamel et Maurice-Edgar Coindreau, Gallimard, 1947)


Je dois avouer que, n’ayant pas la télévision dans les années 80, je n’avais fait qu’entendre parler de Maradona, mais ne l’avais jamais vu jouer. Par ailleurs, vous savez que j’ai toujours été un footeux médiocre, nullissime même. De temps en temps, surtout en cas de coupe du monde (masculine, à plusieurs reprises, ou féminine cette année), je regarde un match ou deux à la télévision. Mais sans grande passion, car le vrai beau jeu est très rare. Mais bien sûr, je m’intéresse aux dieux du stade, même si l’esprit de compétition m’est totalement étranger.
Maradona, prodige argentin est transféré à Naples en 1984, club de seconde zone du championnat italien dominé par les clubs du nord. L’unique ambition du club napolitain est de ne pas descendre en seconde division. Le cinéaste anglais Asif Kapadia nous conte le séjour napolitain de Maradona dans un documentaire surprenant, à grand renfort d’images d’archives publiques et privées, commentées par un Maradona actuel vieillissant que l’on aperçoit à la fin en train de jouer au foot, bien péniblement, avec des jeunes femmes. Grandeur et décadence d’un grand champion devenu mythe de son vivant.


Ses atouts de joueur : une technique hors pair, une vitesse incroyable, une capacité de jongler avec le ballon, de dribbler en contournant l’adversaire, de courir avec le ballon avec une virtuosité invraisemblable. Je dois dire que j’ai été bluffé et bouleversé par les scènes où on le voit jouer. Seul peut-être Pelé, aperçu dans ma jeunesse lors de la coupe du monde en Suède de 1958 retransmise à la télévision noir et blanc, m’avait fait une impression aussi étonnante. On entre là presque dans le domaine du sacré. On apprend qu’en l’espace de trois saisons, Maradona amena le club de Naples sur la première marche du podium en 1987, après avoir fini 8ème la première année, puis 3ème la deuxième année, et de nouveau en 1990. Les interviews de proches (famille, amies ou maîtresses, coach-soigneur) ponctuent le film. On voit Maradona parler rapidement italien lors des interviews de l’époque. Lui, qui avait été plutôt malmené dans son club précédent (catalan), devient rapidement le chouchou puis l’idole des Napolitains dont il cherche aussi le respect.
Pourtant, superstar du football apportant beaucoup d'argent pour le club, s'il est sanctifié (son portrait devient une icône), il devient un symbole sexuel et se trouve pris au piège des amitiés douteuses de la Camorra napolitaine. Sans compter les virées en boîtes de nuit. Peu à peu Diego, le gosse des bidonvilles de la banlieue de Buenos Aires, devient le Maradona arrogant, menteur, et cocaïnomane. Voire truqueur : dans le quart de finale de la coupe du monde de 1986 à Mexico contre l’Angleterre, il marque un but avec la main gauche. L’arbitre ne l’a pas vu ; Maradona ne dit rien, le but est compté. Le match était vu comme une revanche sur la guerre des Malouines de 1982. Et, capitaine d’une équipe d’Argentine très moyenne, il la conduit à la victoire en finale contre l’Allemagne. La star Maradona commente modestement : "Je n’y suis pour rien. Ce n’est pas à Maradona qu’on doit ces victoires, c’est à Dieu." Et il a vu la main de Dieu dans le fameux but marqué de la main.
Mais la descente s’amorce vite : dépendance à la drogue (fournie par la Camorra), déboires extra-conjugaux. Tout le monde est au courant, mais on ferme les yeux, tant que Naples gagne. D’ailleurs, on lui refuse le transfert pour ailleurs qu’il réclame en vain. Mais en 1990, l'Italie organise la coupe du monde, L’Argentine est opposée en demi-finale à l’équipe italienne et, ironie du sort, le match se déroule au stade San Paolo de Naples. Le cinéaste se demande comment les organisateurs de la compétition ont pu commettre une pareille boulette. Maradona va donc jouer devant son public, mais contre l’Italie ; il espère que les Napolitains le soutiendront. Mais l’Italie perd aux tirs de pénaltys après les prolongations et Maradona devient très vite persona non grata. On le contrôle positif à la cocaïne, on le place sur écoute, et on le découvre parlant avec la Camorra ou des call-girls. La Camorra l’abandonne. Maradona, déchu, quitta Naples en catimini, comme un pestiféré. Eh oui, les Dieux du stade, soumis à la pression publique, au pouvoir de l’argent, peuvent déchoir de leur piédestal.
Un très beau documentaire, avec une bande sonore musicale superbe.

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